IV-1 : L'Antichambre céleste

« Nous sommes nés de la Terre, façonné d'argile, clamèrent les Titans. Dans chacun de nos cœurs résonne le cœur du Monde. Cet Univers est nôtre à prendre, que toutes les races ploient et s'agenouillent devant nous. »

Alors le Soleil embrasa le ciel ; les nuages tremblèrent sous le Verbe divin.

« Vous n'êtes nul maîtres ; je vous ai créés gardiens de ce Monde, protecteurs de ses habitants. »

Un seul Titan, figé par l'intervention divine, s'agenouilla, poings au sol, tête penchée.

« Pardonnez-moi, mon Créateur. Mais notre peau est de roc, indestructible à tout assaut. Nous sommes bien trop grands, bien trop forts, bien trop différents, pour nous fondre parmi nos protégés. Je sais que nous ne sommes rien, face à vous, mais il est facile de l'oublier, alors qu'eux-même ne peuvent rien, face à nous. »

Mais les autres Titans refusèrent d'entendre raison.

« Assez ! Il n'y a pas de Dieu ! Nous sommes nos propres dieux ! Et les races inférieures ne méritent que de nous servir comme esclaves !

Alors le Soleil rejoignit la Terre.

« Vous êtes nés de la poussière et, comme toute chose en ce Monde, vous retournez à la poussière. »

Et les montagnes disparurent, la roche s'effrita en sable. Seul resta le Titan repenti, tremblant face au Jugement divin, aussi faible, aussi vulnérable qu'un nouveau-né.

« Relève-toi, Raghlöor. Il est venu le temps, pour les anciennes créatures, de se retirer du Monde, mais, toi, tu es digne de Me servir, et tu continueras, encore, pour les siècles à venir. Aux Titans succéderont les anges, que je choisirai parmi les mortels, et ces anges porteront Ma parole. Deviens l'épreuve de leur foi, de leur bravoure. »

Grand Livre de la Lumière, Le jour du Ragnarok


Entraîné par une force irrésistible, Galaniel flottait dans un long couloir aux tons multicolores. Encore que la notion même d'avancée paraissait difficile à quantifier, voire identifier, dans ce flou psychédélique.

Une chaleur apaisante l'envahit peu à peu, dans son corps, la douleur reflua. Le Shawnien porta la main à son bras gauche. Les plaies se refermaient, un copeau de métal ressortit avant de se perdre dans la lumière. Une balle kalendorienne.

Sous la combinaison noire déchirée, ses doigts parcoururent la peau redevenue lisse. Plus la moindre marque, pas même une cicatrice.

Un instant, le jeune homme se demanda s'il n'était pas mort. Le champ de bataille, Oriale, les Généraux... tout avait disparu, comme un mauvais rêve.

Il baissa le regard. Dans sa main reposait toujours l'artefact de son père, mais, désormais, la pierre ovoïde palpitait de nouvelles couleurs, comme en résonance avec ce nouvel environnement.

Peu importait ce lieu étrange. Il était vivant, il allait sans doute même pouvoir rencontrer d'autres Voyageurs, des représentants de la Déesse Cristal, et les avertir de la menace imminente.

D'autres arrivent. Les Itinérants... les Ténèbres... leurs vaisseaux veulent Zyx.

Les dernières paroles de son père résonnaient encore à ses oreilles, porteuses d'un funeste présage. Il ferma le poing ; Sméarn ne représentait qu'un Itinérant parmi tant d'autres. Et, désormais, Zawhyk n'était plus.

Les lueurs s'atténuèrent jusqu'à ce que se dissipe le couloir. Une grande coupole lui succéda, soutenue par d'innombrables piliers et arcades en pierre grise.

Le Shawnien avança sur les dalles de pierre qui pavaient le sol. La salle apparaissait vide et déserte ; seul un épais rocher trônait au centre.

Alors que Galaniel s'approchait, les détails se précisèrent pour révéler une statue de pierre renforcée de métal. Sans doute la représentation d'un quelconque guerrier légendaire, non sans une certaine exagération. Une carrure imposante, des épaules démesurées, pour un corps massif et parallélépipédique. Au sommet trônait une grande tête aplatie, pourtant chétive en comparaison.

Un frémissement parcourut la statue ; Galaniel recula d'un bond.

Sous ses yeux éberlués, le colosse de pierre se redressa de toute sa hauteur. Par réflexe, Galaniel balaya la pièce du regard, en quête d'une échappatoire. De grandes portes de métal perçaient les arcades. Peut-être de possibles issues de secours, mais toutes rendues distantes par l'immensité de la salle.

Une présence ancestrale, la force d'un autre temps effleura son esprit. Une voix puissante résonna directement dans sa tête :

« Ô toi, dont les pas ont atteint l'orée du Monde, es-tu digne de fouler ce lieu éternel ? »

Galaniel resta figé. La créature s'avança lentement ; le sol trembla sous chaque pas.

« Ici, des siècles d'Histoire nous contemplent. Car tous les chemins mènent ici, tous les chemins commencent ici. Je suis Raghlöor, le dernier Titan, et juge du Passage. Derrière moi s'écrivent les légendes, bonnes comme mauvaises, l'Ombre et la Lumière. Toi, quel est ton nom ? »

Des souvenirs de son père se rappelèrent à sa mémoire. Zawhyk avait bien mentionné différentes épreuves, pour devenir Voyageur. Posséder une Pierre ne suffisait pas.

