VIII-4 : Premier sang

Zagnar ramassa son épée, puis quitta les cachots au pas de course, avant de croiser des soldats, ainsi que d'autres gardes noirs.

« Faites boucler toutes les issues, ordonna le Général. Personne ne rentre, personne ne sort du palais. Si un vaisseau essaie de décoller, abattez-le sans sommation. »

Ses troupes masquaient mal leur inquiétude. Bien qu'indemne physiquement, le Général agrippait ses doigts au pommeau d'une lame rougie. Des traces de sang entachaient son costume noir, et, dans ses yeux, étincelait une obscure lueur, une rage sourde qu'il n'avait jamais connue.

« Où est Rhampsodis ? hurla le jeune homme.

— Dans... dans la salle des convives. »

Encore occupé à se goinfrer, à croire qu'il ne faisait que ça.

« Faites sonner l'alerte générale ! Nous passons au niveau de sécurité maximal !

— Je... à vos ordres, mon Général.

— Vous tous, vous me suivez, armes au clair ! »

Quelques minutes suffirent pour que retentisse la sonnerie stridente. Des portes blindées se refermèrent, les civils et serviteurs se mirent à l'abri.

Entouré de ses troupes, Zagnar n'avait plus peur. Il ordonnait, ils obéissaient. Il était le Général, ils étaient prêts à mourir pour lui. Ils le suivraient jusqu'au bout et lui marcherait dans les traces de son père.

Le jeune homme déverrouilla une grille blindée, puis ouvrit en grand la porte de la salle des convives.

Ses yeux se plissèrent ; il était là.

Affalé sur un fauteuil, le colosse grignotait une cuisse de poulet. Une poignée d'armures blanches l'entouraient, organisées en carré protecteur.

« Rhampsodis ! » tonna Zagnar.

Le regard goguenard se redressa vers lui, un sourire éclaira la face épaisse, et ne fit qu'amplifier la rage de Zagnar.

« Vous êtes coupable de tentative d'assassinat sur la personne du Général de Kalendor...

— Tentative d'assassinat, toujours les grands mots. »

Le colosse essuya ses doigts boudinés. Zagnar s'approcha, appuyé par sa cohorte. Il allait le tuer, il allait tuer cette brute arrogante, cet allié de pacotille. Les armures blanches dressèrent des haches, prêtes à se défendre.

« Baissez vos armes, bandes de crétins », grogna Rhampsodis.

Une hésitation parcourut les troupes, puis ses subordonnés s'exécutèrent. Le colosse se redressa de toute sa hauteur. Il apparaissait massif, encore plus que Karkòv, et dominait Zagnar de deux têtes. Pourtant, le plus effrayant n'était pas cette montagne de muscles, mais ce regard, ce goût du sang, cette avidité féroce, digne d'une bête sauvage.

Le jeune homme pointa son arme. Pour rien au monde, il n'aurait souhaité l'affronter seul, mais, heureusement, ses troupes l'accompagnaient, il était sur son sol, dans son propre palais. L'avantage lui revenait.

« Rendez-vous », ordonna-t-il.

En cas de résistance, le combat pouvait devenir bain de sang. À lui seul, Rhampsodis représentait une menace de première envergure.

« Oh, mais je vais faire bien mieux que ça. »

À la surprise générale, le colosse posa un genou au sol, puis posa un poing contre son torse.

« En ce jour, je vous reconnais officiellement comme Chef ; puissent les autres Généraux avoir la même présence d'esprit ! »

La déclaration prit Zagnar de court.

« Que... quoi ?

— Vous avez réussi ma petite épreuve, expliqua le Wienskrois.

— Votre petite épreuve ? s'étrangla le Kalendorien. Vous avez essayé de me tuer ! Deux gardes noirs sont morts !

— Et vous avez tué Karkòv ; vous m'avez prouvé avoir les épaules pour ce poste. »

Il se redressa.

« Je le lis dans vos yeux. Maintenant, vous avez tué, vous êtes prêt à tuer de nouveau. Aujourd'hui, vous avez connu votre premier sang, vous êtes devenu un homme, Zagnar. »

Le Kalendorien recula d'un pas.

« Je... vous avez aussi fait passer ce test à mon père ?

— Oh non. Lorsque nous avons conclu notre alliance, il avait déjà pris de nombreuses vies. Son regard était déjà celui d'un maître de guerre. »

L'arme de Zagnar trembla.

« Et Karkòv ? Et mes gardes ? Vous les avez sciemment sacrifiés ? »

Le Général évacua la question d'un mouvement de main.

