IV-2 : L'Antichambre céleste
Une membrane translucide recouvrait l'ouverture ; seules quelques formes indistinctes se laissaient entrapercevoir. Le Shawnien jeta un dernier regard en arrière. Le Titan avait repris son rôle de statue immobile, et ne lui donnerait pas plus d'informations.
Pas le choix, de toute façon. Galaniel inspira une fois et s'engagea.
Le passage lui fit l'effet d'une gelée froide et désagréable. Il préféra fermer les yeux alors que la texture répugnante épousait le contour de son visage. Il ne se décida à les rouvrir qu'après avoir achevé sa traversée. Derrière lui, la gangue se résorba dans un bruit de succion abject. L'ouverture se résorba pour se dissiper en flocons dorés.
Ses pieds foulaient une lumière blanche éblouissante. En apparence inconsistant, le sol n'en supportait pas moins son poids. Le jeune homme cligna les yeux pour s'habituer, tourna la tête.
Il n'était pas seul.
Une silhouette frêle se détachait face à lui, vêtue d'une tunique blanche brodée d'argent. De loin, sa stature ressemblait à une humaine, mais sa morphologie démentait cette première impression. Son nez fin se noyait dans la neige de son visage, de même son menton s'effaçait, lisse et plat. Des cheveux blancs retombaient sur ses épaules, et masquaient en partie des oreilles triangulaires arrondies. Enfin, deux immenses yeux en amande resplendissaient d'un bleu de glace.
Galaniel resta un instant immobile, le souffle court. Jamais il n'avait rencontré, ni même entendu parler, de créature semblable auparavant. S'agissait-il d'une Voyageuse ? Ou bien, comme lui, d'une prétendante ?
Le jeune homme écarta les mains en signe de paix.
« Qui que vous soyez, je ne viens pas en ennemi », déclara-t-il.
Elle lui répondit dans une langue mélodieuse, dont il ne comprit pas le moindre mot. À l'évidence, elle n'avait pas grandi sur Shawn ou Zyx, ni même probablement Oriale. Son monde d'origine pouvait se situer bien au-delà du Système.
Galaniel abandonna son dialecte shawnien et, en désespoir de cause, tenta la langue unifiée de la Fédération. Sans grand succès, au vu de l'expression de son interlocutrice.
L'inconnue esquissa un sourire navré, puis ses bras entamèrent des gestes à la signification hermétique. Elle abandonna finalement de même, et préféra rester à quelques pas de distance, immobile, comme pour parer à toute éventualité.
Le fait de se retrouver tous deux en ce lieu faisait sans doute d'eux des alliés, néanmoins, le Shawnien se prit à songer que sa propre apparence n'incitait guère à la confiance. Un casque ébréché masquait à moitié son visage, mangé par une barbe de trois jours ; enfin, de la boue et du sang maculaient sa combinaison noire rapiécée.
Ses yeux s'arrêtèrent sur un éclat métallique, deux armes luisantes, dorées, fixées dans le dos de l'inconnue. Pour arriver ici, elle avait dû obtenir une Pierre, tout comme lui, triompher de redoutables épreuves.
Elle sembla hésiter, puis, dans un soupir, ferma les yeux. Galaniel tressaillit lorsque l'esprit inconnu effleura le sien. Non, pénétrait le sien.
Comme avec le Général Chef.
Pris de panique, le jeune homme agita ses pensées en désordre. Une onde glaciale coulait dans sa tête ; un frisson désagréable le parcourut.
« Calmez-vous, je ne vous veux pas de mal. »
La cacophonie mentale du Shawnien s'apaisa. Contrairement au Général Chef, qui détruisait tout sur son passage, la présence restait prudente, mesurée. Des ramifications se déployaient avec délicatesse, évaluaient la topologie, contournaient, se rétractaient, sans pour autant imposer leur présence.
« Je... je vous comprends, maintenant, remarqua Galaniel.
— Les pensées sont universelles. Votre cerveau ne fait rien de plus que les exprimer dans vos propres mots. »
Il n'entendait pas seulement ses mots, mais aussi une partie de ses intentions. Elle ne portait aucune agressivité, seulement une forme de curiosité à son égard. De défiance, aussi, peut-être. Même si elle connaissait l'humanité de nom, Galaniel était le premier représentant qu'elle rencontrait.