Un rictus nerveux parcourut le visage de Galaniel. Son père avait-il dû, lui aussi, affronter pareil monstre ? Une montagne de pierre et de métal se dressait face à lui, l'expression même d'une force brute et impérieuse.

« Je suis Galaniel Zawhyka Espan », articula le jeune homme.

Les battements de sa poitrine s'intensifièrent. Son père avait triomphé, en son temps, puis reçu un pouvoir capable de tenir tête aux Ténèbres, voire même de les renverser.

D'instinct, le Shawnien porta la main au fourreau de son épée. Vide. Son arme reposait sur le champ de bataille, dans le corps du Général Chef. De même, il ne disposait plus de son pistolet-mitrailleur, mais juste de quelques balles de rechange, désormais inutiles.

Galaniel esquissa un rictus nerveux. Comme dernier recours, le jeune homme possédait seulement une simple dague, qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'utiliser. Néanmoins, il avait déjà pris sa décision.

Les pieds solidement ancrés au sol, il attrapa le pommeau dans ses deux mains et darda la pointe effilée vers le Titan. L'arme paraissait ridicule en comparaison, mais, bien utilisée, aurait peut-être plus de chances de percer la carapace de roc. Néanmoins, le combat, à courte portée, devenait d'autant plus périlleux.

« Je suis venu ici pour rejoindre les rangs des Voyageurs », clama Galaniel d'une voix forte.

Il empêcherait l'invasion, repousserait les Ténèbres et, pour ce faire, utiliserait tout le pouvoir à sa disposition. Le Général Chef était mort par sa main, les autres suivraient, il ne laisserait aucun accomplir ces noirs desseins.

Il ne laisserait pas Zawhyk être mort en vain.

« Galaniel ! Les faibles n'ont guère de place ici, prouve-moi donc ta vaillance ! », tonna le Titan.

Le colosse se rua sur Galaniel, qui esquiva de justesse. La montagne de pierre et de métal se mouvait avec une vivacité pourtant incompatible avec son apparence lourdaude. Le jeune homme baissa la tête presque par instinct, évita un impressionnant bras de pierre, riposta.

Une main, sur le manche, dirigeait la dague, et une paume, à l'extrémité, conférait toute la force. L'acier rencontra l'épaisse peau de roc.

Rebondit.

Sous la violence du choc, l'arme échappa des mains de Galaniel. Les yeux agrandis par la surprise, le Shawnien put seulement la voir virevolter, hors de portée, avant de rebondir au sol dans un bruit métallique. Pas même une égratignure.

En réponse, un poing démesuré projeta Galaniel plusieurs mètres en arrière.

Loin de s'avouer vaincu, le jeune homme se redressa, les côtes et bras douloureux, et ramassa son arme. Aussitôt, il évita un nouveau coup qui percuta le sol dans un bruit sourd. À son tour, le Shawnien se rua sur la seconde main pour la frapper de toutes ses forces.

Le choc le fit rebondir en arrière, mais décontenança le Titan l'espace d'un instant. Galaniel en profita pour le contourner pour bondir aussitôt sur son dos.

Ses doigts glissèrent sur la carapace luisante et sans aspérité. Il essaya de planter sa dague dans une jointure pour affermir sa position, mais un mouvement de coude lui fit lâcher prise.

Le jeune homme chuta, roula au sol pour éviter une nouvelle attaque. Il tenta de se relever, mais encaissa à moitié un autre coup. À demi étourdi, il recula et fit siffler son arme à l'aveugle, sans atteindre son adversaire. Déjà, le colosse se ruait vers lui.

D'un seul geste, la montagne de pierre arracha son arme des mains. L'instant d'après, Galaniel perdait l'équilibre, et une main puissante l'écrasait au sol. Immobilisé.

« Fin du test. Durée : 78 secondes. »

La pression du Titan se relâcha, Galaniel reprit son souffle.

« Lumière ou Ténèbres, fais ton choix, maintenant. »

Sans plus d'explication, le colosse rejoignit le centre de la pièce de son pas lourd, pour reprendre sa position initiale.

Galaniel se redressa. Malgré les assauts furieux du Titan, aucune trace de l'affrontement ne subsistait. Le sol gris et lisse n'offrait pas une fissure, pas même une aspérité ; même l'impressionnante statue adoptait une posture identique.

Seuls ses membres endoloris rappelaient, avec une certaine insistance, la réalité du combat. Le jeune homme effectua quelques pas, puis ramassa son arme. L'acier ne semblait pas avoir souffert, malgré les contraintes subies.

Enfin, il releva la tête. Entre les grandes arches de pierre, de part et d'autre de la pièce, deux ouvertures remplaçaient désormais les portes de métal. L'une, à sa droite, irradiait d'une blancheur immaculée, l'autre, à gauche, exsudait ses volutes sombres.

Lumière et Ténèbres.

Devenir Voyageur restait un choix, comme celui de devenir Itinérant. Le poing crispé, Galaniel contempla quelques instants la noirceur tentatrice. Quelle genre de personne pouvait-elle décider, en âme et conscience, de prendre une telle voie ? Les apôtres de l'Obscur n'avaient aucune excuse, pas plus que d'humanité.

Sa décision s'avérait finale, évidente ; il accomplirait tout son possible pour mettre fin à l'oppression des Ténèbres. D'un pas décidé, le jeune homme s'avança vers la Lumière.

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