« Karkòv était en probation. Il avait été condamné à mort pour dix-sept homicides, mais je l'ai fait sortir de prison parce qu'il savait à peu près se battre, et qu'il savait ce que c'était, que de tuer. Certes, il aurait pu constituer un bon élément, dans ma garde blanche, s'il avait réussi sa mission. Mais il est mort ; à la fin, seuls les plus forts règnent.

« Quant à vos gardes, c'était de leur ressort ; à eux de ne pas mourir, s'ils en avaient la force. Vous en perdrez encore de nombreux, dans la guerre qui se profile. Et vous en perdrez encore plus, sans doute même tous, sans moi à vos côtés. Comprenez une chose, Zagnar, nous sommes des Généraux ; nous avons tous les droits, y compris de prendre tout ce qui nous appartient : les possessions, les femmes, même les vies de nos concitoyens. Le peuple n'obéira que parce que nous sommes les plus forts, et vous m'avez montré cette force. »

Zagnar raffermit sa prise sur son arme, puis s'approcha de lui d'un pas impérieux. Les armures blanches s'écartèrent, indécises, Rhampsodis ne broncha pas. Le colosse resta même impassible lorsque le métal froid se posa contre sa gorge. Du sang injectait le regard de Zagnar.

« Vous avez besoin d'alliés, poursuivit le Wienskrois, et je serai votre meilleur soutien. »

À l'ouest menaçaient les amazones d'Octale, au sud, patientait l'Orcalie et, à l'est, la campagne contre le Neelhan se poursuivait. Zagnar ne pouvait se permettre un nouveau front, au nord, mais, pour autant, Rhampsodis méritait la mort.

« Très bien, s'entendit dire le jeune homme, Rhampsodis Ragl, Général du Wienskor, j'accepte votre allégeance.

— Je vous garantis que vous ne le regretterez pas.

— Mais je vous préviens, menaça Zagnar, à la première incartade, je jure que je vous exécute, vous et toute votre famille. »

Un large sourire éclaira la face du colosse.

« Je n'en attendais pas moins de vous, Général Chef. »


Poste de frontière kalendorien, une semaine après la mort du Général Chef

La femme en armure rouge contempla les décombres du campement fumant. Ses mains gantées se refermèrent sur une longue lame ensanglantée.

À ses côtés, la garde rouge, la garde d'élite de Brocélie, avait assuré sa sécurité toute la nuit durant.

Autour d'eux, l'avant-poste kalendorien n'était plus que ruines. Des cratères boueux défiguraient l'ensemble du camp, résultats d'une série de bombardements acharnés. Les lourds canons de défense gisaient au sol, brisés. Les baraquements saccagés en devenaient méconnaissables.

Aux tirs de missiles et de mitraille intensifs de la nuit avait, désormais, succédé un silence pesant, un silence de mort.

Incapables de tenir tête face à un tel déluge, leurs opposants avaient préféré se retirer, en vaincus. Seules des silhouettes rouges élancées sillonnaient désormais le ciel. Les vaisseaux noirs kalendoriens qui ne s'étaient pas repliés à temps gisaient maintenant çà et là. Leurs carcasses fumantes rejoignaient celles des barzacs démantibulés.

Les chars rouges avaient ensuite écrasé les reliquats kalendoriens. Machines de guerre implacables, à l'épaisse cuirasse, leurs triples tourelles avaient craché mort et dévastation.

Désormais, tous les points stratégiques étaient sécurisés. Seuls des bataillons légers s'occupaient encore d'achever les derniers îlots de résistance.

Une grande femme aux cheveux noirs coupés courts s'approcha d'elle. Ses insignes faisaient d'elle le Commandant de la garde rouge, son bras droit, Esmène Vlata.

Enfin, elle lui fit part de l'information, ou plutôt de la confirmation, tant attendue. Tous les Kalendoriens du campement étaient, désormais, morts ou capturés. L'avant-poste passait entièrement sous contrôle brocélien.

Octale retira son casque aux trois longues pointes acérées. Sa longue crinière rousse retomba sur ses épaules recouvertes d'écailles écarlates. Sur sa tête scintillait son A.O.M. personnel, diadème de rubis étincelant.

Elle se tourna vers ses troupes, le regard pétillant. Derrière elle, l'aurore l'irradiait de ses feux vermeils. Enthousiaste, elle brandit sa lame ensanglantée dans la lumière naissante.

« Soldats, nous serons les premiers à Epithaï ! »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top