VI-3 : La Stèle Universelle
Planète Shawn, Hyktacrite, dix-sept jours avant la mort du Général Chef
Zawhyk était ici, son mari était ici, dans ce bâtiment.
Ethmine rajusta son manteau blanc, puis avança dans le couloir froid. De part et d'autre l'encadraient des colonnes de marbre roses aux décorations dorées. Sur les murs, des flambeaux agitaient leurs lueurs pâles.
Un escalier en colimaçon rejoignait l'étage supérieur. Elle parcourut les marches de pierre blanche d'un pas calme, pour déboucher sur une vaste pièce. Plusieurs personnes attendaient déjà, et discutaient entre elles à voix basse. En face, une baie transparente offrait une vue imprenable sur la ville. Les quartiers administratifs et aisés s'élevaient en premier, avec leurs constructions de pierre cossues. Colonnades, statues, façades sculptées et même quelques tours s'érigeaient dans cette première zone. En plein centre s'étalait la place du Cristal, imposant monolithe de glace, vénéré depuis des temps immémoriaux. Une muraille de pierre cerclait l'ensemble, à l'origine pour protéger les habitants des bêtes sauvages. Avec le temps, les bâtiments s'étaient toutefois multipliés, et une seconde muraille avait été nécessaire. Entre les deux se serraient de petites maisons de pierres, aux toits plats ou peu inclinés. Mais, encore par manque de place, certaines bâtisses isolées commençaient même à s'ériger en dehors.
Ethmine leva son regard en direction du ciel. L'épaisse couverture nuageuse plongeait la ville dans une certaine pénombre. Quelques flocons se détachèrent pour tourbillonner dans le vent glacial. Dans les ruelles étroites, quelques enfants semblèrent s'enthousiasmer de cet événement.
La lourde porte de fonte ouvragée de la salle du Conseil s'ouvrit enfin. Les personnes présentes se précipitèrent à la rencontre des magistrats qui sortaient sans hâte. Le président menait la marche. Homme vif et solidement bâti, il arborait une barbe d'argent, ainsi qu'un manteau blanc immaculé. Son ton se fit calme et grave à l'annonce de leur décision finale.
« Nous avons longtemps délibéré, pesé le pour et le contre, et écouté les avis les plus variés et avisés qui soient... »
Il s'arrêta un instant dans sa déclaration, avant de reprendre.
« Au nom de notre chère contrée, et dans ses intérêts, nous avons décidé de rejeter l'idée d'une guerre contre Oriale. Ce conflit ne nous concerne pas, quand bien même nos amis zyssiens se trouveraient menacés par le Général Chef. Ainsi en a décidé le Conseil. »
Quelques pas en arrière, Zawhyk l'écoutait exposer les raisons de ce refus, les bras croisés, le visage résigné et fatigué. Il croisa le regard d'Ethmine, dans la foule, et sourit à son épouse.
« Cependant, poursuivit le magistrat-président, je rappelle aussi que les Shawniens du programme d'échange sont actuellement des résidents de Zyx. En tant que tels, ils ne sont donc pas soumis à nos décisions, mais doivent seulement se conformer aux lois de la Fédération. »
Un tumulte résonna dans la grande salle alors que les magistrats se retiraient. Zawhyk les quitta par quelques formules de politesse conventionnelles et sa femme le rejoignit pour le prendre dans ses bras.
« Je te croyais restée à Epadonas, avoua le Voyageur.
— Et manquer l'occasion de te voir ? Certainement pas.
— Comment va Marzog ?
— Il s'entraîne pour le tournoi des glaces de cette année. Comment va Galaniel ?
— Bien. »
Elle s'écarta.
« Ne me dis pas qu'il compte te suivre dans cette entreprise. »
Mal à l'aise, Zawhyk se gratta la nuque.
« Il a l'air décidé.
— Je n'aime pas ça.
— Moi non plus », soupira le Voyageur.
Elle lui attrapa la main.
« Ça risque d'être encore plus compliqué, sans l'appui du Conseil.
— Je sais.
— Et je suppose que tu es décidé, toi aussi. »
Zawhyk hocha la tête.
« Je ne serai pas seul ; il y aura deux autres Voyageurs : Seyer et Alfonsi.
— Mais le Général Chef est un Itinérant.
— Oui. Ce conflit était sans doute inévitable. »
Elle soupira. Même si Zawhyk affichait un masque rassurant, une pointe d'inquiétude luisait dans ses yeux gris. Ses bras l'étreignirent une nouvelle fois.
« Promets-moi que tu veilleras sur Galaniel, que tu reviendras, que vous reviendrez tous les deux.
— Je ferai tout mon possible, je te le promets. »
Elle mit ses bras autour de son cou et ils s'embrassèrent.
Pour la dernière fois.
