II-3 : Les anges ennemis

Le regard de Zawhyk se posa sur l'improbable tranchée. Canons brisés, machines balayées s'entassaient pêle-mêle, entre les corps à demi-enterrés. Malgré la pluie, quelques débuts d'incendie se propageaient, une fumée âcre se mêlait aux odeurs de poudre et de kérosène.

Dans la tourmente, il avait déchaîné toute la puissance de sa Pierre, ouvert un passage jusqu'à son ennemi. Quelques Shawniens, magiciens et guerriers, avançaient avec prudence.

Zawhyk réprima un vertige, sa main gauche se crispa sur ses côtes. Du sang s'écoulait entre ses doigts, imbibait ses vêtements blancs. Ses blessures, à peine soignées, se rouvraient déjà. Il avait déjà failli mourir, face à Dalen, et le pire restait encore à venir. Le Général Chef l'attendait toujours, ses forces intactes ; la toile de l'Araignée se refermait.

« Attention ! »

Le Voyageur se figea. Des décombres se dressèrent deux géants mécaniques à quatre bras, des barzacs.

Presque par réflexe, Zawhyk se porta vers l'avant, main dressée. Déjà, les machines tiraient deux obus sur le groupe de Shawniens. Les projectiles incurvèrent leur course pour creuser deux cratères de part et d'autre.

Le premier barzac referma deux mains sur des lames démesurées et bondit en avant. Le Voyageur n'esquiva que de justesse, d'un saut humainement improbable. Aussitôt, le colosse d'acier déploya ses deux autres bras ; les cris des mitrailleuses intégrées s'abattirent sur les Shawniens.

La main gauche dressée, irradiant d'une faible lueur, Zawhyk resta immobile. Toutes les balles s'interrompirent dans leur course, comme arrêtées par un mur invisible, puis retombèrent au sol, inutiles.

Les doigts du Voyageur se refermèrent sur la poignée de son épée. En réponse, l'acier se para d'un éclat bleu intense. Homme et machine se firent face, l'espace d'un instant, puis, à la lueur d'un éclair, tous deux se jetèrent l'un sur l'autre.


Galaniel rouvrit les yeux, étalé de tout son long. Le casque ébréché, l'armure en lambeaux, chacun de ses membres, chacun de ses muscles criait sa douleur. Il ferma le poing.

La terre tremblait. Quelque chose l'avait projeté ; Ignis ? Difficile de la rejoindre, maintenant.

Il redressa la tête. Dans les ténèbres luisait un ultime espoir. Son père était tout près, peut-être la bataille pouvait-elle encore basculer. Peut-être tout n'était-il pas encore perdu.

Il prit appui pour se redresser. Ses bras, puis ses bottes s'enfoncèrent dans le sol spongieux. Il se battrait jusqu'au bout. Tant qu'il serait encore vivant, tant qu'il resterait une dernière parcelle d'espoir. Il rechargea son pistolet-mitrailleur, extirpa de la fange son épée encore intacte. Debout dans le tumulte des éléments, ses yeux étincelèrent d'une détermination renouvelée.


La machine s'effondra au sol, ses membres de métal déchirés comme du papier. Zawhyk abandonna le cadavre démantibulé de son adversaire, avant d'éviter une nouvelle attaque. Les mitrailleuses du deuxième barzac se déchaînaient, ses lames titanesques fauchaient l'air en désordre. Un mur de glace interrompit son bras. La paume vers l'avant, un magicien shawnien enchaîna avec un éclair de lumière qui rebondit sur la tête luisante. Sans laisser de répit, d'autres guerriers s'élancèrent, firent perdre l'équilibre à la machine qui se rattrapa. Le magicien frappa du pied. L'eau ruisselante se transmuta en glace, emprisonnant les membres quelques secondes.

Un répit plus que suffisant pour Zawhyk. Le Voyageur fusa, une lame de lumière pointée devant lui et transperça la tête ronde penchée. Quelques perles de sang s'envolèrent à travers l'interstice métallique. Son pilote mort, la machine retomba en arrière, tandis que Zawhyk se dégageait d'un bond. La lueur de son épée se dissipa pour ne plus conserver que la teinte d'un acier ordinaire.

« Merci, Qnaua, je... attention ! »

Les pattes de l'Araignée transpercèrent le manteau de la nuit. Le magicien esquiva d'un bond, alors que les piques de métal fauchaient à l'aveugle des gerbes de sang. Un canon-mitrailleur s'enclencha, mais les balles se dispersèrent sans atteindre les Shawniens. Quelques tirs de fusil résonnèrent en réponse, sans plus d'effet.

La diversion permit cependant à Zawhyk de matérialiser des disques dorés qui fusèrent pour trancher net les pattes de métal. L'Araignée tomba sous son poids, son corps roula dans la boue, avant de s'immobiliser.

