I-2 : Ultimatum

Stakis fendit la foule juste après avoir repéré Galaniel. Le jeune homme aux cheveux noirs était resté parfaitement immobile, les yeux rivés sur Zawhyk durant toute la durée du discours.

« Alors ? »

Son compagnon se retourna pour constater son arrivée.

« Alors quoi ?

— Tu vas le rejoindre ?

— Oui. »

Ses yeux sombres n'offraient qu'une infaillible détermination, libre de toute hésitation. Stakis détourna le regard, ses mains s'agitèrent.

« J'ai un mauvais pressentiment, souffla-t-il.

— Ma décision est prise, reprit Galaniel, j'ai une entière confiance en mon père. Je ne pense pas que nous ayons beaucoup de choix, de toute façon, si ce n'est de nous battre aujourd'hui ou de vivre esclaves demain.

— Shawn n'est pas encore menacée par Oriale, pourtant. Rien ne t'oblige...

— Lorsque le Général Chef aura mis à genoux tout le Système et qu'il ne restera plus que Shawn, nul doute que nous serons les prochains sur sa liste. Et, là, nul ne sera plus en mesure de l'arrêter. »

L'arrivée de Saxen coupa court à la conversation.

« Salut, les gens ! s'incrusta le Shawnien. Laissez-moi deviner : Galaniel a de toute façon décidé de participer, c'est ça ? »

L'intéressé hocha la tête, tandis que Stakis répondait un sourire gêné.

« On peut donc dire que les jours du Général Chef sont désormais comptés, plaisanta le Shawnien. Mais bon, vu que je ne peux pas non plus laisser un cadet faire tout le travail ni lui laisser toute la gloire, je vais aussi me sentir obligé de participer, maintenant. »

Il ponctua sa tirade d'une tape dans le dos de Galaniel, avant de se tourner vers Stakis.

« Et toi, tu participes aussi ?

— Euh, je... je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé.

— C'est ton choix, mais ça reste ta planète, aussi. »

Stakis baissa les yeux.

« Je sais. »

Saxen lui posa une main sur l'épaule.

« Fais pas cette tête. Si ça peut te motiver, je vous invite tous les deux au restaurant, à notre retour, une fois qu'on aura sauvé le monde. En plus, tu es probablement l'un des plus aptes au combat, dans cette salle. Peut-être même plus que moi, c'est dire.

— Et, comme tout le monde ici, je n'ai jamais connu la guerre.

— Hé, il faut bien un début à tout. Ça fera des histoires à raconter à tes hypothétiques futurs petits enfants. »

Stakis n'eut pas le temps de répliquer que Saxen apercevait une autre connaissance et changeait aussitôt de groupe. Le Zyssien haussa les épaules.

« Je crois ne l'avoir jamais vu aussi... exubérant, commenta-t-il.

— Oui, c'est presque étonnant.

— Non, c'est juste une façon de dissimuler sa peur. Tu n'as pas peur, toi, Galaniel ?

— Je ne sais pas. Je crois que j'y penserai vraiment le moment venu. »

Stakis s'arrêta alors qu'il entrapercevait une nouvelle silhouette.

« Finalement, je vais te laisser aussi ; j'ai encore besoin de réfléchir un peu »

Il ajouta un signe de la main avant de disparaître à son tour. La décision de Galaniel, bien que contrariante, ne le surprenait pas. Mais, à ce stade, impossible de convaincre son compagnon de changer d'avis. Insister davantage, d'ailleurs, n'attirerait que la suspicion.

Pensif, le jeune homme se glissa dans la foule, jusqu'à rejoindre une Shawnienne en armure rudimentaire de cuir et de métal, adossée à une paroi grise. La quarantaine, les cheveux blonds noués en chignon, ses yeux de glace surveillaient les différents intervenants.

« J'aurais voulu te parler, Dalen », tenta Stakis.

Elle hocha la tête.

« Je t'attendais, justement. »

Elle vérifia du coin de l'œil que personne ne les observait. Zawhyk s'entretenait désormais avec Hupias, un cinquantenaire zyssien coresponsable du programme d'échange. Galaniel, de son côté, avait rejoint un groupe de Shawniens.

« Ne restons pas ici. Il y a une coursive juste derrière. »

Elle s'engouffra dans une ouverture, aussitôt suivie par le jeune homme. Silencieuse, elle ne reprit la parole qu'une fois à l'abri d'éventuelles oreilles indiscrètes.

« C'est encore au sujet de Galaniel, c'est ça ?

