II-4 : Les anges ennemis
Zawhyk écarquilla les yeux. Ses pieds foulaient une terre cendreuse, percée de geysers de lave. L'air se saturait de soufre et de poussière, irritait gorge et yeux.
« Alors, Zawhyk, que dis-tu de mon Illusion ? »
Le Voyageur redressa la tête. De tous les côtés, le sol volcanique remontait en ellipse pour se rejoindre en plafond. Là, tout au sommet, encadré par des mygales géantes, le Général Chef l'écrasait de sa superbe.
« Je dois avouer être plutôt fier de ma réalisation, avoua Sméarn. Seule une poignée, parmi les Voyageurs comme les Itinérants, en est capable. Et puis, cela te permettra un avant-goût de l'Enfer. »
Il matérialisa une rangée de lames.
« Pourquoi ? » demanda Zawhyk.
Le Général marqua un temps d'arrêt.
« Pourquoi ? Ce serait à moi de te poser cette question. Mon seul but est de sauver Zyx, de devenir son Libérateur.
— Tu veux déclencher une guerre.
— Non, les Voyageurs veulent déclencher une guerre. Mais, lorsque tu seras mort, ma suprématie apparaîtra inéluctable. Zyx capitulera.
— Je ne suis pas seul, Sméarn...
— Tu parles de tes deux compagnons ? Alfonsi reste bloqué en orbite, à la merci de mon vaisseau mère. Quant à Seyer, il ne viendra pas non plus t'aider. À l'heure qu'il est, son vaisseau s'est écrasé à pleine vitesse à plus d'une centaine de kilomètres d'ici. Rien ne dit qu'il ait survécu, et, quand bien même, il serait grandement affaibli. S'il le faut, je le tuerai, je vous tuerai tous les trois, l'un après l'autre », menaça le Général.
Zawhyk marqua le coup. La vie même de ses compagnons menacée, tout reposait désormais sur lui. Aussi improbables fussent ses chances de victoire, le Shawnien ne pouvait pas se permettre une défaite.
« Les autres Voyageurs convergent déjà vers Zyx, répondit-il. Si tu maintiens cette folie, Mitteï elle-même se dressera face à toi. Tu ne prendras jamais cette planète, tu ne feras que tuer des millions de civils. »
Presque toutes les simulations arrivaient au même résultat : selon les scénarios, la guerre durait de quelques mois à plusieurs décennies, les pertes s'échelonnaient de quelques centaines de milliers à plusieurs centaines de millions, mais le Général finissait par perdre. Même sans armée, la Fédération comportait plus de dix-sept milliards d'habitants ainsi que des centres de recherche et production répartis sur tout le Système. À l'inverse, la technologie d'Oriale restait inférieure, sa population réduite à trois milliards et, malgré une imposante armée, seuls trois vaisseaux mères pouvaient traverser l'espace.
Une possibilité, toutefois, hantait ces prédictions : le Général ne cherchait pas à conquérir Zyx, ses forces ne débarquaient pas, ne se dispersaient pas pour contrôler la planète. Les vaisseaux mères bombardaient depuis l'espace, détruisaient jusqu'à la dernière structure. Exterminaient la population jusqu'au dernier.
Un génocide.
Mais même un apôtre des Ténèbres était-il capable de telles extrémités ? Pouvait-il massacrer dix-sept milliards de personnes, détruire tout un monde pacifique, juste pour retirer cet atout à la Déesse Cristal ?
« Mitteï... la première exécutrice de votre dieu, articula Sméarn. Cette bouchère des étoiles n'a-t-elle donc pas déjà suffisamment de sang sur ses mains pour vouloir mener une nouvelle guerre ? »
Le Kalendorien étendit un bras, à ses côtés, les épées restées en lévitation frémirent.
« Tous tes efforts, tous tes espoirs étaient vains, Zawhyk. Moi non plus, je ne suis pas seul. »
Le sol se craquela, brisé par des explosions de lave. Les lames fusèrent sur le Voyageur.
Une créature se détourna d'un Shawnien au sol pour se précipiter vers Galaniel. Un jet de flammes se détacha du corps monstrueux pour rebondir sur le bouclier improvisé. Puis, alors qu'elle arrivait au contact, le jeune homme fit tournoyer sa barre de métal.
Le monstre évita le choc, mais resta à distance, de même que ses pinces létales.
Tous deux se jaugèrent un instant. La créature tenta quelques offensives rapides, que le Shawnien contra de la même façon. Plaque de tôle pour se protéger des flammes, barre de fer pour frapper les pinces à portée.
Le monstre siffla de mécontentement, puis se plaqua au sol, presque immobile. Les flammes frémirent, comme retenant leur respiration.