« Qnaua, reprit Zawhyk, je vais avoir besoin d'un peu de temps. »

Le magicien hocha la tête. Rejoint par une poignée de compagnons, il étendit les bras. Tout autour d'eux, des murs de glace s'élevèrent du sol jusqu'à dix mètres de hauteur. Le Général Chef se retrouvait séparé de ses troupes, encerclé par le groupe de Shawniens.


Galaniel écarquilla les yeux, effleura la paroi d'une main. Quelques secondes seulement avaient suffi pour ériger cette barrière épaisse de plusieurs dizaines de centimètres.

Le jeune homme tourna la tête. Arrivé juste à temps, il se retrouvait, par chance, du bon côté. Au centre, le magicien maître Qnaua, le visage dissimulé par un casque aux runes blanches caractéristiques, maintenait le sortilège, appuyé par une poignée d'hommes.

Galaniel décala son regard de quelques mètres pour s'arrêter sur son père, Zawhyk. Face à la carcasse, sphère métallique de deux mètres de rayon, le Voyageur leva son arme. Un trait lumineux trancha les ténèbres pour porter un coup assourdissant.

Une plaie géante parcourut l'acier.

« Sméarn ! tonna le Shawnien. Combien de temps vas-tu encore rester enfermé dans cette vulgaire boîte de métal ? »

Un haut-parleur grésilla.

« Pourquoi, Zawhyk ? Es-tu donc si pressé de mourir ? »

Un cercle de feu sombre entoura la sphère métallique. Le Voyageur recula d'un bond. La coque trembla, puis, dans un interminable grincement, s'ouvrit, sous la pluie et les regards des derniers survivants.

À l'intérieur, un homme en armure noire délaissa ses innombrables pupitres encore éclairés. Le visage resté découvert, encadré par des cheveux blanchâtres, ses yeux acérés dévisagèrent les Shawniens.

Sméarn Pteï esquissa un sourire carnassier, avant de fixer un casque à pointe sur sa tête. Alors que les flammes s'estompaient, le Général Chef bondit hors de son appareil pour atterrir en face du Voyageur.

« Tu sembles épuisé, persifla le Kalendorien. Mais sans doute devrais-je te féliciter. Tu aurais pu être mort plusieurs fois, déjà, et je vais devoir t'achever de ma main. »

L'homme exsudait une aura noire impérieuse et absolue. Un tic nerveux agita Zawhyk. Son adversaire avait économisé ses forces pour cet instant. Les Shawniens l'encerclaient peut-être, mais se trouvaient surtout en plein cœur de la toile du Général.

« Restez à distance », rappela Zawyk.

Ses compagnons ne pouvaient rivaliser avec le pouvoir brut des Ténèbres. Il était seul à disposer d'un don équivalent, la Pierre de la Déesse Cristal. Tout reposait sur lui, désormais.

Des traînées écarlates brisèrent la pénombre ; une myriade de sphères tourbillonna tout autour du Voyageur. Déjà, le Général Chef joignait ses mains, recouvertes d'une abominable noirceur. Un éclair pourpre fusa, traversa la tempête à la recherche de sa proie.

Les sphères de Zawhyk se regroupèrent aussitôt en bouclier, mais le rayon les ignora et se scinda en deux pour passer de chaque côté. Chaque partie ondula, s'approcha de débris de l'Araignée. Les pattes au sol frémirent, se relevèrent pour hybrider le métal aux flammes. Deux reptiles monstrueux se retournèrent vers les Shawniens horrifiés.

« Tous ces gens qui t'ont suivi, tu n'as fait que les mener à la mort. Et tout cela pour quoi ? Par orgueil ? Par foi ? » railla Sméarn.

Le Voyageur étendit une main, voulut les projeter à distance, les repousser, sans y parvenir. Le Général Chef exultait.

« Vous, les Voyageurs, n'êtes que les esclaves de la Lumière. Il est temps de mettre fin à votre tyrannie. »

L'aura sombre s'étendit sur tout son corps. Les ténèbres enflèrent, les enveloppèrent tous les deux, puis rétractèrent leur nasse maléfique.

Seule demeura une sphère lisse au noir absolu.

Galaniel resta interdit. Les créatures du Général agitaient leurs pattes, les pinces chauffées à blanc claquaient dans l'air, aussi vives que létales. Les armes se révélaient inefficaces ; les balles comme les épées se perdaient dans les flammes.

Peut-être ces monstres nés de magie s'avéreraient invincibles. Mais il devait essayer. Les affronter, leur tenir tête, permettrait sans doute d'affaiblir, de déconcentrer leur maître. Et donc de venir en aide à Zawhyk, son père qui, en ce moment même, risquait sa propre vie.

Le Shawnien avisa une grande plaque de tôle, à même le sol, et ramassa une longue barre de métal. L'arme, bien que rudimentaire, lui offrirait une meilleure portée que l'épée.

Résolu, il rejoignit ses camarades.

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