Dalen esquissa une moue dubitative.

« Nous étions censés chercher sur Shawn, rappela-t-elle. Plus exactement, dans les contrées septentrionales.

— Elle est née dans cette contrée, presque en même temps que Galaniel.

— "Elle" ? s'étonna Stakis. L'Élu ne devrait-il pas être...

— Un homme ? compléta Rneigl. Qu'est-ce qui l'impose ? Seuls comptent la date et le lieu.

— Et qu'est-ce qui t'amènerait à penser que ce serait elle, et non Galaniel ? attaqua Dalen.

— Je n'affirme rien du tout, se défendit Rneigl. Je ne vous parle pas non plus d'abandonner votre quête. »

Ses deux compagnons se rassérénèrent, tandis qu'il poursuivait :

« Quant à ce qui me convainc : son regard. Elle a le même regard que Gathor, la même rage de vivre, de vaincre. Elle a été enfermée par les Voyageurs toute sa vie durant et, pourtant, n'a jamais perdu l'espoir, son désir de liberté. Je connais peu de personnes avec une telle détermination, une telle force de caractère. »

La plaidoirie aviva l'intérêt de Dalen.

« Comment s'appelle-t-elle ?

— Elle n'a pas de nom, il s'agit de la fille de la Reine noire. »

Les yeux de la Shawnienne s'agrandirent.

« La Reine noire ?

— Je l'avais découvert lorsque je m'étais infiltré dans le centre de recherches secret de Barcad. J'ai cherché à lui venir en aide, mais la sécurité était bien trop importante, sans oublier la présence incessante d'Alfonsi. À la place, j'ai seulement pu m'emparer de deux prototypes d'inhibiteurs.

— Pour les inhibiteurs, je sais, tu m'en as donné un, coupa Dalen. Mais elle, pourquoi tu n'en as jamais parlé ?

— J'en ai parlé à Sméarn Pteï. Cette information a achevé de le convaincre. La Reine noire et lui ont effectué leur formation ensemble, chez les Itinérants, et ils avaient tissé de profonds liens d'amitié. Désormais qu'il savait sa fille vivante, le but secret de cette invasion était aussi de la libérer.

— Pour tout dire, toussota Stakis, je ne sais même pas qui est cette "Reine noire". »

Rneigl croisa ses mains épaisses, rendues noueuses par le temps.

« C'est vrai, tu n'as pas connu la chute du Maître. Avant de fonder les Chevaliers Oniriques, Gathor était un Voyageur. Lorsqu'il a pris son indépendance, ces mêmes compagnons d'autrefois furent les premiers à le pourchasser, avec en tête leur premier Grand Maître, Mitteï. Il y eut de nombreuses batailles, nous nous sommes battus comme nous pouvions, mais sans jamais l'emporter. À chaque fois, Mitteï nous retirait toute chance, même Gathor ne parvenait à égaler ses pouvoirs. Finalement, en désespoir de cause, nous avons conclu une alliance provisoire avec un groupe d'Itinérants dans l'espoir d'enfin faire tomber Mitteï.

— Dont cette Reine noire ? déduisit Stakis.

— Pas seulement : il y avait aussi, entre autres, Sméarn Pteï, sa compagne, Elona, ainsi que le Grand Maître Smaviac. Enfin, la Reine noire contrôlait un monde médiéval reculé, en bordure de la Galaxie. De nombreux mages lui obéissaient, de même qu'une armée de plusieurs centaines de milliers d'âmes. »

Il baissa la tête. De grave, sa voix se fit caverneuse.

« J'ai vu sombrer les tours du palais de la Reine, ses armées papiennes défaites par les humains. Personne, pas même le Grand Archimage, n'a pu arrêter Mitteï. Cette femme... cette créature est la pire monstruosité que l'Univers ait jamais engendrée, après les dieux. Son nom est synonyme de mort. »

Un frisson glacial parcourut Stakis. Même Dalen, d'ordinaire altière, se mordait la lèvre, les yeux en berne. Elle aussi était là, elle aussi avait vu mourir ses alliés, connu le même sentiment d'impuissance.