Galaniel s'avança. La créature feinta sur un côté, mais se précipita aussitôt sur l'autre. Le jeune homme n'eut pas le temps de réagir ; d'un mouvement sec, des mandibules arrachèrent son arme des mains.
Sous le choc, le jeune homme recula d'un bond. Déjà, la créature se rétractait pour prendre son essor, pour l'achever. Une retraite aurait signifié la mort ; bouclier dressé, Galaniel s'élança.
L'acier effleura Zawhyk sans l'atteindre. Le Voyageur para, esquiva, bondit.
« Tu devrais mieux dissimuler tes pensées, Sméarn, commenta-t-il. Je vois leur essaim tourner autour de toi. Je... Non ! »
Une colonne de pierre surgit du sol pour percuter de plein fouet le Shawnien. Le Général Chef fusa, arme au poing, trancha l'air d'un sifflement.
Zawhyk n'évita l'attaque qu'en partie, une traînée écarlate précéda sa chute.
« Tu... tu n'étais que l'avant-garde. »
Le Shawnien cracha du sang. Des centaines de vaisseaux, une armada des Ténèbres à l'assaut de Zyx. Une invasion planifiée de longue date. Combien de temps, encore, avant leur arrivée ? Un an, deux ans ?
« Je te l'ai dit, Zawhyk, ce combat était vain, depuis le début. »
Le pire restait encore à venir. Près de son cœur, l'artefact de la Déesse Cristal vibra. Sa Pierre d'Origine, la source de ses pouvoirs.
Le Général Chef s'approcha de lui.
« Dès que cette bataille sera terminée, je contacterai le Président pour l'avertir de cette armada. Les Zyssiens réévalueront leurs chances de victoire à zéro et se placeront sous mes ordres. Grâce à moi, il n'y aura pas de guerre.
— Cette guerre, tu l'as déjà commencée... tu veux t'emparer du Système.
— Oui, je deviendrai seul maître du Système, c'est la meilleure solution. »
Le Kalendorien s'arrêta, une épée ensanglantée dans chaque main.
« Tu es vaincu, Zawhyk. Tu peux encore renier ton dieu, me donner ta Pierre, abandonner ton titre de Voyageur. Je ne connais pas tes crimes et ne conserverai aucune rancœur contre toi. Si tu le veux, je laisserai même Shawn tranquille ; ta planète ne m'intéresse pas, de toute façon.
— Et les autres Itinérants, que feront-ils ?
— Ils feront ce que je leur dis. Lorsqu'ils arriveront, je serai seul maître de ce Système. Avec les technologies de Zyx, mes forces dépasseront les leurs. »
La vue du Voyageur se brouilla, mais ses doigts raffermirent leur prise sur son arme. Il avait fait serment ; protéger Shawn, protéger Zyx, protéger le Système ; il se battrait jusqu'au bout.
Quelle que soit l'issue.
Pensif, le Commandant contemplait la barrière de glace. Sif venait de capituler, les derniers Shawniens se rendaient, la bataille prenait fin.
Seul restait cet ultime affrontement, hors de sa vue.
Dans son dos s'approchèrent les pas d'une femme en armure, il se retourna.
« Tiens, vous êtes encore là, vous ? commenta-t-il. Vous avez retrouvé celui que vous cherchiez ? »
Dalen secoua la tête.
« Non. Et, le connaissant, il est possible qu'il se trouve au cœur des événements. Donc ici.
— Si vous le dites. »
La Shawnienne tourna la tête. Troupes et machines s'activaient, encerclaient l'étrange architecture, les canons se mettaient en position.
« Qu'est-ce que vous comptez faire ?
— Des tirs de barrage avec les canons courte portée toutes les vingt secondes. On commence dans une minute.
— De... des canons ? Il y a des gens à l'intérieur, votre Général...
— Courte portée, j'ai dit. Le Général ne risque rien, et vous vous en ficheriez si ce n'était pas pour votre prétendu élu.
— Mais vous n'êtes pas obligé de...
— Je suis un soldat. Je n'ai que deux objectifs : protéger mon Général et gagner ses batailles en minimisant nos pertes. Ce n'est qu'un mur de glace que nous allons briser, avant d'achever toute résistance. »
Ses yeux froids, à peine visibles derrière son casque, se dardèrent sur la Shawnienne.
« Nous n'en serions pas là si vous aviez effectivement tué Zawhyk, comme vous le prétendiez, rappela-t-il.
— Je...
— Je conçois qu'il y ait des impondérables, mais vous n'avez pas à venir interférer dans mes décisions. »
Dans un parfait ensemble, les canons crachèrent leur feu de métal.
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