II-5 : Les anges ennemis

La créature et le Shawnien se heurtèrent de plein fouet. Galaniel fut projeté en arrière, sa plaque protectrice arrachée des mains. Le jeune homme se réceptionna comme il put au sol tandis que son bouclier rebondissait au loin, méconnaissable.

Un grondement secoua la terre. Des pans de glace se détachèrent, tombèrent en désordre. Par réflexe, Galaniel chercha les magiciens du regard. Des cadavres tapissaient le sol, près du deuxième monstre de flammes. Quelques magiciens ripostaient, seul Qnaua essayait encore de maintenir l'édifice.

Le jeune homme évita une pince de métal. La créature le cherchait, bien que désormais erratique, désordonnée. Galaniel se redressa, recula, prudent.

Le monstre chancelait. Sur la carcasse de métal, des flammes vacillèrent, un peu de magie se dissipa. Le Général Chef faiblissait, du moins l'espérait Galaniel. La créature tenta un pas, un deuxième, puis se disloqua, s'effondra sur elle-même.

Un nouveau tremblement parcourut la glace. Des fissures se propagèrent de toutes parts, des blocs entiers s'effondrèrent ; la structure ne tiendrait pas une nouvelle salve. En représailles, un magicien abattit un éclair sur le deuxième monstre. Le feu se noya sous la pluie, les morceaux de métal retombèrent au sol.

Galaniel courut jusqu'aux derniers Shawniens. Le maître magicien Qnaua étendit les bras. Alors que s'effondrait l'architecture blanche, de nouveaux remparts émergèrent du sol, plus fins, plus rudimentaires.

« Je ne pourrai pas les retenir indéfiniment, prévint-il. Si Zawhyk ne remporte pas son combat dans la minute, nous allons devoir les affronter. »

Une première salve détruisit le premier mur, puis une deuxième le second. Qnaua posa un genou dans la boue, érigea en hâte une nouvelle protection. Un char traversa la fine barrière de glace.

La respiration du magicien s'accéléra. Des flammes bleues dansèrent le long de ses mains.

« Zawhyk, on te donnera tout le temps qu'on peut, murmura-t-il. Mais on arrive au bout, alors dépêche-toi. »

Près du cadavre de l'Araignée, la sphère noire restait immobile, luisante et inquiétante. Le magicien dévia un premier obus d'un mouvement de main, souleva son autre bras. Un pic de glace surgit de terre pour renverser le char, aussitôt remplacé par dix nouveaux canons. Les derniers Shawniens le rejoignirent, désespérés.

L'homme enchaîna par un faisceau d'azur qui n'atteignit pas sa cible.

Garde noire.

Tant pis. Ses doigts se refermèrent sur le pommeau de son épée. Avec les derniers Shawniens, il se battrait jusqu'au bout.

Dans un grondement sourd, l'enveloppe sombre de la sphère éclata, inondant la scène d'un flot de lumière blanche.

Galaniel se précipita ; Zawhyk gisait au sol, les vêtements blancs tachés d'écarlates.

Face à son ennemi, la posture du Général Chef apparaissait à peine meilleure. La respiration sifflante, les bras ensanglantés, l'homme s'appuyait contre la coque de son vaisseau pour rester debout.

« C'est terminé... pour moi, hoqueta Zawhyk.

— Ne dis pas n'importe quoi, tu vas t'en sortir, répondit le jeune homme, tant pour le rassurer, que se rassurer soi-même.

— C'est terminé », asséna le Général Chef.

À quelques mètres seulement, les gardes noirs assaillaient les derniers combattants. Il entrevit le Commandant retirer son arme ensanglantée d'un ennemi. Le corps d'un homme s'effondra, un casque aux peintures blanches roula à terre. Qnaua...

Dans un dernier sursaut, le Voyageur attrapa le bras de son fils.

« D'autres arrivent. Les Itinérants... les Ténèbres... leurs vaisseaux veulent Zyx. »

Les yeux écarquillés, Galaniel ne pouvait que constater les innombrables blessures, l'écoulement fatal d'une mare de sang.

« Prends ma Pierre, termina Zawhyk. Quitte... cet enfer. »

Il lui tendit l'artefact ovoïde, que Galaniel attrapa, mécaniquement. Une lueur pourpre émanait de l'objet, qui s'estompa pour virer au gris de pierre.

La main de Zawhyk retomba.

Il était mort.

Le jeune homme resta immobile quelques secondes, dans un silence sépulcral. Il était seul. L'irréparable avait eu lieu, plus rien ne serait comme avant.

