Chapitre 22

Sa mère était déjà là lorsqu'elle rentra enfin chez elle. Simon avait lancé un sort qui lui permettrait d'être invisible durant trente secondes - le temps qu'il lui fallait pour gagner la chambre de son amie.

—Tu rentres encore mouillée. Que s'est-il passé encore ? s'agaça Mme Darmont.

Alya jeta un coup d'œil à ses vêtements trempés. Le vent avait séché ses cheveux, mais leur état déplorable ne mentait pas eux non plus.

—Euh, rien. Juste une petite bataille d'eau avec Coline, se justifia t-elle.

C'était sans doute mal de mentir à sa propre mère, mais Alya ne voulait pas que l'existence de ce lac tranquille ne se répande. Par chance, Mme Darmont goba son mensonge sans difficulté.

Alya s'apprêtait à monter les escaliers lorsque sa mère s'exprima distraitement :

—Je ne t'ai pas entendu aller en cours ce matin.

La jeune femme se figea sur le bas des marches.

Alors, il y avait bien eu cours aujourd'hui.

Elle était une grande fille bien-sûr, mâture et capable de veiller sur elle. Mais elle logeait sous le toit de sa mère et elle n'avait pas intérêt à la vexer si elle voulait que leur cohabitation soit la plus agréable possible.

—Je n'ai pas fait de bruit, répondit innocemment la blonde.

Ce ne serait pas la première fois d'ailleurs. Le matin, elle se faisait aussi silencieuse qu'une souris, ne voulant pas déranger sa mère dans son sommeil.

Mme Darmont fit volteface et fusilla sa fille du regard.

—Pas un mensonge de plus. Le lycée a appelé, tu étais absente en classe aujourd'hui.

Fichu établissement.

—Maman, je...

—Où étais-tu ? la coupa t-elle sèchement.

Où elle était ? Cela dépendait du moment de la journée.

Elle avait fait la grasse matinée jusqu'à treize heures. Si sa mère avait eu la bonne idée de la chercher dans sa chambre, elle aurait su.

—Tu trainais encore avec ce chasseur, n'est-ce pas ?

Un chasseur ?

Le souvenir de Raphaël se rappela à elle. Elle n'avait pas revu le jeune chasseur depuis son pétage de plomb à l'hôtel. Et c'était sans doute mieux ainsi. Elle le fuyait. Pas qu'il ne soit d'une désagréable compagnie, non. En fait, la jeune femme commençait même à l'apprécier. Mais elle n'oubliait pas qu'il restait un chasseur, et qu'il tuerait ses amis sans hésiter s'il venait à savoir qui ils étaient. De plus, elle basculait lentement dans le monde des créatures surnaturelles depuis qu'on lui avait jeté un sort.

Si jamais Raphaël venait à découvrir ce qu'on lui avait fait, la traiterait-il comme les monstres qu'il affronte au quotidien ?

Cette pensée lui donna des sueurs froides.

—Je veux bien que tu passes du temps avec ce garçon, c'est le plus incroyable des chasseurs. Mais ce n'est pas une raison pour délaisser tes études. Peu importe sa fortune, tu dois d'abord te débrouiller par toi-même. Quand vous serez mariés, alors là, tu pourras te la couler douce, mais en attendant...

—Marié ?! s'écria la jeune femme, coupant court au délire de sa mère. Mais je ne vais pas me marier avec lui, jamais ! Et qu'est-ce qui te fait penser ça d'abord ?

C'est alors que Mme Darmont la gratifia d'un sourire narquois.

—Ne fais pas ta mijaurée, j'ai bien vu comment ce garçon te regarde.

—Je crois que dans ton observation, tu ne t'es pas aperçu de comment, moi, je le regarde.

Avait-elle perdu la tête ? Il faudrait attendre une Apocalypse pour que Raphaël et la jeune femme se mettent ensemble.

Sa mère s'apprêtait à surenchérir quand sa fille la coupa nette.

—Peu importe ce que tu t'apprêtes à dire, je ne veux surtout pas l'entendre. Je monte dans ma chambre, grommela t-elle.

Elle grimpa les marches deux à deux, pressée de quitter sa mère avant qu'elle ne revienne au galop. Au moins avait-elle oublié cette histoire de cours séchés.

Assis sur la chaise de son bureau, Simon la fixait de son regard railleur. Une chose était sûre : il avait tout entendu. Alya attendit de refermer la porte avant de lui dire d'un ton cinglant :

—Qu'est-ce qui t'amuse ?

Le sorcier haussa les épaules.