— C'est au sujet de toute cette opération, surtout. Qu'est-ce que je suis censé faire ?

— Pour l'instant, le plus logique serait que tu participes.

— Pour combattre le Général Chef ?

— Ce n'est pas l'objectif.

— Et Galaniel, dans tout ça ? »

La femme soupira, avant de faire les cent pas.

« Tu crois toujours qu'il est celui que nous cherchons ?

— Contrairement à toi, je n'ai jamais connu le Maître, mais beaucoup d'indices pointent en direction de Galaniel. Qu'est-ce que tu en penses ?

— Je ne sais pas. Même si je seconde Zawhyk, je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de fréquenter Galaniel. Certes, je dois admettre que le lieu de naissance et son âge peuvent correspondre. Et, je le concède, c'est aussi un prodige des armes blanches, du moins dans un simulateur, voire une compétition en arène. Mais une véritable bataille est toute autre, j'attends de voir comment il réagira.

— Mais... il sera en danger de mort. »

Elle posa une main sur son épaule.

« Dans notre lutte, nous sommes tous en danger de mort, tout le temps. Néanmoins, je ferai tout mon possible pour empêcher l'irréparable.

— Et... si je me trompe ?

— Il sera notre ennemi, comme son père. J'en suis la première peinée, mais, pour le bien de tous, certains sacrifices s'avéreront inévitables. »

Stakis resta silencieux. Pourquoi fallait-il donc que ses compagnons s'obstinassent à jouer aux héros ? Zyx ne pouvait-elle pas seulement accepter son sort, embrasser l'avenir qui se dessinait pour elle ? Au contraire, se démener paverait seulement l'Histoire de morts inutiles.


Orbite de Zyx, deux jours avant l'opération

Détonation.

La balle siffla hors du canon pour venir percuter sa cible, quelques mètres plus loin. Saxen siffla d'admiration.

« Eh bien, on ne dirait pas que tu n'avais jamais tiré, il y a encore quelques jours. »

Galaniel abaissa le canon de son arme, encore fumant. Sur la silhouette noire s'étalait désormais un nouvel impact à la tête.

« Ce n'est pas tellement différent qu'une simulation en réalité virtuelle, remarqua le Shawnien.

— Oui, enfin, vu que tu étais déjà adepte des plus hauts scores là-dedans, je suppose que c'est logique. »

Saxen tenta un tir à son tour. La balle atteignit l'ombre d'une épaule.

« Hé, pas mal. »

Galaniel hocha la tête, tandis que son compagnon reprenait :

« J'aimerais quand même bien savoir comment Zawhyk a réussi à se procurer ce stock d'armes. Ni Zyx ni Shawn ne peuvent en avoir, que je sache. Tu n'as pas une idée, toi ?

— Je n'ai pas posé la question à mon père.

— Même pas pour savoir ce qui nous attend ? Ça fait dix jours qu'on s'entraîne dans ce gros vaisseau en orbite et toujours pas la moindre indication. Et toi, Stakis, tu en penses quoi ? »

Resté en retrait, le Zyssien releva la tête.

« Euh...

— Tu m'as l'air encore plus taciturne que Galaniel, dernièrement. Elles doivent être chouettes vos conversations, quand je ne suis pas là.

— Désolé, j'ai l'esprit ailleurs, ces derniers temps.

— Un peu comme tout le monde, en fait. »

Stakis ne répondit pas. À quelques mètres, des magiciens shawniens traçaient des traits de lumière, interrompaient des nuées de projectiles. Avec de la concentration, ils pouvaient même arrêter les balles.

Mais ces quelques tours d'opérette ne pourraient rien face à la toute-puissance du Général Chef.

Un haut-parleur tira le Zyssien de sa réflexion. Tout le personnel se trouvait convié dans le hangar principal.

« Ah, on va peut-être avoir nos explications, finalement », espéra Saxen.

Les Shawniens rangèrent leurs armes, puis quittèrent la salle de tir, suivis par Stakis.

« Comme quoi, c'est à croire qu'il suffise d'en parler pour être exaucé, déclara Saxen. Comme si Zawhyk m'avait entendu.

— Ça fait une semaine que tu ne parles que de ça en boucle, fit remarquer Galaniel.

— Pas tant que ça, se défendit-il.

— Un peu, quand même », confirma Stakis.

