I-3 : Ultimatum

Orbite de transfert Zyx-Oriale, trente-sept heures plus tôt

« Qu'est-ce que tu penses des deux autres commandants de vaisseau ? » demanda Saxen.

Galaniel haussa les épaules.

« Si mon père leur fait confiance, je leur fais confiance. »

Les Shawniens flottaient dans un couloir rudimentaire, envahi par une myriade de câbles. Le vaisseau, peu avancé, n'offrait pas même de gravité artificielle. Un moyen d'éviter, aussi, qu'Oriale pût mettre la main sur des technologies avancées.

« Il paraîtrait qu'Alfonsi est un Zyssien, poursuivit Saxen. Tu savais que des Zyssiens pouvaient avoir des pouvoirs magiques ?

— Ils n'ont pas de pouvoirs magiques. »

Saxen se retourna. Une jeune femme flottait près d'eux, la tête en bas, ses boucles rousses en désordre.

« Euh, bonjour ? tenta le Shawnien.

— Bonjour », répondit-elle, presque par automatisme.

Ses yeux verts se perdaient dans le lointain, comme occupés à la contemplation d'un monde inaccessible. Finalement, le Shawnien lui tendit la main.

« Moi, c'est Saxen, déclara-t-il. Et lui, mon ami Galaniel. Euh, si on traîne tous par ici, c'est qu'on fait sans doute partie de la même unité, non ?

— Sans doute. »

Elle contempla sa main quelques secondes avant de l'attraper. Comme elle ne semblait pas vouloir ajouter davantage, Saxen se décida à reprendre la parole.

« Et donc, euh, tu, vous, t'appelles comment ?

— Ignis.

— Et euh... qu'est-ce que c'était que ces histoires de pouvoirs magiques qu'ils n'avaient pas ?

— Qui ça ?

— Euh, les Zyssiens, Alfonsi ?

— Ah, ça... »

Elle se retourna pour revenir dans le même sens que ces interlocuteurs.

« Ses pouvoirs ne viennent pas de lui. Il portait une sorte d'artefact magique. Comme Zawhyk, d'ailleurs. Et même Seyer, sauf que lui émettait aussi sa propre magie. »

Saxen se tourna vers Galaniel.

« Tu savais ça, toi ? »

Le jeune homme haussa les épaules.

« Ça n'a pas grande importance, éluda-t-il.

— N'empêche, ça explique aussi pourquoi tu ne peux pas utiliser de magie, alors que ton père, euh...

— C'est génétique, reprit Ignis. Mais il y a aussi des non-magiciens dans des familles de magiciens, et des magiciens dans des familles de non-magiciens. Sur Zyx, ils diraient que c'est une histoire d'allèles récessifs, je crois.

— Tu... vous êtes une magicienne ? » s'embrouilla Saxen.

Elle détacha ses yeux verts d'une tuyauterie quelconque pour revenir dans sa direction.

« Moi ? Oui. »


Orbite de transfert Zyx-Oriale, trente heures avant l'opération

Stakis se retourna, incapable de trouver le sommeil. Séparé de Galaniel, le Zyssien se trouvait désormais sur le deuxième vaisseau, étouffé dans une couchette inconfortable.

Il passa une main sur le front. Juste avant le départ, Dalen l'avait recontacté. Ils devaient saboter cette opération, le Général Chef remporterait la bataille et l'invasion aurait bien lieu.

Zawhyk allait mourir. Après tout, il faisait partie de leurs ennemis. Ses pouvoirs, sa détermination menaçaient même le Général Chef ; l'homme représentait un danger de premier plan.

Le Zyssien se retourna. Zawhyk n'était peut-être pas quelqu'un de foncièrement mauvais, mais il avait choisi le mauvais camp. Et Galaniel, dans tout cela ? Qui était-il, que recherchait-il réellement ? Stakis aurait aimé pouvoir lui parler à cœur ouvert, vérifier ou non son intuition, plutôt que de rester encore et toujours dans cette insupportable incertitude.

Il aurait préféré que cette guerre n'eût pas lieu. Que personne n'eût à mourir. Mais les forces du Mal useraient de tous les artifices, ne reculeraient devant aucun sacrifice, même pour prolonger leur agonie.

Le Zyssien soupira. Il avait essayé, pourtant. Quelque temps plus tôt, à peine, il avait prétexté vouloir partager un jeu vidéo quelconque pour amener Galaniel à son appartement. Entre tous les symboles obscurs disséminés sur les murs, le Shawnien aurait dû reconnaître le Signe. Il aurait dû au moins manifester un semblant d'intérêt, voir son regard attiré quelques instants, quelques secondes...

Mais rien. Galaniel n'avait rien remarqué. Peut-être avait-il encore besoin de temps, pour se souvenir, ou peut-être le Rituel avait-il été altéré par leurs ennemis.

Ou alors... son cœur se serra. Peut-être Galaniel se méfiait-il, peut-être le testait-il. Après tout, leurs ennemis se terraient partout, et la confiance devenait un luxe dangereux.

Oui... il devait d'abord faire ses preuves, prouver sa loyauté, quoi qu'il lui en coûtât. Ne pas oublier que, tôt ou tard, l'Élu reviendrait, rebâtirait son Ordre effacé.

