Prologue
Chevauchant à brides abattues sous une averse de neige soutenue, le cavalier tout de noir vêtu se hâtait de retourner au château de son maître, qu'il pouvait distinguer au loin dans l'aube brumeuse nimbant les environs.
La route en terre battue qu'il empruntait, bordée d'herbe rare et gelée, était l'un des seuls axes perpétuellement praticables du royaume, et pour cause. Elle était l'unique chemin menant à la demeure du seigneur des lieux et prince de Sirin, et se devait donc de rester impeccable si l'envie prenait à son propriétaire de quitter sa place forte.
Malgré son épais manteau de fourrure et ses gants de cuir, le mystérieux jeune homme sentait ses membres se tétaniser sous l'effet du froid mordant et était très pressé de pouvoir se réchauffer auprès du feu. Même s'il aurait préféré se trouver à mille lieux d'ici.
Soucieux du sort qui allait lui être réservé, il ne vit pas le jeune paysan jouant avec son chien au bord de la route et manqua de le renverser, alors qu'il s'apprêtait à emprunter le pont-levis au grand galop. Il ne prit pas plus le temps de s'annoncer aux gardes en faction devant la porte qui cachait la herse ; le tigre blanc brodé à l'arrière de son manteau devait avoir suffi à les dissuader de l'arrêter.
Arrivé à l'entrée de la cour intérieure, il démonta tout en stoppant net sa monture épuisée, et demanda au serviteur venu l'accueillir à « voir le Prince », d'un ton sec et directif.
Celui-ci confia la pauvre bête à un palefrenier et conduisit le visiteur jusqu'à son maître.
Les pas du cavalier, alourdis par des bottes de fer normalement destinées aux champs de bataille, résonnaient contre les épais murs de pierre de l'édifice, tranchant avec le léger bruissement des pieds nus et meurtris de l'esclave qui l'accompagnait.
Précédé du page, à peine vêtu d'une tunique longue et de chausses, il se dirigea vers la grande salle du domaine par un dédale de couloirs sinistres et froids, son manteau flottant derrière lui.
Devant la double porte en bois ouvragée de la pièce, le serviteur parla à deux gardes habillés d'une livrée bien plus chaude et luxueuse que celle des autres soldats à l'extérieur, puis disparut à l'angle d'un couloir. Il en revint quelques instants après, visiblement apeuré, et fila sans demander son reste alors que la porte devant laquelle attendait le cavalier s'ouvrait en grand.
Par les vantaux ouverts, ce dernier retrouva avec un certain déplaisir le vaste espace tout juste meublé par quelques tables et bancs de part et d'autre, aux murs recouverts de tentures aux armoiries du seigneur de ces terres, et au fond duquel un trône imposant dominait l'ensemble.
Sur celui-ci siégeait nonchalamment un homme brun qui semblait attendre, une main sur le pommeau de son épée - dont la garde apparemment faite d'argent était légèrement visible sous son manteau - et l'autre, bougeant en un simulacre de caresse, sur la tête du tigre blanc dont la fourrure lui servait de manteau.
A deux mètres du trône, riche en sculptures et décors complexes, le messager s'arrêta et mit un genou en terre :
- Mon P...Seigneur Syd, je viens pour faire mon rapport comme convenu.
- Eh bien fais donc, et vite je te prie ! j'ai hâte de pouvoir annoncer ma victoire à tous les royaumes.
- Mes hommes sont formels, votre Majesté, toutes les cibles identifiées ont été éliminées comme vous l'aviez demandé. Discrètement. Sans tapage. Aucune chance de voir nos voisins nous accuser de quoi que ce soit. Ils ne sauront même jamais que nous avons infiltrés leurs terres.
Visiblement intéressé et ravi de ces nouvelles, le maître des lieux se redressa et félicita son émissaire :
- Bon travail Draïn. Je vois que je peux toujours compter sur toi, malgré ta...réticence initiale. Ta petite troupe est décidément le meilleur atout que j'ai mis à mon service. D'ici peu mes chers cousins ne seront plus qu'un lointain souvenir, tout comme ma sœur.
Il continua d'une voix mélangeant sérieux et plaisir à peine voilé :
- A-t-elle souffert ? Ou lui as-tu apporté paisiblement le repos qu'elle méritait ?
- Eh bien...Comme vous l'aviez dit votre sœur est très douée et intelligente. La retrouver n'a pas été facile car elle a su relativement bien couvrir ses traces. Mais elle n'était pas assez douée pour disparaître complètement.
En cela elle m'a énormément contrariée et elle a su le mettre à profit p...
- Comment ça « elle a su le mettre à profit » ? Est-elle morte oui ou non ?, lui demanda Syd dans un souffle, plein de colère difficilement contenue, tout en agrippant les accoudoirs de son fauteuil à s'en faire blanchir les mains.
- Votre Majesté elle... Je pense qu'elle nous a caché une partie de ses pouvoirs...Je... Je n'ai rien pu voir venir... Je...
