Révolte

Sans relever la pique, Meng fit déplacer la caisse par les soldats, sous le regard perçant et dérangeant de la vieille femme. Elle tenta de ne pas se sentir coupable, sans vraiment y parvenir, et sortit de la petite pièce. Le délégué lança une dernière fois :

« N'oubliez pas de parler de la prime.»

Dans la salle suivante, les ouvriers travaillaient toujours, mais les regards lancés étaient bien plus hostiles qu'auparavant, principalement envers Meng. Sans qu'elle ne sache comment, elle savait que tout le monde maintenant savait qui elle était, et qui étaient ses parents. Peut-être les ouvriers avaient-ils un moyen de communication entre eux, peut-être simplement la rumeur avait-elle grandit après qu'une personne l'ait reconnue, mais beaucoup d'yeux se posaient sur elle, tandis qu'elle tentait de ne pas se sentir mal à l'aise en passant. Sans qu'elle ne puisse en déterminer la provenance, quelqu'un cria :

« Vendue ! »

Immédiatement, comme si la tension qui s'accumulait depuis leur arrivée éclatait, d'autres cris et insultes fusèrent, et rapidement, les ouvriers se mirent à frapper leurs pieds contre le sol, en rythme, créant une pulsation intimidante. Les soldats serrèrent leurs armes, prêts à tirer si l'ordre était donné, mais Meng avait conscience que la situation allait dégénérer si quiconque était blessé. Elle continua d'avancer vers la sortie avec la caisse escortée par des Modsai, tentant de regarder droit devant elle et de ne pas croiser le regard d'ouvriers ou d'écouter les insultes. Une fois dehors, elle vit que plusieurs dizaines d'ouvriers, qui étaient rejoints par une foule toujours plus importante, frappaient le sol dans le même rythme. Sans vraiment s'en rendre compte, Meng accéléra le pas et dit à son escorte :

« On se dépêche. Je ne veux pas un tir, pas un coup.»

Le rassemblement devint de plus en plus grand, tandis que des ouvriers sortaient même de leurs ateliers et usines pour rejoindre la foule. La situation allait bien plus loin que Meng désormais, et la présence même des Modsai était le problème. Quelques pierres furent jetées, sans blesser les soldats, mais voyant que la situation risquait rapidement de s'enflammer, Meng saisit son arme et tira en l'air, faisant cesser les cris et les pulsations. Elle affirma ensuite, d'une voix se voulant assurée :

« Vous ne voulez pas que ces soldats interviennent, croyez-moi. Laissez nous regagner le vaisseau et tout se passera bien.»

Cependant, sa déclaration n'aida pas à réduire la tension, et les cris reprirent de plus belle, ainsi que la pulsation des lourdes bottes sur le sol boueux et pollué. Si ils restaient plus de quelques minutes, quelqu'un allait être violent, qu'importe le côté, et alors plus rien ne serait sous contrôle. Meng fixa son regard sur la soucoupe Modsai et avança dans sa direction d'un pas vif, évitant de justesse une pierre qui lui passa à quelques centimètres du visage. Des hommes en uniformes sombres et armés de bâtons au bout lumineux sortirent soudainement d'un petit bâtiment d'où s'éleva rapidement une sirène stridente. Dans un haut parleur, une voix cria :

« Retournez à vos postes, il n'y aura pas d'autres sommation.»

Cependant, après une très légère baisse du volume des cris, et une pulsation quelque peu hésitante, les cris furent plus forts que jamais. Les hommes en uniformes se mirent alors à frapper les ouvriers, qui répondirent aussi violemment de leurs lourds outils en fer. D'une usine sur une falaise furent tirés des feu d'artifices rouges, dont la détonation résonna dans tout le complexe industriel. Des usines sortirent toujours plus de travailleurs, armés d'outils et pour certains de fusils probablement détournés et volés en prévision d'une occasion comme celle-ci. Meng comprit que la simple arrivée des Modsai n'était pas la cause des tensions, mais qu'elle s'était passée à l'acmé de la pression. Une telle situation avait été anticipée depuis longtemps déjà, préparée des deux côtés, et le prélèvement des sources Etchoki n'avait fait que la déclencher. Des tirs se mirent à provenir des usines en hauteur, tandis que d'autres sirènes s'élevaient de part et d'autres du lieu. Meng cria :

« On se dépêche, il faut partir d'ici avant qu'on n'en ait plus la possibilité.»

Les Modsai semblaient soudainement être ignorés par les ouvriers, qui se concentraient sur les contremaîtres. Ils arrivèrent enfin à la soucoupe, où Meng hurla alors à un des soldats qui avait pointé son arme vers la foule :

« Je ne veux pas un tir, c'est clair ? On rentre, et que personne ne soit blessé ! »

Ils furent bientôt tous dans le vaisseau, et la rampe fut fermée. Après quelques secondes, les réacteurs grondèrent et ils décolèrent, tandis que le bruit métallique de pierres jetées contre la carlingue se faisait entendre. Les sirènes se firent de plus en plus distantes, et ce n'est qu'une fois en orbite, alors que le saut en vitesse subluminique commençait à être calculé, que Meng s'autorisa à décontracter ses muscles et à reposer son arme dans son holder. Elle jeta ensuite un œil à la caisse, rassurée qu'ils aient réussi à mener la mission à bien. Cependant, un profond malaise grandissait en elle. Si cela était arrivé sur sa planète, elle aurait été du côté des ouvriers, mais ici, elle avait été celle qui venait leur prendre ce qu'ils avaient produit, sans assurance de payement. Elle sentait le regard désaprobateur des soldats posés sur elle, et l'hostilité à l'égard de son refus de tirer sur les travailleurs. Elle entendit vaguement un soldat affirmer qu'elle était  « Ar'set'». Ce terme, lorsque utilisé pour insulter, était extrêmement outrageant, et la jeune femme sentit qu'elle risquait de perdre le respect des soldats si elle n'intervenait pas. Elle haussa alors le ton :

« Je ne veux plus entendre quiconque affirmer ça. Si vous avez quelque chose à redire à mes méthodes, dites le directement, ou adressez vous à Nehfir, en attendant vous n'êtes rien que des soldats, et vous n'avez pas d'avis à avoir. Est-ce que je me suis faite comprendre ? Ou est-ce qu'il faudra que je parle de votre insubordination à Nehfir ?»

Le silence se fit, et les soldats ne répondirent pas. Meng hocha la tête :

« C'est bien ce que je pensais.»

Derrière son assurance de façade cependant, un regret de plus en plus important d'avoir prit une décision si rapide grandissait. Si ses parents avaient cautionné ce qui arrivait aux ouvriers durant si longtemps, méritaient-ils vraiment qu'elle trahisse l'équipage du Ylys pour prendre leur suite ? Elle se mit à profondément douter de son choix, et une forte colère contre elle-même se mit à germer dans son cœur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top