Chapitre 19
Alya se sentait minable. La jeune femme trainait des pieds, ses mèches humides et emmêlées se balançant au gré de ses pas. Ses vêtements trempés maculaient le sol de gerbe d'eau froide et elle eut une pensée pour le pauvre employé qui se coltinerait le ménage. Elle rejoignit Raphaël dans la chambre, transportant tant bien que mal sa pauvre carcasse vidée de toute énergie.
Elle se sentait faible, harassée. Comme si le feu qui avait brûlé en elle avait consumé une partie de sa source vitale.
—Tiens, enfile ça avant d'empirer ton état.
Le chasseur lui tendit des vêtements secs qu'elle ne prit pas tout de suite.
—Tu vas me voir toute nue ? dit-elle bêtement.
L'extrême fatigue qu'elle ressentait rendait son cerveau quasiment inopérationnel. Elle n'était même pas sûre de comprendre pourquoi elle devait se changer.
—Quel spectacle fabuleux ce serait ! s'exclama le jeune homme très joyeusement.
Puis, comme s'il se rendait compte que c'était totalement déplacé, il se racla la gorge.
—Je vais patienter dans l'autre pièce, le temps que tu t'habilles. Un vrai gentleman !
Il lui fit un clin d'œil qu'elle remarqua à peine avant de quitter la chambre, laissant la pile de vêtement sur le grand lit.
Alya était crevée. Ses muscles étaient si mous que lorsqu'elle entreprit de retirer son pull et que sa tête resta coincée dedans, elle fut incapable de s'en défaire. Elle se secoua mollement dans tous les sens, tentant en vain de retirer le tissu de son visage. Au lieu de ça, elle s'emmêla les pieds et tomba lourdement contre quelque chose de gros et dur qui devait être un meuble. Quelque chose tomba et se fracassa sur le sol, alertant le chasseur qui patientait dans l'autre pièce.
—Est-ce que tout va bien ? s'inquiétait-il.
—Je, euh... j'ai besoin d'aide, avoua t-elle finalement.
À peine eut-elle fini sa phrase qu'elle entendit le son d'une porte qui s'ouvrait. Alya n'osait pas imaginer à quel point sa posture devait être minable. Assise sur le sol, les deux bras en l'air et la tête coincée sous le pull trempé, la jeune femme devait faire peine à voir.
L'éclat de rire cristallin du chasseur confirma ses craintes.
—Je suis coincée, précisa t-elle.
—Oui, c'est ce que j'ai cru comprendre, pouffa Raphaël.
Au bruit de ses pas qui montait crescendo, elle l'entendit approcher. Ses mains se posèrent doucement de chaque côté de ses bras, enserrant un coin de tissu entre ses doigts, puis il tira délicatement sur le vêtement qui finit par glisser. Le corps enfin libéré et les cheveux en pétard, Alya leva la tête pour le remercier.
Sa cicatrice lui sauta alors aux yeux, lui rappelant ce qu'elle n'aurait jamais dû oublier. Raphaël était un chasseur, il était l'ennemi qui pourchassait et exécutait les gens qui lui étaient proches. Être ici, à ses côtés...
C'était mal.
Sentant un profond mal-être s'installer en elle, Alya décida qu'il était temps de s'en aller. Elle devait rentrer chez elle avant que sa mère ne commence à s'inquiéter. Cela faisait un moment que les cours s'étaient terminés, elle aurait dû être à la maison depuis longtemps.
—Je... Il faut que j'y aille, bafouilla t-elle en se levant.
—Tu veux que je te raccompagne ?
Elle secoua la tête. La jeune femme ne voulait pas de sa compagnie. Enfin si, elle l'appréciait et il l'avait aidé. Le garçon se montrait presque adorable avec elle, bien que trop envahissant. Cependant, il restait ce qu'il était : un meurtrier. Et même si passer du temps avec lui n'était pas désagréable, elle devait cesser de le fréquenter.
—Prends au moins le temps de te changer. Tu vas choper la crève si tu sors comme ça, tentait-il de la raisonner.
Alya jeta un coup d'œil à ses vêtements trempés, puis à ceux soigneusement posés sur le grand lit. De là où elle se trouvait, elle pouvait apercevoir une partie de l'emblème des chasseurs qui décorait fièrement un sweat noir. Elle refusa de se vêtir d'un tel habit. Elle n'osa pas penser aux conséquences que pourrait avoir un tel acte. Ce serait comme une revendication, sa déclaration au monde qu'elle soutenait les chasseurs plutôt que le monde surnaturel.
—Je dois y aller, répéta t-elle.
Elle chercha la sortie, mais ne sut pas par où elle était venue. Elle ouvrit une porte et, par chance, ce fut la bonne.
Raphaël la suivait, inquiet de son comportement inhabituel.
—Alya, si quelque chose ne va pas...
—Laisse-moi, je peux me débrouiller toute seule !