« Une partie des Itinérants, dont Smaviac, Elona et Sméarn, a pu s'échapper, mais beaucoup sont morts. La Reine s'est retrouvée séparée d'eux et a fui avec nous. Nous avons erré des mois durant, de planète en planète, pourchassés par Mitteï, avant d'arriver sur Shawn. La fin, tu la connais, acheva Rneigl. Le Maître, comprenant l'issue du combat, a renvoyé, avec son pouvoir, les Chevaliers Oniriques sur leurs mondes respectifs, et annoncé son retour prochain. Acculé par Mitteï, il s'est donné la mort, afin de pouvoir vivre de nouveau ; perdue dans les contrées glacées, sa tombe n'a jamais été retrouvée. »

Dalen croisa les bras.

« Tu n'as toujours pas expliqué pourquoi tu ne nous informes de tout ça que maintenant, rappela-t-elle.

— Je ne savais pas encore si je pouvais vous faire entièrement confiance », se défendit Rneigl.

Il pointa son index.

« Dalen, tu le sais aussi bien que moi. Les Voyageurs ont, certes, lancé un assaut impressionnant, mais ils n'auraient jamais dû l'emporter aussi facilement. Ils étaient parfaitement informés de nos faits et gestes, il y avait une taupe dans nos rangs.

— Encore cette vieille histoire ? Tu crois vraiment qu'un de nos compagnons nous aurait trahis ?

— Ton refus de l'accepter faisait de toi un suspect de choix. »

Elle roula des yeux.

« Quant à toi, Stakis, reprit Rneigl...

— C'est toi qui l'as recruté, au départ, je rappelle, bougonna Dalen.

— Bien je t'aie effectivement recruté, tu restais un nouvel arrivant et aurais pu, malgré tout, travailler pour les Voyageurs. Néanmoins, tu as fait tes preuves, désormais, tu es vraiment l'un des nôtres.

— Je suis donc un Chevalier Onirique à part entière, maintenant ? s'enthousiasma le Zyssien.

— Il n'appartiendra qu'au maître de t'adouber, mais il n'aura aucune raison de refuser », l'encouragea Rneigl.

Il soupira.

« J'en arrive au dernier point. Grâce à toi, Stakis, les Kalendoriens ont capturé un Voyageur, Alfonsi, et leur capitaine de vaisseau a pu l'interroger. »

Thuran s'avança, un sourire sur les lèvres.

« En effet, confirma le Kalendorien, Alfonsi était bien le geôlier de cette femme, et j'ai pu accéder à toutes les informations la concernant. Son nom de code est 73B, elle est retenue dans un centre de recherches secret, en plein cœur de Barcad. Je vous fais transmettre à l'instant tous les protocoles de sécurité, la configuration et les codes d'accès du bâtiment. »

Rneigl haussa un sourcil étonné à la vue des documents qui s'affichaient de son côté.

« Vous... vous êtes sûr de vous ?

— Sûr de moi, confirma le capitaine, j'ai directement lu son esprit. Elle a été transférée dans une section à la sécurité plus... modérée suite à quelques... évolutions, comme vous pouvez le voir.

— Oh. »

Rneigl s'arrêta quelques instants, le visage assombri.

« Un problème ? » demanda Dalen.

Il passa une main dans ses cheveux.

« Je... je préfère d'abord voir, on en reparlera. Je me charge déjà de la libérer.

— Il s'agissait de la volonté de feu le Général Chef, rappela Thuran. Néanmoins, c'est la dernière faveur que Zagnar vous accorde. À partir de maintenant, nous suivrons nos voies séparées ; n'oubliez pas non plus qu'en Kalendor, la tête de Galaniel est mise à prix. Si vous empêchez le travail de nos soldats, vous serez traités en conséquence.

— J'ai compris, maugréa Dalen.

— Et moi, de mon côté, qu'est-ce que je suis censé faire, maintenant ? demanda Stakis.

— Pour l'instant, il vaut mieux que tu restes sur Oriale avec Dalen, répondit Rneigl. Continuez d'étudier votre piste, si possible.

— Très bien.

— Avec un peu de chance, peut-être serons-nous, la prochaine fois, réunis par le Maître en personne, quel qu'il soit. »