À ses pensées s'associaient les souvenirs d'un monde inconnu. Les fragrances de jacinthe et de jasmin ; le doux écoulement de notes de harpes ; la couleur du marbre, du cristal ; le chant clair des chorales. Bientôt se précisèrent les contours d'une cité démesurée. Des tours d'albâtre s'effilaient vers un ciel translucide de lapis-lazuli étincelant. Un entrelacs dense de ponts ouvragés traversait des gouffres abyssaux pour les relier les unes aux autres.
Toutes les constructions, ouvertes par des vitraux aux dominantes bleutées, scintillaient de mille feux. Leurs faces taillées réfléchissaient le moindre rayon à l'infini. La cité toute entière se trouvait nimbée d'un halo de lumière irréel, presque insoutenable. Dans les hauteurs se multipliaient les jardins suspendus dans lesquels s'étalaient des feuillages au bleu violacé.
« Je me dénomme Alyne ol'Astyn. Ce que vous entrevoyez ici est mon monde natal : la Cité Céleste. »
Le dialogue mental ramena Galaniel à la réalité. À son tour, il présenta son identité.
« Pour ma part, je m'appelle Galaniel Zawhyka Espan, enchanté de faire votre connaissance. »
Il rassembla des souvenirs au sujet du village de son enfance.
Un modeste regroupement de chalets en bois se massait au bord d'un ravin vertigineux. Des barricades sans prétention entouraient l'ensemble endormi sous un épais manteau neigeux. Quelques cheminées fumaient çà et là, seules preuves de vie de ce village pour l'instant en léthargie. À quelque distance se dressaient des arbres majestueux, le feuillage habillé de blanc. Quelques flocons descendaient du ciel dans le plus parfait silence.
« Voici le village de mon enfance : Epadonas », annonça Galaniel alors que la vision se précisait.
Il laissa son interlocutrice découvrir les vastes étendues sauvages enneigées. Le paysage alternait plaines argentées, forêts de hauts conifères, ainsi que des à-pics, ravins, ou montagnes. Souvent, le relief donnait naissance à des pentes plus ou moins uniformes. Les Shawniens prenaient alors plaisir à les dévaler, leurs pieds ajustés dans de larges skis triangulaires.
« Maintenant, hasarda Galaniel, impatient d'avoir des réponses, sauriez-vous par hasard où nous nous trouvons ?
— Mais dans l'Antichambre, bien sûr, lui répliqua aussitôt Alyne, interloquée. C'est ici même que commence le périple initiatique des anges. »
Galaniel demeura perplexe. Alyne se sentit obligée de lui fournir des informations supplémentaires.
« Les anges, les Voyageurs, si vous préférez. La Cité Céleste organise une série d'épreuve chaque décade, de sorte à désigner une élue, celle qui rejoindra les rangs de la Déesse. Le Matayella lui remet ensuite une Pierre d'Origine. »
L'œuf grisâtre se matérialisa dans l'esprit de Galaniel. Deux orifices de pierre restaient fermés et ressemblaient à des yeux endormis. Un artefact similaire à ceux de son père, Zawhyk, ainsi que du Général Chef. La source du pouvoir des Voyageurs, mais aussi de leurs ennemis.
« Si vous êtes ici, c'est forcément que vous en avez une, vous aussi.
— Oui », acquiesça Galaniel, sans entrer dans les détails.
Le Shawnien préféra changer de sujet.
« Sinon, savez-vous combien de temps nous allons rester ici ?
— Nous patienterons le temps que la Grande Déesse juge nécessaire. »
Galaniel n'eut pas le temps de poser davantage de questions que s'effaça l'esprit d'Alyne. Le Shawnien rouvrit les yeux, puis s'assit sur le sol rigide, bien décidé à prendre son mal en patience. Ses doigts se refermèrent sur la Pierre d'Origine. Rien ne la distinguait d'un vulgaire caillou si ce n'était cette aura étrange, ce pouvoir latent, qu'il pressentait. Combien d'autres épreuves l'attendaient encore, avant de pouvoir rejoindre ces anges, rencontrer leur Déesse ?
Peu importait.
Quelles que soient les épreuves, il rejoindrait les Voyageurs, comme son père avant lui. La menace des Ténèbres planait toujours et, malgré la mort de Zawhyk, Zyx et Shawn auraient encore besoin des pouvoirs de la Déesse.
Il aurait besoin de ces pouvoirs.
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