I-4 : Ultimatum
Approche d'Oriale, hangar de débarquement du premier vaisseau, soixante-neuf minutes avant l'opération
« Tiens, c'est toi, le joli cœur qui drague ma nièce ? »
Saxen se retourna pour se retrouver face à une femme imposante, presque aussi grande que lui. Les cheveux roux coupés courts, elle arborait une armure complète, que complétait un casque à cornes.
« Meuh non, il ne me drague pas, intervint Ignis. Enfin, je crois. Tu me dragues, Saxen ?
— Eh bien, euh...
— C'est ma tante, au fait, précisa la magicienne.
— Euh, enchanté. »
La femme éclata de rire.
« T'as une tête de marrant, en fait. »
Elle lui écrasa la main dans une poigne de métal.
« J'espère que t'es prêt à en découdre, toi aussi. »
Tout autour se réunissaient des Shawniens en tenue de combat. Des armures et vêtements sombres, pour la plupart. L'opération se déroulerait de nuit.
« Ouais, on va dire ça. »
Saxen vérifia l'épée dans son fourreau, réajusta son casque, posa une main sur son fusil-mitrailleur. Puis jeta un regard en direction d'Ignis. La magicienne, enveloppée dans un manteau bleu marine, regardait de nouveau dans le vide.
« Évite de trop la déconcentrer, conseilla la femme. Dans quelques minutes, ta survie et la mienne dépendront d'elle. Et de celles des autres magiciens, aussi.
— Vous êtes une magicienne, vous aussi ? »
Elle fronça les sourcils.
« Hein ? D'abord, on se tutoie et tu m'appelles Greta, ou sinon je ne réponds pas.
— Euh... alors, tu es une magicienne, aussi, Greta ? »
Elle nia de la tête.
« Pas moi, non. Mon frère l'était un peu, sa femme aussi. Et Ignis est la prodige de la famille.
— Qui ? Moi ? se réveilla Ignis.
— Oui, toi, confirma-t-elle. Et je t'interdis de penser le contraire. »
Elle remua les épaules.
« Ça va être impressionnant, cette bataille. Et encore, il paraît que les Kalendoriens peuvent aussi arrêter les balles.
— Ouais, les gardes noirs.
— Note, j'ai un plan infaillible, contre ça.
— Ah ? Et c'est ?
— Un bon gros coup de hache dans leurs sales tronches. Je voudrais bien les voir arrêter ça. »
Saxen esquissa un sourire. À mesure que l'échéance se rapprochait croissait une certaine angoisse. Mais il n'avait plus le choix, de toute façon. Et puis, le Shawnien refusait de décevoir ses compagnons.
« Tiens, et toi, t'es qui ? demanda Greta.
— Galaniel. »
La femme s'interrompit.
« Galaniel, Galaniel... C'est toi, l'enfant prodige de Zawhyk ?
— Euh, prodige, c'est vite dit.
— C'est drôle, tu ressembles à ton père : tu as les mêmes cheveux et le même regard. »
Elle lui serra — broya — la main.
« Si, en plus, tu te bats comme lui, ça va donner.
— Je ferai de mon mieux », assura le Shawnien.
Un tremblement parcourut l'appareil.
« Ah, je suppose qu'on arrive, s'enthousiasma Greta. C'est pas trop tôt.
— On doit rentrer dans l'atmosphère, maintenant ; la gravité est revenue, d'ailleurs. »
Une nouvelle secousse traversa l'appareil. Galaniel manqua de perdre l'équilibre.
« On arrive plus vite que prévu, comprit le Shawnien.
— Tant mieux, plus vite on arrive, plus vite on castagne. »
Le jeune homme ne répondit pas. La coque gémissait ; dans le hangar, la température s'élevait, degré après degré.
« Je suppose que mon père doit avoir une raison... »
Ignis attrapa la main de Greta.
« Il y a un problème.
— Quoi ?
— L'éther est... perturbé.
— Le... ta magie ? Tu es sûre que ce n'est pas le stress ? »
Elle nia de la tête.