—Je ne savais pas que tu étais promise à un grand mariage.

Et voilà qu'il allait s'y mettre aussi.

—Qui est donc cet incroyable chasseur dont ta mère parle tant ? Oh, laisse-moi deviner. C'est celui qui ne cesse de te suivre partout comme un p'tit chien.

Alya se contenta de le fusiller du regard.

—Je n'aurais jamais cru que vous filiez le parfait amour...

—Nous ne sommes pas ensemble ! s'écria le jeune femme.

Elle se figea un instant, de peur que sa mère ne l'ait entendu. Elle avait parlé si fort. Par chance, Mme Darmont ne monta pas les escaliers. Soit elle ne l'avait pas entendu, soit elle la prenait pour une folle à parler toute seule dans sa chambre.

—Tu as parfaitement le droit de sortir avec qui tu veux. Je ne suis pas là pour te juger.

—Je ne sors pas avec lui. Il n'y absolument rien entre nous. Nous ne sommes pas amants, et encore moins amis, vociféra t-elle.

—Vas-y, continue à te le répéter. Peut-être que tu finiras par y croire.

Alya s'approcha d'un pas raide jusqu'à son lit, agrippa une peluche qui trainait là, et la jeta sans douceur dans le visage de son ami. Mais cela ne fit rien au sorcier, au contraire, Simon s'esclaffa.

—Non, plus sérieusement, ça ne me dérangerait pas que tu sortes avec lui, lui dit-il une fois son calme retrouvé.

—C'est un chasseur, répliqua Alya comme si cet argument surpassait tout.

—Il est aussi joli garçon, il veille à ton bien-être et il t'apprécie.

—Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Simon leva les yeux au plafond.

—Je ne sais pas, probablement le fait qu'il est venu tuer mon oncle pour venir à ton secours, ironisa t-il.

Alya se sentit d'autant plus coupable. Raphaël pensait venir la sauver. Au lieu de ça, il a tout détruit. Et à présent, elle se retrouvait avec cette malédiction qui lui collait à la peau.

—Tu es humaine, tu n'as pas à te retenir d'aimer qui tu veux juste parce que tes amis sont des êtres surnaturels. Et puis, qui sait, peut-être qu'avec le temps, tu pourrais l'aider à voir que nous ne sommes pas tous des monstres.

Elle était convaincue que cela n'était pas possible. Et au vu du ton badin qu'il employait, Simon n'y croyait pas non plus. La haine de la magie était ancrée profondément dans le cœur des chasseurs. Rien ne pourrait les détourner de leur mission.

—Je vais prendre l'air.

La jeune femme avait besoin de tranquillité, et Simon, tout comme sa mère, n'était pas prêt à lâcher le morceau. Elle n'avait pas envie de parler de Raphaël. Non, c'était un sujet tabou. Interdit d'imaginer une vie qui les relierait, elle et lui. Raphaël était un chasseur, elle était contre. Point final. Il n'y avait pas besoin de chercher à aller plus loin.

Elle prévint sa mère qu'elle allait chercher des pâtisseries pour le dessert, puis quitta la maison. Les rues de Rouen étaient bruyantes, la privant de la tranquillité qu'elle espérait, mais au moins, le vrombissement des voitures et les pas foulés des piétons ne lui parleraient pas de Raphaël.

La boulangerie n'était pas très loin. De ce fait, elle n'avait pas à prendre le bus, ni le métro. Le soleil était déjà presque couché, mais si elle se dépêchait, la blonde pourrait arriver à la boutique avant qu'elle ne ferme.

Sur le chemin, elle surprit le regard de quelques passants qui la fixaient, la mettant mal à l'aise. Cela se poursuivit jusqu'à la boulangerie. La boutique était déserte à cette heure tardive, et il ne restait plus grand-chose dans les vitrines. Elle jeta son dévolu sur un éclair au café, et demanda deux autres pâtisseries pour sa mère et Simon.

—Est-ce qu'ils sont aussi effrayants qu'on le dit ? lui demanda la vendeuse après lui avoir rendu sa monnaie.

Alya cligna des yeux, éberluée.

—Qui ça ?

—Vous le savez. Les monstres.

Un frisson d'effroi parcourut le corps de la jeune femme.

Est-ce qu'elle savait ? Avait-on découvert l'horrible secret de ses amis ? Qui d'autres étaient au courant ?

—Mais comment... souffla Alya, à court de mots.

—Je vous ai vu passer à la télé au bras de ce charmant chasseur.

Un énorme poids s'envola de ses épaules, laissant la jeune femme reprendre son souffle.