Syd se releva brusquement puis s'approcha lentement de Draïn, comme un félin chassant sa proie. Celui-ci tenta de reculer, livide, mais semblait comme incapable de faire plus de quelques pas.
Le silence était total, dense et pesant dans la pièce quasiment vide. Seul le bruit implacable et régulier des pas du monarque se dirigeant vers son homme de main brisait cette quiétude malsaine, et renforçait la terreur de celui-ci.
Arrivé à hauteur de l'homme désormais tétanisé par la peur, Syd reprit le fil de la discussion avec un calme inquiétant :
- Je ne veux pas savoir ni comment, ni pourquoi tu l'as laissé s'échapper. Car c'est bien ce que tu t'apprêtais à me dire n'est-ce pas ? Je ne veux pas non plus savoir ce qu'il t'en coûtera pour la retrouver. Tu peux bien vendre ton âme ça m'est égal. Mais n'ose plus JAMAIS te présenter devant moi si tu n'as rempli ta mission c'est bien clair ?
Trouve-là. Découvre comme elle a pu te filer entre les doigts. Et quand ce sera fait, TUES-LA !
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Brusquement tirée de son sommeil par un cauchemar, la petite fille s'assit sur son lit, alluma sa lampe de chevet et regarda à gauche puis à droite, effrayée par ce qu'elle venait de voir en rêve. Des larmes coulaient sur ses joues sans qu'elle s'en rende compte et elle peinait à ralentir les battements frénétiques de son cœur.
Une lumière apparut sous la porte de sa chambre et, quelques instants plus tard, celle-ci s'ouvrit sur la mère de l'enfant, échevelée, qui entra vivement dans la pièce. Voyant sa fille totalement paniquée, cette dernière s'installa au bord du lit et attira son enfant contre elle, la berçant doucement sans rien dire pour tenter de la calmer.
Après plusieurs secondes dans le silence le plus total, la jeune femme demanda à la petite fille :
- Eh bien Anna, tu as fait un vilain cauchemar ?
- Oui... C'était...horrible, réussit à articuler la petite fille en reniflant entre deux sanglots.
- Tu veux me raconter ? Il paraît que ça fait fuir les mauvais rêves.
- Il y avait un chevalier, mais un méchant chevalier tu vois. Il... Il tuait des gens en se cachant dans le noir, avec d'autres gens comme lui. Et puis il y avait cet homme qui faisait si peur...
- Là, là mon cœur respire profondément., répondit la mère de la petite, qui tremblait comme une feuille. Il n'y a pas de méchant homme dans le noir. C'est ta petite tête qui a été toute retournée par le film d'hier soir. Mais tu te souviens comment il se finissait n'est-ce pas ?
- Oui... A la fin le prince fait disparaître le vilain dragon !
- Eh oui ! Les méchants finissent toujours par perdre tu vois.
Allez mon cœur maintenant rendors-toi, je reste à côté de toi en attendant. Et si le mauvais rêve revient t'embêter, n'oublie pas que je suis là pour te protéger, d'accord ?
- D'accord maman je vais essayer., répondit la petite fille en se réinstallant sous sa couette.
Elle ferma les yeux et revit presque aussitôt dans son esprit le regard noir du terrifiant homme de son cauchemar. Elle se concentra sur la fin du dessin animé qu'elle avait regardé la veille pour se donner du courage, mais l'ombre de son songe continuait à la hanter.
Quelque chose au fond d'elle-même lui disait que ce n'était pas un rêve comme les autres. Que, quelque part, la magnifique jeune femme qu'elle avait vu fuir dans celui-ci était véritablement en danger.
Elle savait que cela n'avait pas de sens. Que ce n'était qu'un rêve. Et pourtant, le blason cousu sur la cape du chevalier lui semblait étrangement familier. Où avait-elle pu voir cet emblème au tigre blanc, si ce n'était dans un rêve identique précédent ?
Pour tenter de retrouver le sommeil, elle convoqua l'image de la personne en fuite. Elle était tellement belle et tellement triste à la fois. Curieusement, elle paraissait aussi jeune que pleine d'une sagesse ancestrale.
Elle l'imagina en train de traverser une forêt de pins immenses, son long manteau
à capuchon vert foncé la rendant presque invisible sous les frondaisons. Seule une mèche de ses longs cheveux roux semblait ne pas vouloir se fondre dans le décor et voletait au gré des courants d'air.
Cette vision apaisa progressivement Anna, qui commença à s'assoupir. La dernière chose dont elle se souvint en se réveillant le lendemain matin, et qu'elle garderait au fin fond de ces souvenirs très longtemps, fut les paroles prononcées par la mystérieuse fugitive – ou était-ce sa mère pour partie ? - alors que la petite fille regagnait le pays des songes :
« Dors petite Anna, dors paisiblement. Le moment venu nous nous rencontrerons à nouveau ».
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