Toc, toc, toc
Lucie se tournait sans cesse dans son lit. Elle n'était pas habituée à ces draps, à ces oreillers. L'odeur de la pièce lui était étrangère, dérangeante. En un mot, elle n'était pas chez elle.
Jack dormait, lui, paisiblement sur un coin du matelas. Sa maîtresse le jalousa malgré elle.
— Si seulement je pouvais pioncer comme toi en toutes circonstances !
Cette nouvelle situation, ce château et ses habitants. Cela faisait déjà une semaine, mais tout lui paraissait encore surréaliste. Plusieurs fois, elle avait surpris des bribes de conversation entre l'Elderaye et le Gorwaith sans réellement en saisir le sens.
« Danger... mutant... maladie »
Ces mots tournaient dans sa tête. À chaque fois qu'elle pénétrait dans la pièce, ses deux nouveaux compagnons se taisaient. Et quand elle se risquait à poser une question, Etharion la rabrouait sans aucun tact.
Elle se força à fermer les yeux. Elle se sentait épuisée et ne pourrait pas tenir longtemps à un tel rythme. Elle se concentra sur sa respiration.
« Inspire... une... deux... bloque... expire... une... deux ».
Son mantra commença à faire effet, mais à l'instant où elle s'apprêtait à sombrer dans les bras de Morphée, un grondement d'une férocité impressionnante résonna du plus profond de la bâtisse.
— C'est pas possible, il se passe quoi dans ce foutu château ?
Bien décidée à découvrir les sombres secrets de ses hôtes, elle enfila rapidement sa robe de chambre et s'en alla explorer les alentours, à la recherche de l'atroce hurlement. En passant devant la chambre de l'Elderaye, elle accéléra le pas. Son dernier souhait était de se retrouver seule face à lui et qu'il la questionne sur son escapade nocturne. Concrètement, elle ne faisait rien de mal, elle pouvait se déplacer à sa guise dans l'enceinte du domaine. La seule exception concernait une porte en bois noir et fer forgé, camouflée derrière une imposante tenture aux reflets cramoisies, située à l'opposer de ces quartiers, dans l'aile est. Cette partie du château incommodait la jeune femme, elle évitait soigneusement de s'y rendre. L'atmosphère y était sinistre. La moitié des meubles étaient recouverts de draps blancs poussiéreux et d'épais rideaux empêchaient les rayons de soleil de se répandre dans les couloirs. L'unique lumière provenait de torches, éclairant des portraits encore plus effrayants que dans le reste du manoir. Cet endroit dégageait un aspect suranné et semblait figé dans le temps d'une époque révolue.
Elle y avait mis les pieds, une seule et unique fois, le jour où Eltharion avait daigné lui faire une visite sommaire des lieux. Lorsqu'elle s'était risquée à demander ce qu'il se trouvait derrière la lourde étoffe, l'Elderaye l'avait rabrouée avec véhémence.
« Il y a des choses, petite fille, que tu n'as pas besoin de savoir. L'accès à cette zone t'est interdit, et si je te surprends à rôder dans les parages, je te jure que tu t'en mordras les doigts. »
Un nouveau grognement et des bruits de bagarre la sortirent de sa rêverie. Pour son plus grand malheur, ces sons semblaient provenir de cette fameuse aile. Lucie avança prudemment dans les couloirs. Elle sentait une boule d'angoisse se former dans son ventre. En plus du décor effrayant, elle avait peur d'être prise la main dans le sac.
— Allez, ma fille, courage ! Dis-toi que tu pourras satisfaire ta curiosité !
En arrivant devant la tenture, la jeune femme s'aperçut que la porte était grande ouverte. En se penchant dans l'embrasure, elle entendit distinctement des grognements de toutes sortes. Que pouvaient-ils bien se passer en bas ? Elle descendit prudemment les marches étriquées en se tenant à une vieille rambarde délabrée. Arrivée en bas de l'escalier, elle retint un cri d'effroi.