***
Adossé contre une hutte, Galaniel referma ses doigts. Des étincelles bleutées crépitaient sur ses phalanges. En face de lui, Césape et Alyne se livraient un duel amical. Ils utilisaient pour seule arme deux bâtons de bois chacun, fournis par les villageois.
Quelques salvens étaient d'ailleurs restés pour observer, mais sans grand intérêt apparent, leurs visages nonchalants toujours masqués par leurs sempiternelles armures dorées.
Galaniel eut un sourire en repensant à la réaction de Césape vis-à-vis de la proposition d'Alyne. Fort des enseignements patriarcaux de son village, le gigan l'avait alors dédaignée. À ses yeux, cette frêle créature — féminine, de surcroît — n'avait pas la moindre chance face à lui. Le regard fulminant et outré de l'elfine l'avait alors décontenancé au point de le faire finalement accepter.
Le gigan s'était alors engagé sans appréhension particulière. Ses deux mètres de muscles et de fourrure lui procuraient un avantage certain. Néanmoins, il comprit bien vite qu'Alyne, de son côté, représentait une combattante hors pair. L'elfine esquivait ou détournait toutes ses attaques pour riposter ensuite avec une fougue et une précision insoupçonnées.
Césape ne tarda pas à enchaîner les assauts les plus élaborés dont il avait connaissance. Des mouvements toutefois élémentaires aux yeux de Galaniel, qui se désintéressa rapidement. Le gigan essayait de compenser son évident manque de technique par la seule force physique.
En vain.
Alyne s'accroupissait, se détournait, bondissait, se glissait par toutes les failles de sa défense sommaire. Elle jouait avec lui, et chacun de ses effleurements traduisait un coup mortel dans un véritable combat. Césape, inondé de sueur, soufflait de plus en plus fort sans même parvenir à intimider son adversaire insaisissable.
Mais cela n'intéressait pas Galaniel. Le jeune homme observait avec attention ses longs doigts fins aux phalanges repliées. Une chaleur indéfinissable naissait en son poing fermé.
Il le rouvrit.
Une belle flammèche orangée dansait sur la paume de sa main. Elle ne brûlait pas, mais lui procurait une chaleur rassurante.
« C'est la première fois, n'est-ce pas ? », l'interpella une voix féminine.
Galaniel sursauta. La flamme devint boule de feu qui lui échappa, et enflamma aussitôt une hutte de paille.
Galaniel se retourna en panique vers son interlocutrice, une salven en armure.
« Ne vous en faites pas, reprit-elle, votre coéquipière se charge déjà de réparer les dégâts. »
Une gigantesque sphère d'eau s'était formée au-dessus de la hutte, puis éclata pour noyer l'incendie naissant. Quelques habitants émergèrent de la fumée blanche. Au grand soulagement de Galaniel, tous semblaient indemnes, protégés par leurs armures.
Alyne contempla son œuvre avec un air satisfait, puis tourna vers Galaniel un regard sévère.
« Je peux savoir à quoi tu joues ? »
Galaniel resta hébété. Comme son père avant lui, il pouvait désormais utiliser la magie ; la pratique rejoignait la théorie.
« Ne le réprimandez pas, ce n'était qu'un accident, parlementa la villageoise. Vous devriez savoir que les Pierres d'Origine des non-magiciens sont parfois instables avant la Cérémonie. »
Alyne leva vers elle deux yeux surpris, comme étonnée qu'elle lui adressât la parole. Puis, sans lui accorder plus d'attention, elle se tourna alors de nouveau vers Galaniel. Le jeune homme, encore sous le choc, ne remarqua même pas son regard. Enfin, elle haussa les épaules et se détourna.
« Bon alors, on le reprend, cet entraînement ? »
Césape, haletant, à demi penché en deux, les mains sur les genoux, ne répondit qu'avec difficulté.
« Pas... tout de suite, haleta-t-il. Il ne faudrait pas trop se fatiguer avant d'affronter ce qui nous attend... Je vais faire une petite pause. »
Sans même guetter une réponse d'Alyne, il s'affala à distance, la respiration sifflante.
« Déjà ? marmonna Alyne, on s'est à peine échauffés. »
Césape grogna, renonçant à échafauder une phrase construite.
L'elfine se retourna vers Galaniel, dépitée, et eut un sourire plein de défi.
« Et toi ? J'espère que tu n'es quand même pas aussi mauvais en corps-à-corps qu'en magie... »
Un sourire, presque victorieux. Elle était sûre de sa force. Après avoir ridiculisé Césape, nul doute qu'elle ferait de même avec cet humain sans envergure. Enfin... s'il était assez fou pour relever le défi.
Galaniel redressa la tête, puis, finalement, s'avança. Sans doute était-il temps de se mesurer à un adversaire de la même trempe.
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