Elle sentit le feu se raviver au fond d'elle-même. Ce n'était qu'une toute petite flamme. Mais elle était là, menaçant de reprendre à nouveau le contrôle de son corps.
Alors qu'elle déambulait dans la rue, elle regretta l'absence de pluie. Les gouttes d'eau auraient expliqué ses vêtements trempés et les gens ne la dévisageraient pas ainsi. Elle devait ressembler à un rat mouillé. Elle était pitoyable.
Lorsqu'Alya arriva enfin chez elle et que sa mère la surprit dans ce triste état, elle prétexta être tombée dans la fontaine sur la place du 19 avril 1944, poussée par un touriste grossier. Cette dernière goba le mensonge sans broncher. Elle monta dans sa chambre tandis que sa mère maudissait les vacanciers, prit des vêtements et se changea dans la salle de bain. Le temps qu'elle termine, sa mère était partie. Il ne restait plus qu'elle et...
—Ça alors, t'as une sale tronche !
... Simon.
—Je préfère te prévenir, je ne suis pas d'humeur à entendre tes moqueries.
Le sorcier leva les mains en signe de paix.
—Est-ce que tu souhaites en parler ?
La jeune femme croisa les bras qu'elle serra contre elle, incertaine.
Devait-elle lui parler de ce qu'il s'était passé ? Sa colère constante, ce feu qui avait pris possession d'elle, cette folie qui l'avait poussé à se jeter sur Raphaël ?
Non, il n'avait pas besoin de savoir pour le chasseur.
Mais pour ce qui est du reste...
Simon était un sorcier, il s'y connaissait en magie et monde surnaturel. Et Alya était persuadée que ce qui avait pris le contrôle de son corps n'était pas dû à un phénomène naturel. Elle repensa à cet homme effrayant qui l'avait kidnappé. Juste avant qu'il ne meure, il l'avait attrapé par la cheville. Puis, il y avait eu ce pendentif brillant, et cette sensation cuisante qui l'avait traversé.
—Je crois que je ne vais pas très bien depuis quelques jours, avoua t-elle au sorcier.
Simon l'invita à s'asseoir sur le bord du lit. Ses fesses s'enfoncèrent dans le matelas lorsqu'elle s'y installa.
—Raconte-moi tout.
Alors la blonde lui expliqua tout ce qu'il s'était passé - à l'exception du tête-à-tête enflammé avec Raphaël. Ses yeux restaient rivés sur le sol.
Avait-elle peur d'affronter le regard de son camarade de classe ? Peut-être. Elle n'était plus elle-même depuis quelque temps. S'emporter ainsi ne lui ressemblait pas. Elle ne terrorisait pas les gens comme elle l'avait fait en classe plus tôt dans la journée. Elle se sentait malade. Sa peau la démangeait terriblement, et elle se mit à se gratter l'avant-bras.
—Penses-tu que je puisse avoir été ensorcelée ? Ou pire, maudite ? osa t-elle demander.
Simon haussa les épaules.
—Je ne sais pas. Je pense que ce n'est pas impossible. Le pendentif dont tu m'as parlé devait être un artéfact magique, seulement, je ne peux pas savoir avec exactitude à quoi il devait servir. Mais on va chercher. Et on va régler ce problème, affirma le sorcier.
Sa peau la démangeait de plus en plus, et elle frotta son bras de plus en plus fort, griffant son épiderme du bout de ses ongles. La sensation d'avoir une chose en elle persistait, et elle voulait sortir. La petite flamme se transformait doucement en un brasier flamboyant.
Simon remarqua son agitation.
—Arrête, tu vas finir par te blesser !
Le sorcier prit sa main entre ses doigts et l'éloigna vivement de son avant-bras. Alya s'attendait à voir sa peau rougie, au lieu de ça, l'apparition d'écailles noires la firent frissonner d'effroi.
—Par Satan, qu'est-ce que c'est que ça ?! s'exclame Simon avec horreur.
Le sorcier fixait son bras, les yeux exorbités.
—Toi aussi, tu peux le voir ?
Alya avait d'abord cru à une hallucination. Mais si Simon pouvait les voir lui aussi, alors cela signifiait que c'était réel.
—Ce n'est peut-être pas si terrible que ça, chercha t-elle à se rassurer. C'est juste une sorte de... d'eczéma démoniaque ?
Elle riait nerveusement tout en disant ces mots. Trevor lui avait fait quelque chose, ils en étaient sûrs maintenant.
—Je te promets que je vais tout faire pour trouver ce que tu as et y remédier.
La jeune femme eut envie de pleurer. Un peu de soutien n'était pas de refus dans une situation aussi cataclysmique que celle qu'elle endurait. Cela lui faisait du bien de voir qu'elle n'était pas seule. Et avec un peu de chance, peut-être que tout finirait par rentrer dans l'ordre un jour...
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