En face d'elle se tenait une multitude de cages. Toutes absolument gigantesques et remplies de créatures toutes plus effrayantes les unes que les autres. Elle se trouvait dans un cachot. Elle attrapa une torche accrochée au mur à côté d'elle et se risqua à pénétrer plus profondément dans cette cave des horreurs.
Elle brandit son flambeau en direction d'une des cellules. Au fond, tapie dans l'obscurité, une masse informe gémissait de douleur. Ses pleurs déchirèrent le cœur de Lucie qui ne put s'empêcher de se rapprocher de sa cage.
— Bon... bonjour. réussit-elle à articuler avec difficulté. Vous semblez avoir mal, je peux vous aider ?
Lentement, la créature se releva et avança vers la jeune fille. Lorsqu'elle fut suffisamment proche, Lucie distingua avec effroi les pourtours de la bête.
Au premier abord, le prisonnier semblait avoir un aspect humain, mais très vite la jeune femme dut se rendre à l'évidence, en face d'elle se tenait un monstre. Une peau écailleuse d'où suintait un liquide verdâtre. Sur son visage, pas d'yeux, juste une immense mâchoire bilieuse sertie de dents monstrueusement longues lui donnant l'expression d'un sourire constant.
Soudain, il bondit vers Lucie qui recula, prise de panique, jusqu'à se retrouver dos au mur. Elle sentit alors une chose visqueuse s'enrouler autour de sa gorge. Plus la jeune femme se débattait, plus le tentacule resserrait son étreinte la faisant suffoquer.
Elle essaya de crier de toutes ses forces, mais ses cordes vocales, oppressées, ne laissèrent s'échapper de ses lèvres qu'un mince filet de voix inaudible. Au moment où elle perdit espoir, une porte au fond de la salle s'ouvrit avec fracas. Elle espérait voir Ykar ou Etharion venir la sauver, mais à la vue de la nouvelle bête qui venait d'en franchir le seuil et qui se rapprochait d'elle, la jeune femme désenchanta immédiatement.
Un véritable loup-garou, comme ceux que Lucie avait pu observer maintes fois à la télé, fonçait à toute vitesse sur elle. Il avançait sur ses deux pattes arrières et se tenait debout. Lucie était terrorisée face à ce monstre absolument gigantesque. Il se cognait contre les cages. Les murs de pierres s'effritaient sur son passage. Il était à présent tout près d'elle. La jeune femme pouvait sentir son haleine putride s'échapper de sa gueule anormalement allongée. Au moment où elle se crut perdue, deux puissants bras, recouverts de tatouages bleutés, retinrent la bête qui hurla de rage. Lucie se sentait défaillir, elle n'arrivait plus à respirer une once d'oxygène.
— Ykar ! Vite ! Sors-la de là tout de suite !
Le Gorwaith apparut alors dans le champ de vision de la jeune femme désespérée. D'un mouvement rapide, il trancha l'appendice tentaculaire qui tomba au sol dans une mare de sang tout en continuant de gesticuler. L'animal se tenant dans la cage derrière Lucie poussa un hurlement strident. Ykar l'attrapa par la main et sans comprendre ce qui se passait, elle fut entraînée en dehors de la pièce. Arrivée en haut des escaliers, Lucie récupéra sa lucidité et se libéra de l'emprise de son ami.
— Mais vous êtes tous complètement barrés dans cette maudite baraque !
Ykar se retourna sans comprendre. Il la regardait fixement sans savoir quoi répondre.
— C'est quoi cette cave des horreurs ? Vous faites une sorte de collection morbide ? C'est pour cette raison que tu as disparu toute la journée, pour chercher un nouveau trophée?
— Putain Lucie ! Calme-toi deux minutes tu veux !
La jeune femme obéit et se tut. C'était la première fois que le beau brun osait élever la voix face à elle.
— Ethar t'as pourtant mise en garde, qu'est ce que tu es venu foutre ici ?
— J'ai entendu des bruits inquiétants, et en dehors de ça, j'en ai assez de vos messes basses ! Je vis ici, comme vous, je ne veux pas être mise à l'écart. J'en ai assez ! Si je suis coincé avec vous, vous pourriez avoir un minimum de considération pour moi et me dire ce qui se passe ici !
