XI-1 : La captive des anges

Autrefois ange, Enlil tuait désormais pour son plaisir, piétinait les conscients et réduisait les survivants en esclavage.

L'archange Mikhaïl le dénicha sur le village d'une planète reculée. Entre les corps encore chauds, quelques êtres apeurés, à genoux, lui servaient viande et alcool. À la vue de l'arrivant, le visage gris d'Enlil blêmit.

« Que viens-tu donc faire jusqu'ici, Mikhaïl ? Serais-tu, toi aussi, prêt à rejoindre les rangs de Samuel ? »

En l'attente d'une réponse, il contempla le skter. Les antennes vertes frémirent, les yeux à facettes restèrent insondables. Enfin, des pensées coulèrent le long de son esprit.

« Je suis Mikhaïl, le premier des archanges, et je viens mettre fin à tes crimes.

Ah ! Seul Samuel est premier, nul autre ne lui arrive à la cheville. Tu...

— Samuel n'est pas ici, il ne te sauvera pas. »

Les longues pattes se détendirent. Enlil, engourdi par son festin, n'évita pas la chitine. Des pinces transpercèrent ses bras, l'immobilisèrent contre un mur.

« Est-ce là donc votre nouvelle manière d'agir ? beugla l'ange déchu. Vous ne valez pas mieux que nous ! Où sont donc passées votre pitié, votre compassion ?

— Ô Enlil... »

La face insectoïde se rapprocha. Les pensées brûlantes cognèrent sa tête.

« Tu as commis le pire crime qui soit, tes mains pleurent le sang des anges. Tu as toi-même brisé tous nos principes, abandonné toute pitié, toute compassion. Tu as renié la Lumière, embrassé les Ténèbres et, en conséquence, tu t'es aliéné l'ensemble de tes droits. Plus personne ne te doit rien, ne te devra plus jamais rien. Tu as fait des autres ce que tu voulais, je ferai te toi ce que je veux. Vous avez voulu nous briser, nous vous briserons, vous avez voulu nous détruire, nous vous détruirons. Vous avez désiré la Guerre, vous connaîtrez la Guerre. »

Grand Livre de la Lumière, La rétribution de Mikhaïl


Orbite d'Oriale, vaisseau mère kalendorien, une semaine après la mort du Général Chef

Alfonsi cracha du sang.

« Vous... dirai... rien... »

Son tortionnaire planait face à lui, comme un spectre noir dans l'apesanteur du vaisseau. L'armure fit jouer l'articulation de son poignet, et tourna autour du captif, attaché à une chaise fixée. Le Voyageur apparaissait en piteux état. Avachi, la tête baissée, en partie ensanglantée, les mains attachées dans le dos. Ses vêtements arrachés laissaient entrevoir des marques de coups et blessures.

Le Kalendorien attrapa les cheveux poivre et sel de son interlocuteur pour redresser son visage tuméfié.

« Aucun homme ne peut, dans ses conditions, résister indéfiniment à l'intrusion mentale d'un A.O.M.. Et, sans votre Pierre, vous n'êtes plus qu'un homme. »

Le Voyageur ne répondit pas, puis la présence ennemie s'infiltra de nouveau dans son esprit ; il tressaillit.

« Ah, votre complexe de recherches, voilà un début. Sauf que je le connais déjà, vous allez devoir me donner plus de détails.

— Que... comment...

— Je suis déjà au courant, dans les grandes lignes, de vos sales petits secrets. »

Il s'arrêta, décrypta une pensée mal protégée, puis esquissa un sourire.

« Tiens, tiens, voici qui intéressa nos amis Chevaliers Oniriques, par exemple.

— Vous n'êtes... que des barbares.

— Vous pouvez parler, Alfonsi. Ce que vous subissez n'est rien en comparaison de ce que vous avez fait subir. Torturer une civile, même pour des expérimentations, vous vaudrait, en Kalendor, un passage en cour martiale.

