VI-2 : La Stèle Universelle
Ils attendirent quelques instants que la fumée se dissipe, avant de pouvoir distinguer à nouveau le village et ses habitants. Le cercle de flammes, entre-temps, avait disparu.
La vieille femme s'approcha d'eux. Sur son cou ridé et ses poignets osseux dansaient d'innombrables ornements, pendentifs, et autres talismans. Elle s'arrêta devant eux, et Galaniel eut l'étrange sensation que ses yeux pourtant aveugles les dévisageaient.
« Je vous souhaite la bienvenue dans ce village, à vous, qui prétendez devenir des anges. Les salvens vont vous accompagner à la demeure qui vous a été réservée. Reposez-vous-y autant que vous le désirez, mais faites-nous l'honneur de vous joindre à la Cérémonie de ce soir. »
Sans un mot, des créatures à l'armure dorée les encadrèrent pour leur montrer le chemin. Ils traversèrent le village au sol sablonneux, puis s'arrêtèrent devant une hutte de paille. Sans un mot, les salvens s'écartèrent pour laisser rentrer les trois arrivants.
En plein centre, Galaniel remarqua aussitôt la table garnie de mets variés et appétissants. À en juger par le sourire d'Alyne, ainsi que le regard radieux de leur troisième compagnon, il n'était pas le seul à apprécier l'initiative.
Le jeune homme attrapa un fruit vert oblongue dont il entreprit de découvrir la saveur inconnue. De son côté, l'inconnu ne l'avait pas attendu pour commencer.
« Habituellement, annonça Alyne dans sa langue suave, ce moment est l'occasion de faire connaissance pour les anges en devenir. Nous risquons d'avoir un bout de chemin à effectuer ensemble, alors autant nous présenter tout de suite. »
Son regard s'appuya sur l'inconnu qui mordait à pleines dents dans un gros fruit rose. Il ne sembla pas le remarquer tout de suite, et ne releva la tête qu'après un moment de silence.
« Miom, qu'echque vous dijiez ?
— Je disais que j'aimerais peut-être connaître au moins votre nom, si ce n'est pas trop demander.
— Ah, mon nom, répondit-il en s'essuyant la bouche. Je suis l'intrépide Césape Victorèle, le pourfendeur de dragons. Ah, et comme vous êtes apparemment des créatures dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à ce jour, je pense vous apporter une information si je vous dis que je suis un gigan. Et comme vous êtes vraiment bizarres à tel point que je me demande si vous n'êtes pas des créatures d'un autre monde, peut-être cela vous intéresserait-il de savoir que je viens de Gigarosia. Mais mon incommensurable notoriété se serait-elle déjà étendue jusqu'à vos chastes oreilles ? »
Alyne et Galaniel s'échangèrent un regard perplexe. Le nom de leur interlocuteur leur était à tous deux inconnu, de même que son espèce ou même sa planète natale. Césape n'y prêta toutefois pas attention alors qu'il se corrigeait.
« Enfin, pourfendeur d'un dragon pour être plus exact, mais cela n'enlève rien à l'héroïsme de cet exploit. Vous avez seulement déjà vu des dragons ?
— Jamais, avoua Galaniel.
— Une seule fois, répondit Alyne. Grand comme une montagne, et à la sagesse millénaire. On le nomme le Matayella. »
Césape ouvrit des yeux étonnés.
« Je n'en aurais pas dit autant du mien, mais il n'en demeurait pas moins impressionnant, et redoutable. On le nomme, pardon on le nommait, euh... la Sale Bête, je crois. Et vous, vous êtes qui ?
— Alyne ol'Astyn. Je suis une elfine de la Cité Céleste.
— Et moi Galaniel Zawhyka Espan, un humain de Shawn. Ravi de faire votre connaissance. »
Un court silence s'installa, rompu presque aussitôt par Césape.
« Euh, enchanté ; sinon à part ça l'un de vous sait-il ce que l'on fait ici ? »
Alyne eut un mouvement de surprise. Galaniel, quant à lui, se sentit rassuré de ne pas être le seul à qui manquaient quelques données.
« Mais comment pouvez-vous prétendre rejoindre les anges et tout en ignorer ?
— Je ne prétends rien du tout, je ne sais pas ce que je fais ici. Je n'ai rien compris à l'accueil de tout à l'heure ni ce qui a précédé, d'ailleurs. Actuellement, je me demande même si je ne suis pas mort ou en train de dormir. Mais si je dors, il faudra vraiment que j'écrive tout ça à mon réveil ; j'ai vraiment une sacrée imagination.
— Tu ne peux quand-même pas ne jamais avoir entendu parler des anges ! s'emporta Alyne. La Grande Déesse ? Les Voyageurs ?
— Jamais avant d'arriver ici », confirma Césape.
Elle l'observa un instant, une lueur d'incompréhension dans le regard. Son ton était portant sincère. De quel endroit reculé de la Galaxie pouvait-il donc provenir ?
« Sans doute ce moment de répit est-il aussi destiné à échanger des informations, une fois les présentations effectuées », parlementa Galaniel.
Alyne soupira, s'assit sur un tabouret, puis entreprit de leur expliquer la situation.
Les anges, ou les Voyageurs, comme certains les appelaient, possédaient chacun une Pierre d'Origine, un don de la Grande Déesse qui leur permettait non seulement d'invoquer Ses pouvoirs, mais aussi de se déplacer d'un monde à l'autre. Ces bénédictions leur permettaient ainsi d'aider les peuples sous leur protection et de lutter contre le Mal, incarné par les apôtres de Moloch, dieu autoproclamé des Ténèbres.
De cet affrontement dépendait l'avenir de la Galaxie.
« Eh ben, c'est un vaste programme, siffla Césape.
— Et c'est surtout un honneur que d'avoir été appelé par la Grande Déesse pour participer à cette noble tâche. Vous avez d'autres questions, sinon ?
— Moi, j'en ai une, reprit aussitôt Césape. Tu nous parles d'anges, ou de Voyageurs, et c'est très intéressant, mais c'est qui les gens de ce village ?
— Les villageois sont les salvens. Ce sont des serviteurs de la Grande Déesse. Quant à la femme qui nous a accueillis, il s'agit de la Grande Prophétesse. Elle ne fait pas partie de l'Ordre à proprement parler ; elle est juste ici pour accueillir les nouveaux prétendants.
— J'aurais aussi une question, reprit Galaniel. Lorsque nous étions devant la Stèle Universelle, nous avons reçu les connaissances nécessaires afin de nous comprendre mutuellement.
— C'est cela.
— Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Césape a été le seul à sembler... possédé, et à écrire sur celle-ci. »
Alyne marqua un temps d'arrêt.
« La Stèle Universelle, reprit-elle, regroupe les langues de tous les anges, depuis la fondation de l'Ordre. Je crois que si un nouveau prétendant utilise un dialecte différent, il doit l'apposer à son tour. Ce n'est qu'ainsi que ses congénères pourront le comprendre.
— Cela signifie que je suis le premier de mon peuple à devenir Voyageur ?
— Sans doute.
— C'est la top-classe ! » s'enthousiasma-t-il en lançant un fruit en l'air.
Galaniel resta pensif, tandis qu'Alyne observait avec consternation Césape croquer à pleines dents son repas. Suivant ces explications, au moins un Voyageur avait donc déjà fait usage du shawnien et de la langue unifiée. Il pensa de nouveau à son père, qui, lui aussi, avait fait partie de cet ordre.
Il marchait dans ses pas.
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