— Tu n'as pas à savoir.
Etharion venait de passer le seuil de la porte et regardait Lucie avec une hargne palpable.
— Tu jouis déjà de privilèges certains ! Mais si tu n'es pas heureuse de ton sort, on peut très bien y remédier et te préparer une cellule en bas.
— Ethar...
Ykar se massait les tempes de désespoir.
— Je comprends ce qu'elle veut dire et ce qu'elle peut ressentir. Elle vient juste de découvrir un Nouveau Monde. Elle doit flipper, et c'est normal ! Alors, mon frère, je t'en conjure, ne le prends pas comme ça.
L'Elderaye claqua plusieurs fois la langue de mécontentement. Il fixait Lucie de ses prunelles dorées, analysant l'expression de désespoir se dessinant sur son visage.
— Soit. Tu veux savoir ce qui se passe ici ?
— Oui, s'il te plaît.
Etharion sembla surpris par le ton conciliateur que venait de prendre la jeune femme, et se radoucit.
— Notre mission est de contenir les créatures surnaturelles posant des problèmes. Les enfants de la nuit un peu trop belliqueux, les démons tuant sans état d'âme. On maintient un semblant de paix et gardons le secret sur leur existence.
Lucie acquiesça sans dire mot. Elle écoutait attentivement les paroles de son hôte qui reprit.
— Il existe peu d'accès comme le nôtre dans le monde d'Adam, mais chacun est protégé par un gardien.
— Il y a aussi des factions chez les Gorwaiths et les vampires qui contrôlent les débordements.
Etharion grogna à l'encontre de son ami, et ce dernier se tut.
— Comme Ykar vient de te le révéler, nous ne sommes pas les seuls à garantir la sécurité du monde magique. La créature qui a failli te tuer en bas est un Gorwaith.
La jeune femme le regarda éberluée, sans comprendre et se retourna vers Ykar, intriguée.
— Il ne te ressemble pourtant en rien...
Le jeune loup voulut répondre, mais Etharion claqua la langue et reprit sans attendre.
— Laisse-moi finir. Notre système immunitaire est plus puissant que le vôtre. Il se peut cependant qu'en cas d'épidémie importante, certaines créatures soient touchées par le mal. La fièvre peut interagir avec nos aptitudes. Ceci dit, je n'ai pas vu de telle transformation depuis la grippe espagnole, mais ce n'est pas tout. La crise actuelle semble bien plus dévastatrice pour notre peuple que ne l'a été toutes autres infections.
— Mais... ce n'est pas dangereux pour vous de côtoyer les malades ?
— Ethar a de bons potes dans le milieu de la sorcellerie. On est bien protégés, ne t'inquiète pas pour nous.
Ykar fit un clin d'œil à Lucie tout en lui adressant un sourire charmeur qui la fit rougir.
— Et pourquoi ne pas immuniser tout le monde ?
— C'est tout bonnement impossible. Ce serait un travail colossal, et les sorciers travaillant avec nous ne sont clairement pas assez nombreux. Ce serait comme vacciner toute la population humaine avec une poignée de médecin.
Lucie acquiesça de la tête, songeuse. Ces nouveaux amis n'étaient donc pas ce qu'elle imaginait : des tortionnaires sans état d'âme.
— Puisque nous avons répondu, plus qu'il ne fallait, à ta question, je pense que nous pouvons, à présent, rejoindre nos chambres respectives. Nous avons tous besoin de sommeil.
Sans attendre la moindre réponse, l'Elderaye passa devant eux et les laissa seuls.
— Il a raison, je suis éreinté, demain une grosse journée m'attends et faut reconnaître que t'as pas vraiment l'air en forme non plus. Je te laisse, je dois aller arranger quelques détails en bas, et vérifier que les cages soient toutes bien fermées.
Le Gorwaith déposa un rapide baiser sur la joue de Lucie et descendit les escaliers à la hâte. Ce contact soudain la sortit de sa rêverie. Elle posa sa main sur sa joue, encore brûlante et le regarda disparaître dans la pénombre de la cave avant de rejoindre ses quartiers.