Ils arrivèrent dans la salle aux murs de métal gris. Le visage marqué par des cernes naissants, Zawhyk s'entretenait avec Dalen, sur l'estrade de bois. La femme, suite à son implication dans le programme d'échange, occupait un rôle de bras droit. Elle s'écarta finalement, ses yeux de glace balayèrent une dernière fois la foule, avant de disparaître dans un recoin.

Zawhyk s'avança d'un pas lent. Tous semblaient arrivés, maintenant, il allait pouvoir commencer.

« L'invasion du Général Chef n'étant désormais plus qu'une question de jours, le temps est désormais venu de vous révéler les détails de l'opération. »

Derrière lui s'afficha une carte de la lune d'Oriale ; le Shawnien s'arrêta sur un pays du nord-est, colorié en vert.

« Il y a dix jours, le Général du Neelhan est mort. Son fils, Fermal Eclarian, a aussitôt pris sa succession, mais a refusé de reconnaître Sméarn Pteï en tant que Général Chef. En clair, il est entré en guerre ouverte contre le pouvoir d'Oriale.

« Fermal Eclarian suit ainsi les mêmes objectifs que nous, à savoir la mort de Sméarn Pteï, et devient, de fait, notre allié de circonstance. Les armes à feu que vous avez reçues proviennent d'ailleurs de lui. Les autres Généraux, cependant, ignorent encore notre future intervention. »

Zawhyk déplaça la main vers le sud-ouest. De l'autre côté de la frontière, des lettres d'or s'alignaient sur un noir de jais. Kalendor, la nation d'origine de Sméan Pteï.

« Depuis dix jours, les forces du Général Chef envahissent le Neelhan afin de mettre fin à cette dissidence. »

Des points rouges apparurent sur la carte pour s'engouffrer à l'intérieur des terres.

« Les troupes de notre allié, inférieures en nombre et moins bien équipées, ont préféré, jusqu'ici, se replier à la capitale, Sif. »

Son bras désigna un triangle vert.

« Les armées kalendoriennes arriveront d'ici deux jours et, dans deux jours, nous serons là. »

Un murmure parcourut l'assistance alors que se précisaient les intentions de Zawhyk.

« Nous nous répartirons sur trois vaisseaux de la Fédération — achetés pour un solar symbolique — et de technologie similaire à celle d'Oriale. Puis, nous débarquerons par l'arrière pendant le siège de Sif, afin de prendre en étau notre adversaire. Je le rappelle, notre objectif reste la mort du Général Chef, Sméarn Pteï. »

L'hologramme se dissipa pour afficher une image de leur adversaire. Un homme au nez d'aigle, les yeux perçants, des cheveux coupés courts, et enferré dans une armure noire, rehaussée d'insignes d'or.

« L'homme, poursuivit Zawhyk, dispose de pouvoirs magiques considérables, bien supérieurs à ceux d'un magicien confirmé. »

Des murmures parcoururent l'assistance. Le Général Chef, protégé par sa chape de secrets, n'avait, jusqu'ici, jamais dévoilé de telles capacités.

« N'essayez pas de l'attaquer seul, quels que soient vos capacités ou pouvoirs, prévint Zawhyk. Votre rôle sera d'occuper l'armée adverse, afin de laisser le champ libre. »

Zawhyk soupira.

« Je mène l'assaut, et c'est à moi qu'il revient de l'affronter personnellement. À moi, ainsi que deux compagnons que j'aimerais vous présenter. »

Deux hommes rejoignirent l'estrade. Le premier, drapé d'une cape orange vif, dissimulait son visage derrière un masque blanc ; seules transparaissaient deux pupilles d'un violet profond. Le second, quant à lui, contrastait par la sobriété de ses vêtements gris, de même que ses traits fermés, presque antipathiques. Les cheveux poivre et sel raréfiés, la mâchoire serrée, ses yeux ardents se posaient avec insistance sur les différents intervenants.

« Voici Seyer Askhalomène et Alfonsi Mactivial, détailla Zawhyk. Vous n'avez, jusqu'ici, sans doute pas eu beaucoup d'occasions de les rencontrer, néanmoins tous deux m'ont aidé à superviser le programme d'échange. Ce sont des compagnons de confiance, qui prendront chacun la direction d'un vaisseau. »

Dans la salle, les conversations s'intensifièrent. Sans prêter attention au brouhaha, Zawhyk continua :

« Tout comme moi, chacun d'eux possède des pouvoirs capables de tenir tête au Général Chef, voire de le vaincre. Nous coordonnerons notre assaut de sorte à l'attaquer en même temps, à trois contre un. Notre adversaire n'aura pas la moindre chance. »

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