« Non, ça vient d'ailleurs. C'est... comme une sorte de tourbillon qui serait au centre du vaisseau. Je n'ai jamais ressenti ça. »
Elle ferma une main, la rouvrit. Des formes orangées dansèrent sur son gant sombre.
« Ah, tu vois que tu peux toujours lancer des sorts », la rassura Greta.
Elle opina de la tête. Une violente embardée secoua l'appareil ; plusieurs personnes perdirent l'équilibre. Les cris d'agonie de l'appareil s'intensifièrent.
« Qu'est-ce qui se passe ? », gémit Saxen.
Greta se retourna vers lui pour attraper son épaule d'une main ferme.
« D'abord, on se calme, les jeunes. C'est pas bientôt fini de s'émouvoir pour rien alors qu'on est même pas encore arrivés ? Vous savez qui dirige ce vaisseau ? Rien de moins que Zawhyk Dremana Espan. Alors, s'il y a bien quelqu'un qui doit savoir ce qu'il fait, c'est bien ce bonhomme. »
Enfin, j'espère.
Approche d'Oriale, poste de pilotage du premier vaisseau
Trois points rouges s'affichèrent sur l'écran radar. Dalen dissimula un sourire. Les trois vaisseaux mères d'Oriale.
Près d'elle, Zawhyk s'agita sur l'interface de communication, soudainement paniqué. La flotte du Général Chef aurait dû se retrouver dispersée sur la lune, à se préparer pour l'invasion. Mais le Voyageur n'anticipait pas encore l'ampleur du désastre à venir.
La voix de Seyer grésilla dans un microphone.
« Je viens d'établir une protection magique tout autour de notre flotte, informa-t-il. Restons groupés. »
Les pouvoirs du deuxième capitaine dépassait de loin ceux de ces congénères, mais même lui avait ses limites, qu'il rencontrerait très bientôt.
Des tirs orialiens traversèrent l'espace pour venir s'écraser sur la barrière. Des irisations parcoururent la bulle invisible, tout autour des trois vaisseaux.
« Seyer, Zawhyk, j'ai un problème, intervint Alfonsi. Mes moteurs refusent de redémarrer. »
Stakis. Cette nouvelle recrue avait donc bien accompli sa mission. Désormais, le reste reposait sur elle. Désormais, plus rien ne pourrait empêcher la chute des Voyageurs. La chute de Zyx.
Sa main se referma sur un lance-éclairs. Seule une dizaine de personnes s'affairaient dans la salle de commandement, dont elle-même et Zawhyk.
L'homme qu'elle devait abattre.
Inconscient du danger, le Shawnien poursuivait sa conversation avec les autres chefs de vaisseau. Son statut de Voyageur faisait de lui un danger de premier plan, mais elle disposait d'un dernier atout.
Dans sa poche, sa main gauche se referma sur l'inhibiteur. Une arme inespérée, capable de neutraliser les pouvoirs de son adversaire. Elle esquissa un sourire carnassier. Sur Zyx, Rneigl avait accompli un travail remarquable, avec le cambriolage du centre de recherches. Et son apprenti, Stakis, se débrouillait bien, lui aussi. Avec le temps, le jeune homme deviendrait sans aucun doute un atout de poids.
D'un mouvement, elle se leva et déchargea son lance-éclairs sur les Shawniens présents. Hommes et femmes s'effondrèrent, les corps parcourus de crépitements. Zawhyk se retourna, les traits marqués par la stupeur.
« Toi... C'était toi », comprit le Shawnien.
Il étendit une main ; une lueur bleue se regroupa, s'intensifia dans sa paume. Au même instant, Dalen activa son inhibiteur.
L'éther se brouilla, les flammes se dispersèrent entre les doigts de Zawhyk.
« Pourquoi ? Pourquoi fais-tu ça ? », demanda le Shawnien.
Elle jeta son lance-éclairs pour dégainer un fusil-mitrailleur. Le bleu de ses yeux se fit aussi froid que la mort.
