Les jours passèrent, se transformant en semaines. Meng fut contrainte de poursuivre des missions sur diverses planètes, récupérant des cargaisons de sources Etchoki, d'armes, de carburant, de nourriture, et de quoi permettre l'invasion de façon générale. Elle ne cessait jamais de chercher une occasion de fuir, d'entrer en contact avec l'équipage de Ylys, sans succès. Soit elle était toujours en compagnie de quelqu'un d'autre, soit elle n'avait pas accès à un moyen de communication sécurisé, qui ne serait pas repéré par les Modsai. Heureusement pour elle, aucune situation n'arriva à un stade aussi délétère que la révolte ouvrière à laquelle elle avait fait face sur Ackvales. Cependant, elle se heurtait régulièrement à une certaine hostilité, quand elle n'arrivait pas simplement au milieu d'une grève bouleversant leurs plans initiaux et faisant prendre du retard. À l'approche du jour J, Nehfir semblait toujours plus presser ses fournisseurs pour avoir des ressources rapidement. Cela se répercutait sur des baisses de salaire déjà frugaux, des cadences de travail affreuses et des conditions de sécurité toujours moins prises en compte. En conséquence, les grèves, sabotages, ou simplement l'hostilité se généralisaient. La situation ne pourrait pas durer plus de un ou deux mois dans ces conditions, mais Nehfir avait déjà calculé le risque, et l'invasion serait lancée avant le terme.

Le chef de guerre, à l'approche de la date fatidique, se renfermait de plus en plus. Il était sujet à des explosions de colère fréquentes, et passait une grande partie de son temps dans la salle d'entraînement de son croiseur, à faire du sport et du tir. À toute autre occasion, il était en communication avec ses armées, dont les croiseurs étaient pour l'instant stationnés sur les planètes des systèmes environnant, attendant l'heure de décoller vers la porte d'union. Les rares instants que Nehfir passait avec son équipage étaient constitués de réunions d'organisation, de distribution d'ordres et d'affectations. Cette nervosité se transmettait à l'équipage, et l'air semblait électrique. Au milieu de cela, Meng tentait de ne pas montrer tout son dégoût pour ce qu'elle faisait. Elle était une prisonnière, tentant de faire passer son séjour derrière les barreaux pour une décision personnelle et volontaire.

Toujours plus, son opinion envers ses parents se dégradait. Comment eux, des scientifiques, censés avoir une morale, avaient-ils pu supporter un tel projet destructeur ? Tout le financement apporté aux recherches sur les Etchoki par Nehfir ne pouvait pas suffire à l'expliquer. La jeune femme se rendait jour après jour à l'évidence : ceux qu'elle avait espéré revoir durant près de dix ans étaient d'affreuses personnes. Elle avait poursuivi un fantôme dont elle ne savait rien, et avait abandonné l'équipage de Ylys, les seuls à se dresser contre Nehfir, pour ce fantôme. Cette conclusion, très déplaisante, provoquait l'amertume de Meng plus que tout le reste. Si elle avait été forcée à accomplir ces mission, cela passerait encore. Mais elle s'était portée volontaire, et subissait maintenant les conséquences de ses propres actes.

Dans Ylys, tout le monde était également occupé. Les dernières semaines, tout en tentant de se garder le plus précisément possible informés sur les actions de Nehfir, l'équipage s'organisait pour mener la dernière résistance. Si leur ultime plan échouait et que l'invasion était lancée, qu'importe si Nehfir ou l'Union Galactique ressortait vainqueur de l'affrontement qui s'ensuivrait : les conséquences seraient catastrophiques et les morts se compteraient en millions, peut-être en milliards. La date précise de l'invasion était encore inconnue, les faisant vivre sur le qui-vive en permanence. Chaque instant pourrait possiblement être le dernier avant que Nehfir ne donne l'ordre à ses croiseurs de se rassembler.

Afin de pouvoir approcher le croiseur de Nehfir lors de cet instant crucial, malgré les armées Modsai tout autour, il serait nécessaire pour l'équipage de Ylys d'avoir également un vaisseau de guerre du Fléau. Après des jours de recherches, de faux espoirs et de conseils et redirections, Daenide avait fini par entrer en contact avec un ferrailleur qui possédait une frégate Modsai encore en bon état. Au vu de l'état des armées du Fléau, et plus encore des armées indépendantes comme celle de Nehfir, cette frégate se fondrait dans la masse sans problème.

Cependant, il serait impossible d'approcher Nehfir efficacement et de mettre un terme à ses plans, même avec un vaisseau Modsai, s'ils n'étaient que trois. Une grande partie de leur temps était donc consacrée à la recherche et au recrutement de membres. Cette étape était cependant bien plus simple qu'ils ne l'avaient envisagé. En effet, entre les travailleurs épuisés par Nehfir et les individus qui avaient vu leur vie détruite par le chef de guerre ou le Fléau, une forte rancœur existait, et certains se portaient même volontaire sans avoir attendu d'explication dès lors qu'il leur était indiqué que la mission consisterait en une attaque envers Nehfir. Le Modsai s'était créé des ennemis, non pas en vexant des personnages puissants, mais en pressant jusqu'à la dernière goutte ceux qui travaillaient pour ces personnages puissants. Ylys n'avait pas les moyens, mais ils avaient le nombre. Et avec ce nombre viendraient les moyens, par la participation de chacun.

Némésis partait régulièrement de Ylys, ayant même acheté un petit vaisseau personnel, pour entrer en contact avec divers groupes hostiles aux agissements de Nehfir. Si son plan d'invasion via une porte d'union était inconnu de la plupart, et trop invraisemblable lorsque énoncé pour que l'Union Galactique y voit autre chose qu'une rumeur sans importance, ses actes pour le mettre en place étaient, eux, bien connus localement. Et ces actes étaient le carburant pour la révolte grondante qui se dessinait. Tout ce dont les gens avaient besoin était une coordination pour leurs actions, un plan sur lequel compter, afin de lutter. Et ce plan, l'équipage de Ylys l'apportait. Ils étaient la réponse à un malaise grandissant, et il ne fallait bien souvent pas argumenter longtemps avant de trouver des soutiens et des gens prêts à se porter volontaire.

Nehfir était l'instrument de sa propre chute. En exploitant depuis plus de vingt ans de nombreuses planètes, en soumettant des millions de travailleurs à des conditions terribles afin de mettre son plan en place le plus vite possible, il s'était également créé des centaines de milliers d'ennemis. S'il n'y prêtait pas attention, considérant qu'une colère populaire n'était pas un grand danger si elle n'avait pas de quoi mettre en place une résistance digne de ce nom, il avait sous-estimé la colère que beaucoup avaient à son égard. Et cette colère serait, l'équipage de Ylys l'espérait, ce qui réduirait à néant les efforts du chef de guerre.