Une fois dans sa chambre, Lucie partit directement se réchauffer dans les draps. Jack redressa la tête en la sentant se mouvoir dans le lit et se rendormit sans attendre. Elle pensait pouvoir enfin faire de même, mais elle continuait de fixer bêtement le plafond. Trop de questions se bousculaient encore dans sa tête. Elle s'inquiétait pour sa sécurité et pour celle de ses proches. Si le virus s'avérait être plus virulent que ne le laissait entendre le gouvernement, toute la population humaine était peut-être en danger. En plus du taux de mortalité, déjà alarmant, il allait falloir composer avec des monstres assoiffés de sang ! Comment pouvait-elle rester de marbre face à une telle information.
« Il faut prévenir les médias... les gens doivent savoir ».
La jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser que l'idée de garder un tel secret pouvait être dangereux. Elle soupira longuement. Ce n'était pas à elle de décider et personne ne la croirait. Sans compter ces fameuses organisations secrètes qui la feraient sûrement disparaître.
Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale et elle se retourna sur le côté, en fermant les yeux, bien déterminée à s'endormir. Seulement, ses pensées l'entraînèrent, cette fois, vers une tout autre source de questionnement. Pourquoi Ykar l'avait-il embrassée sur la joue ? Que signifiait se baiser ?
Lucie se surprit à sourire. Elle qui n'était pas vraiment tactile avait aimé cet échange inattendu. Elle songea à ses lèvres charnues, à leur contact sur sa peau diaphane et au savoureux picotement de sa barbe de quelques jours. Les battements de son cœur s'accélérèrent. Elle essaya de comprendre ce qu'elle ressentait pour le jeune Gorwaith, en vain. Elle l'appréciait, et le préférait à son hôte taciturne et peu amical. Mais éprouvait-elle autre chose. Perturbée par ses questions sans réponse, elle se retourna une nouvelle fois dans le lit en pestant contre elle-même et attrapa entre ses bras l'un de ses oreillers. Le contact moelleux contre son corps la réconforta et elle s'abandonna à imaginer les bras d'Ykar autour d'elle en laissant de côté ses interrogations. Elle avait besoin de chaleur, de se sentir protégée et d'oublier, l'espace d'une nuit, ses problèmes.
Lentement, elle glissa dans le sommeil. Ses songes l'entraînèrent vers de savoureux fantasmes. Elle voyait Ykar au-dessus d'elle la couvrant de baisers. Ses yeux brillaient d'une lueur bestiale qui envoûta la jeune femme. Elle se laissait aller sous ses caresses et savourait le goût de sa langue. Elle ressentait chaque détail avec une extrême précision. Tout paraissait réel. Chaque élément, chaque sensation. Il était tout ce que la jeune femme recherchait : tendre, délicat et passionné. Le décor de sa chambre changea d'un seul coup, faisant apparaître une nuit étoilée derrière son amant. Ce dernier se rapprocha doucement de son oreille qu'il mordilla avec envie, puis lui chuchota d'une voix rauque :
— C'est à mon tour à présent, petite fille.
Lucie se figea à l'écoute de ces paroles. Son céladon releva la tête et elle vit avec stupeur le visage d'Etharion la regarder avec provocation. La jeune femme se redressa, dans son lit, couverte de sueur et mortifiée. Elle qui passait un si délicieux moment avait été ramenée à la réalité d'une manière fort désagréable. L'Elderaye avait encore frappé. Comment osait-il venir la déranger dans ses propres rêves ? Lucie fulminait dans son lit. Elle pensait avoir réussi à oublier le désastreux passage dans la salle d'entraînement qui l'accablait de honte. Mais de toute évidence, le baiser de l'Elfe et ses remarques acerbes l'avait touchée bien plus profondément qu'elle ne le pensait.
« Tu préfères peut-être te faire prendre par le loup en premier. »
En repensant à cette odieuse remarque, elle laissa échapper un cri de frustration. Il faisait encore noir dehors, mais elle devait se rendre à l'évidence : elle ne réussirait pas à dormir paisiblement cette nuit encore.
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