« Tu ne me laisses pas le choix, Zawhyk. »
La rafale pulvérisa consoles et panneaux de commandes. Zawhyk se précipita derrière une table.
« Zawhyk. Qu'est-ce qui se passe ? grésilla la radio. Ton vaisseau vient de s'écarter des nôtres. À cette distance, je ne pourrai pas... »
D'un nouveau tir, Dalen mit fin à la conversation.
« Tu es aux ordres du Général Chef, c'est cela ? demanda Zawhyk. Depuis combien de temps ? Comment ?
— Aux ordres des Ténèbres ? Certainement pas ! »
Adossé contre le bureau dévasté, Zawhyk arma son fusil. Du sang coulait le long de son bras gauche. Plusieurs impacts l'avaient atteint.
« Nous ne sommes pas obligés d'en arriver là, Dalen.
— Malheureusement si, Zawhyk. Je sais d'où te viennent tes pouvoirs, je sais ce que tu es vraiment. Tu as mis ton bras au service du Mal. »
Le Shawnien se crispa.
« J'ai mis mon bras au service de la Lumière, répliqua-t-il.
— Justement ; les anges doivent périr.
— Je préfère le terme de Voyageur. »
Il se redressa pour faire feu. À son tour, Dalen se dissimula derrière un bureau. Des vibrations parcoururent la salle ; le vaisseau entrait dans l'atmosphère.
« Tu as été l'une des premières à soutenir mon projet d'échange, reprit Zawhyk. La paix entre les mondes ne signifiait donc rien, pour toi ?
— J'ai seulement soutenu ton projet afin de pouvoir aller librement sur Zyx ; une vieille connaissance m'y attendait. »
Elle avait retrouvé Rneigl, puis rencontré Stakis, nouvel acquis à leur cause. Ensemble, ils vaincraient ces Voyageurs, ils réduiraient à néant cette ridicule opération.
Des voyants d'alarme s'affichèrent sur les écrans encore fonctionnels. La coque externe entrait en surchauffe. Les tremblements s'intensifièrent.
« Laisse-moi accéder aux commandes ou nous allons tous y passer ! ordonna Zawhyk.
— Oh que non. Tu voulais aller à Oriale, nous y allons. »
Le Shawnien serra le poing. Mille hommes attendaient dans les hangars. Dont Galaniel. Son fils.
Si le vaisseau s'écrasait, l'opération échouerait avant même d'avoir commencé. Ils mourraient tous.
Il devait sauver le vaisseau. Sauver ses troupes. Sauver son fils.
Zawhyk se redressa. De part et d'autre, les tirs s'échangèrent. Les rafales pulvérisèrent les dernières consoles, les composants électroniques volèrent en tous sens.
Une nouvelle balle l'atteignit à l'épaule gauche. Il jura, se baissa de nouveau.
« Tu ne peux rien contre moi, Zawhyk. Sans magie, sans le don de ta "Déesse", tu n'es rien de plus qu'un homme. »
Sans l'inhibiteur, le Shawnien aurait aussitôt triomphé. Zawhyk pesta. Il avait entendu parler de ces appareils, mais ne découvrait la pratique que maintenant. Encore une brillante idée d'Alfonsi avec ses fichues recherches. D'autant que cet incapable avait ensuite réussi à se faire dérober les prototypes.
Il se risqua à un coup d'œil. Une pluie de balles le dissuada aussitôt.
La capacité des inhibiteurs, comme tout appareil, devait avoir ses limites. Le Shawnien ferma les yeux, mobilisa l'ensemble de ses capacités. Des étincelles crépitèrent sur tout son corps. L'éther refusait de lui obéir, les manifestations s'évanouissaient aussitôt, mais il s'entêta, dépensa ses forces sans compter.
Un choc proche lui fit rouvrir les yeux. Une grenade rebondissait contre un mur, la sphère se rapprocha de lui, s'illumina.
Horrifié, Zawhyk fit volte-face, se précipita. Le cri des balles accompagna sa course désespérée.
Déflagration.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top