— Une civile ? Elle ? »

Le Voyageur redressa la tête, les yeux rougis, soudainement emplis d'une bouffée de morgue haineuse.

« Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour la Lumière ! Je suis un représentant de Dieu ! Elle, elle n'est rien qu'un déchet, un suppôt des Ténèbres, tout comme votre Gé... »

Le coup au ventre brisa net sa tirade ainsi qu'une côte. Dans un craquement osseux, le Zyssien se recroquevilla en gémissant.

« Vous ne dites pas de mal de Sméarn Pteï ou vous allez vraiment le regretter », menaça le Kalendorien.

La main gantée de noir encercla le crâne de son interlocuteur.

« S'il ne tenait qu'à moi, vous seriez déjà mort, mais rien ne m'empêche d'user de méthodes encore plus douloureuses, si vous persistez à vous obstiner. Ici, vous n'êtes rien, et votre dieu ne viendra pas vous sauver. Maintenant, révélez-moi tout. ».


Orbite d'Oriale, vaisseau de transport zyssien, huit jours après la mort du Général Chef

La porte blanche coulissa, plusieurs armures noires flottèrent à l'intérieur de la pièce. Prostrés, les Zyssiens captifs relevèrent à peine la tête.

« Y a-t-il parmi vous un dénommé Stakis Lomen ? »

Quelques murmures interrogatifs parcoururent le groupe. L'interpellé redressa le regard par réflexe. Déjà, le garde noir s'arrêtait devant lui.

« Stakis Lomen ?

— Oui ?

— Veuillez me suivre. »

Le Zyssien hocha la tête, et agrippa des poignées pour suivre les Kalendoriens. Ils volèrent quelques instants entre les parois de métal, sans un mot, sans une information. Dans la tête du jeune homme résonnaient des questions sans réponse, des craintes persistances. L'opération ne s'était pas déroulée comme prévu. On aurait déjà dû le recontacter depuis longtemps. Le Général Chef...

Un Kalendorien actionna un interrupteur et les portes de la salle de commande s'ouvrirent. Les troupes noires gardaient les lieux en nombre, armes à la main. Seule une poignée vérifiait des paramètres sur les écrans, tant pour vérifier que comprendre le bon fonctionnement de l'appareil.

L'escorte de Stakis se mit au garde-à-vous devant un petit homme à l'embonpoint naissant et à la chevelure en partie dégarnie. Son visage joufflu, ses yeux rieurs lui affichaient un air sympathique. Il gratifia le Zyssien d'un sourire.

« Enchanté, Stakis Lomen, je suis Thuran Teron, le capitaine du vaisseau mère de Kalendor.

— Euh, enchanté.

— J'espère que votre captivité n'aura pas été des plus désagréables, car j'ai reçu de nouvelles directives, de la part du Général.

— Le Général ? Sméarn Pteï ? »

Un voile obscur traversa le visage du capitaine, avant qu'il ne reprenne avec la même bonhomie.

« Je veux parler de Zagnar Pteï, son successeur. »

Stakis resta inerte. Ainsi, Sméarn Pteï était mort ; contre toute attente, les Voyageurs avaient remporté la bataille.

« Je conçois que vous ayez un certain nombre d'événements à rattraper, concéda le capitaine. Mais, pour l'heure, il a été convenu d'une réunion avec les autres membres de votre... organisation.

— Les Chevaliers Oniriques ? Ils sont ici ?

— Le Général a accepté de vous laisser communiquer entre vous à la condition que je sois présent. »

Il prit son élan à partir d'un pilier et flotta jusqu'à une petite salle annexe, suivi par Stakis. Puis le Kalendorien referma la porte et alluma deux écrans. Sur le premier apparut une femme aux yeux de glace et aux cheveux blonds noués en chignon ; sur le second, un homme massif aux yeux sombres, le visage buriné, en partie mangé par une épaisse barbe brune.