Alors, seulement, Stakis rejoindrait ses disciples, comme tant d'autres avant lui.

Il repensa à Rneigl, son mentor, resté sur Zyx, à Dalen, qui risquait sa vie sur l'autre vaisseau. Tous deux avaient connu le Maître, de son vivant. Tous deux l'avaient suivi, avaient tout abandonné pour lui. Possédaient-ils, eux aussi, ces doutes, ces craintes ? Se sentaient-ils perdus, sans leur Guide ?

Le jeune homme ferma le poing ; pour l'heure, il devait d'abord accomplir sa mission.


Orbite de transfert Zyx-Oriale, dix-huit heures avant l'opération

Saxen jouait aux cartes.

Le jeune homme avait réussi à entraîner dans son idée Galaniel, ainsi qu'un groupe de Shawniens. L'atmosphère devenait pesante, électrique, à peine égayée par la partie. Certains priaient, parlaient, tremblaient, écrivaient ; d'autres, à l'instar de Galaniel, s'enfermaient dans leur mutisme.

« Triangle de rois et valets, annonça fièrement Saxen. C'est à toi de jouer, Ignis. »

Il tourna la tête vers la jeune magicienne. Ses deux yeux verts, perdus dans une cascade de boucles cuivrées, vagabondaient dans le lointain.

« Ignis ? »

Elle sursauta pour revenir à la réalité.

« Hein ? Ah oui, c'est mon tour, euh... »

Elle regarda ses cartes, fronça le nez.

« Euh, je n'ai pas mieux.

— Dans ce cas, je gagne, s'enthousiasma Saxen. À charge de revanche. »

Il rattrapa les cartes qui s'envolaient dans l'apesanteur et battit le paquet.

« Une autre partie ? »

Loin de partager l'enthousiasme du Shawnien, la plupart des intervenants se dispersa.

« Moi, j'ai faim », décréta Ignis.

Elle entreprit de déballer une tortilla, puis mélangea divers assortiments — miel, beurre, confiture.

« Tu en veux ? demanda-t-elle à Saxen.

— Euh, non merci.

— Je préfère le pain, mais on m'a dit qu'on ne pouvait pas en avoir en apesanteur, à cause des miettes. Après, ça, c'est pas mal non plus. »

Elle engloutit une deuxième tortilla, puis une troisième, avant d'attraper une quatrième.

« Je crois avoir rarement vu un tel appétit, concéda Saxen.

— Mh ? La magie, ça donne faim. Du coup, je prends des forces ; demain, je vais en avoir besoin. »

Ses yeux sautèrent de Saxen à Galaniel, puis de Galaniel à Saxen.

« Vous vous connaissez depuis longtemps, tous les deux ? demanda la magicienne.

— On vient du même village, répondit Saxen. Forcément, ça crée des liens. »

Le Shawnien rangea son paquet de cartes dans une poche fermée.

« Et... mis à part arrêter les balles, reprit-il, qu'est-ce que tu sais faire, comme magie ? »

Ignis répondit par un geste de main évasif.

« Manipuler les éléments, la télékinésie, réparer des objets, soigner des blessures... un peu comme tous les magiciens, en fait.

— C'est impressionnant, siffla Saxen. Tu es l'apprentie d'un maître magicien ?

— Ah, plus maintenant. Je suis magicienne confirmée, maintenant. »

Saxen resta interloqué.

« Confirmée. À ton âge ? Euh, je veux dire...

— J'ai développé mes pouvoirs assez tôt et mes parents m'ont appris. Ma mère est maître magicien.

— Wow, il n'y en a... pas tellement.

— Quelques centaines sur Shawn et un sur notre vaisseau. Qnaua, je crois.

— Ah ? Tant mieux, commenta Saxen.

— Il faut passer une épreuve un peu compliquée, poursuivit Ignis, mais je compte la réussir un jour.

— Je suis sûr que tu y arriveras. »

Galaniel préféra laisser ses deux compagnons à leur conversation pour s'envoler dans l'apesanteur du vaisseau. Le jeune homme eut à peine fait quelques mètres qu'il reconnut la silhouette de son père, occupée à flotter dans un recoin proche. Les paupières closes, l'homme conservait les mains jointes, son visage muré dans une inébranlable détermination.

« Ça va ? »

Zawhyk rouvrit les yeux.

« Ce serait plutôt à moi de te poser la question.

— Bah, comme tout le monde, je suppose. J'essaie de ne pas trop y penser ; on verra bien. »

Zawhyk hocha la tête. Il aurait préféré savoir son fils à des centaines de millions de kilomètres, bien à l'abri sur Shawn, mais Galaniel avait pris sa décision. Dans ces yeux sombres brûlait une inaltérable détermination, un mélange d'audace et de vaillance.

« Je m'occuperai du Général Chef avec Seyer et Alfonsi, rappela Zawhyk. Lorsqu'il sera mort, la bataille prendra fin. Mais, pendant tout ce temps, fais attention à toi. »

Il le prit dans ses bras. Demain se jouait l'avenir de tout un Système, l'éternel combat entre Lumière et Ténèbres. Les estimations pouvaient être optimistes, aucune victoire ne se jouait d'avance.

Et, il le savait, certains ne reviendraient pas.

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