La pluie rebondissait sur son casque, les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes, irrépressibles et, dans sa main, sourdait l'appel de la Pierre. Elle pouvait lui faire quitter cet endroit maudit, le ramener auprès des Voyageurs, pour peu qu'il le veuille.

Il pouvait quitter cet enfer.

Zawhyk, son père, était mort.

Mort.

Sa main se crispa, il redressa la tête, en direction du Général Chef. Immobile sous la pluie, l'homme observait la scène en silence, le visage fermé.

Mort.

Le Shawnien fit glisser la Pierre dans une poche de sa combinaison noire, ses doigts se refermèrent sur la poignée de son épée, la comprimèrent jusqu'à faire blanchir les phalanges.

Mort.

Un éclat sanglant s'alluma dans son regard. Une haine pure, absolue et impérieuse.

Il le tuerait.

Sméarn put à peine parer le premier coup. Le Shawnien enchaîna les attaques, décuplées par la rage.

Blessé, acculé, le Général ne répondait qu'à grand-peine. Un éclat inquiet traversa son regard jusqu'ici confiant. Il ne luttait plus pour vaincre, mais pour survivre. En réponse, les yeux vengeurs du Shawnien reflétaient un avenir sanglant, cruel, implacable. Aucun pardon, aucune pitié ; un mort en appellerait un autre.

Sméarn voulut esquiver, glissa sur le sol mouillé, perdit son épée, roula pour éviter un nouveau coup. L'arme enragée pulvérisa un tuyau hydraulique ; le nuage de vapeur ne retarda le Shawnien qu'un instant.

Le Général retrouva son arme et n'eut que le temps de la ramasser pour parer un nouveau coup furieux.

Il aurait été stupide de mourir maintenant. Après tout ce qu'il avait accompli, tout ce dont il avait triomphé. D'ici à peine trois jours, au maximum, Zyx serait définitivement libérée. Son ennemi, le Voyageur Zawhyk Espan, gisait à quelques mètres, mort de sa propre main.

Il recula, incapable de contrer l'intensité des attaques. L'acier cherchait sa proie, toujours plus oppressant. Dans ses mains, dernier rempart, l'épée s'alourdissait à chaque instant, chaque seconde ; ses forces le fuyaient.

Un nouvel assaut manqua de lui arracher son arme, un coup de pied le fit basculer en arrière. Le Général Chef s'écrasa sur le revêtement de la piste, son arme glissa hors de portée.

Un éclair déchira le ciel, découpa dans les éléments la silhouette noire de Galaniel. Sans hésiter, le Shawnien leva son arme pour porter le coup fatal.

La main s'immobilisa. L'épée vengeresse resta suspendue entre ciel et mort. Le Général Chef, incapable du moindre mouvement, attaquait directement son esprit. Le jeune homme porta les mains à la tête, tomba à genoux.

Près de lui, l'arme rebondit au sol dans un bruit métallique. Un marteau piqueur lui vrillait le crâne, une armée déferlait, inexorable, dévastatrice, écrasait sa volonté, anéantissait tout contrôle.

L'étau mental se desserra l'espace d'un instant. Galaniel rouvrit les yeux, entendit, derrière lui, le claquement d'une arme. Le Commandant pointait un fusil dans sa direction.

« C'est terminé, assena une voix glaciale.

— Je ne me rendrai jamais », cracha le Shawnien.

Face à lui, le Général hocha la tête. Il allait mourir, à moins...

Sa main gauche glissa dans sa poche pour saisir la Pierre d'Origine.

« Non ! »

Dalen s'interposa, attrapa le bras du Commandant. La balle siffla, mordit la joue de Galaniel.

« Ce ne peut être que lui ! J'ai besoin de lui vivant ! »

Le Commandant la repoussa d'un coup de crosse en pleine mâchoire. La Shawnienne perdit l'équilibre.

Une ouverture. Quelques secondes. Face à lui, si près, le Général Chef restait adossé, le souffle court, à la carcasse métallique.

Galaniel attrapa l'épée au sol et la projeta de toutes ses forces.

L'esprit de Sméarn ne revint à la charge que trop tard, et lui vrilla la tête une dernière fois, avant de s'effacer aussitôt.

Presque en même temps, le crépitement couvrit la tempête. Des balles l'atteignirent aux bras, au dos. Ses doigts se crispèrent sur la Pierre de son père. La semi-conscience se précisa, se renforça.

Les Voyageurs l'appelaient.

Et le monde s'effaça.


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