Ce n'était que de la curiosité due au bal qu'elle avait passé au côté de Raphaël. Un instant, elle avait cru qu'on l'avait démasqué.

—Je suis désolée, mais je suis pressée, s'excusa t-elle avant de quitter les lieux.

Son paquetage en main, elle déambula dans la rue l'air ailleurs. Cette vieille femme lui avait flanqué la frousse. Elle ne pensait pas que passer du temps avec le chasseur aurait autant de conséquence sur sa vie quotidienne.

Alya était perdue dans ses pensées, si bien qu'elle ne vit pas la petite fille arriver et manqua de lui rentrer dedans.

—Désolée... marmonna t-elle.

—Regarde maman, c'est la dame de la télé ! s'exclama la gamine.

Quoi ? Alors même les enfants la connaissaient à présent ?

—Ce ne serait pas la femme qui accompagnait le chasseur le soir du bal ? entendit-elle marmonner non loin d'elle.

—Elle semblait moins jolie dans sa robe à froufrous...

—Tu crois que c'est sa femme ?

Un brouhaha s'installa tout autour d'elle, lui donnant le tournis. Elle avait chaud subitement. Sa peau la démangeait par endroit, si bien qu'elle dut se retenir pour ne pas se rouler à terre devant tout ce monde. La jeune femme se sentait fiévreuse. Mais ce n'était pas dû à l'angoisse qui la tenaillait. Elle réalisa avec effroi que cela venait de ce sort qu'on lui avait jeté. Ça allait recommencer.

Elle devait partir d'ici.

Alya pressa le pas, cherchant à s'échapper au plus vite. Mais une femme lui barra la route. De quelques années plus vieille qu'elle, celle-ci se plaça à ses côtés et brandit son téléphone. L'écran dévoila leurs visages à toutes les deux alors qu'elle plaçait son bras sur ses épaules.

—Coucou mes p'tit fans ! Vous ne devinerez jamais qui j'ai croisé dans la rue aujourd'hui...

Alya chercha à se dégager de la prise de l'intervieweuse, sans succès.

—Je dois y aller...

Mais elle ne l'entendait pas - ou ne voulait pas l'entendre.

—Dites-nous, qui êtes-vous et quelle est votre relation avec le chasseur Raphaël ? Tout le monde meurt d'envie de savoir ! continuait-elle de s'extasier face à sa caméra.

Son sang bouillonnait dans ses veines. Ses iris lui piquaient, eux aussi,, comme si elle avait fixé le soleil trop longtemps. Et cette rage écumante qui prenait possession d'elle...

—Il n'y a rien entre lui et moi, parvint-elle à articuler.

Les yeux dans le vague, elle ne regardait même plus devant elle. Ses jambes tremblantes menaçaient de céder sous son poids à tout instant. Elle avait chaud, terriblement chaud. Et il avait cette boule qui gonflait, gonflait de plus en plus au creux de son ventre. Elle voulait sortir. Oui, elle allait sortir, et tout transformer en un cauchemar vivant.

—Dois-je comprendre qu'aucune relation amoureuse ne vous relie ? Vous aviez pourtant l'air très proche le soir du bal. Et des gens vous ont même aperçu tous les deux plusieurs jours après.

Des gens l'observaient à son insu ?

—Vous a-t-il déjà montré l'un de ces monstres hideux ? Ce doit être cool de se relaxer à la maison pendant que votre amant se débarrasse des répugnantes créatures qui menacent notre ville. Aux informations, ils ont parlé qu'ils comptaient éradiquer toute forme de vie surnaturelle. J'espère que ce sera pour bientôt !

Comment pouvait-on parler ainsi de la mort d'êtres innocents ?

Alya tentait du mieux qu'elle le pouvait de contenir sa colère bouillonnante, mais c'était difficile avec le discours haineux de la femme. Ses insultes lui donnaient des envies de meurtre. Elle souhaitait que l'on éradique les êtres magiques. Elle souhaitait la mort de Coline, de Simon, de Tino. Elle tuerait même Sacha, le jeune louveteau.

Cette pourriture ne mérite pas de vivre, répondit une voix caverneuse.

La chaleur étouffante atteignit un point culminant.

Trop de pression, beaucoup trop.

Il fallait la relâcher ou elle risquait d'exploser.

Trop, trop de pression. Faire sauter le bouchon, oui, faire sauter...

Une énergie abyssale déferla tout autour de la jeune femme, balayant tout sur son passage. Quand Alya rouvrit les yeux, tout était noir.

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