« Dalen, Rneigl ! reconnut aussitôt Stakis.

— Contente de constater que tu vas toujours bien », commenta la Shawnienne.

Ses traits paraissaient tirés, plus que d'habitude.

« Que s'est-il passé ? reprit Stakis. J'ai cru comprendre que le Général Chef est mort ? »

Dalen hocha la tête.

« Il est mort sous mes yeux, confirma-t-elle. Galaniel l'a tué, avant de s'échapper avec une Pierre d'Origine.

— Il... Il... Quoi ?

— Je conçois qu'il a... quelque chose, avoua Dalen. De ma vie, je n'ai connu que peu de personnes capables de défier le danger comme il l'a fait. Et j'en ai connu encore moins capables de plier le destin à leur volonté. »

Stakis passa une main dans ses cheveux ébouriffés.

« Mais s'il va chez les Voyageurs, il va... ils vont...

— À supposer qu'il soit bien celui que vous pensez. »

La voix grave de Rneigl interrompit ses atermoiements.

« Les pages de l'Histoire regorgent de héros. Aussi incroyables qu'ils paraissent, ils ne font que dévier, à peine influencer son cours. Mais combien d'entre eux sont vraiment capables de la briser ? De saisir la plume et de rédiger un Nouveau Monde à leur image ? Il ne suffit pas de savoir se battre, d'avoir un peu de chance à un moment. L'Élu, la réincarnation de notre Maître, Gathor, devra accomplir ce que nul homme n'a réussi, ce que nul homme n'oserait envisager : la mort des dieux, la fin de l'Ombre et de la Lumière.

— Je... c'est notre seule piste, objecta Stakis.

— Non, c'est ta seule piste. Une piste inattendue, découverte par hasard grâce à ton infiltration du programme d'échange, mais pour autant intéressante. Beaucoup de tes éléments concordent, effectivement, néanmoins, en l'absence de certitude, nous devons rester ouverts, explorer toutes les possibilités.

— Tu ne l'as pas vu se battre, protesta Dalen.

— Non, je ne l'ai pas vu. Et cela ne change rien. Tant qu'il est chez les Voyageurs, il reste hors de portée, nous ne pouvons rien faire.

— Tant qu'il est chez eux, c'est vrai, reconnut Stakis. Mais il va revenir, non ? Nous pouvons encore le récupérer.

— Et que ferez-vous, s'il n'est pas celui que vous croyez ?

— Je le tuerai, assena Dalen. Si nous le laissons rejoindre les Voyageurs, il deviendra aussi dangereux que son père, peut-être même plus. »

Mal à l'aise, Stakis étendit les bras.

« Euh... je, nous ne sommes certainement pas obligés d'en arriver là. Galaniel est quelqu'un de raisonnable ; même dans ce cas, il nous écoutera peut-être.

— De ce que tu m'as dit, il avait surtout l'air d'une vraie tête de mule, expédia Dalen.

— Oui, euh...

— N'oublie pas ton allégeance, rappela Rneigl. Nous nous battons pour le bien de la Galaxie et, dans notre lutte, des sacrifices peuvent s'avérer nécessaires. J'ai cru comprendre que vous étiez proches, mais, s'il ne veut rien entendre, tu devras prendre les mesures qui s'imposent. Ou ce sera lui qui te tuera. »

Stakis déglutit. Tant que les dieux existeraient, la guerre et la souffrance continueraient de régner. Il se battait pour le bien de tous, alors pourquoi ces décisions lui apparaissaient-elles aussi difficiles ?

« Je... je ferai ce que je dois faire », articula-t-il.

Rneigl hocha la tête, Dalen releva un sourcil inquisiteur.

« Mis à part Galaniel, quelle piste aurions-nous, de toute façon ? reprit la Shawnienne.

— J'en ai peut-être une autre, sur Zyx. »

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