Self-défense


Il était huit heures du matin. Cela faisait plusieurs heures que Lucie, à défaut de pouvoir dormir, consultait différents livres dans sa chambre. Elle s'était concentrée sur le peuple des Gorwaith et avait parcouru différents récits relatant leur transformation, leurs origines, et histoires. Elle avait appris que certains Gorwaith peinaient à contrôler leur loup intérieur les nuits de pleine lune. Apparemment à cause du manque de « lâcher-prise ». Lors de ce cycle lunaire, l'animal sommeillant en eux prenait le contrôle intégral de leur corps. Si cette métamorphose forcée était bien accueillie, le Gorwaith pouvait se rappeler les faits et gestes du loup et dans ce cas, il restait en accord avec l'humain. Par contre, si le porteur éprouvait la moindre crainte ou réticence, la transformation devenait douloureuse et la bête n'en devenait que plus sauvage, plus destructrice. Il était même arrivé que certains Gorwaith s'en prennent à des personnes de leur entourage. Lucie blêmissait tout en continuant sa lecture.

Le Loup-garou de Dole.

« Il est possible alors de s'en prendre à un être cher, un ami ou même un parent. L'histoire a déjà rapporté différents cas de mère ayant attaqué ses propres enfants n'ayant pas encore subi leur première mutation. Ci-dessous, vous pouvez voir l'une des illustrations les plus connues représentant une osmose entre l'homme et la bête non maîtrisée. 

L'acceptation de son loup intérieur est donc primordiale ». 

Un lycanthrope dévorant sa compagne, gravure du xviiie siècle.

Lucie frissonna malgré elle et referma le bouquin. 

« Quelle horreur » ! 

Encore sous le choc de sa lecture, la jeune femme n'entendit pas la porte de sa chambre s'ouvrir, et elle sursauta lorsque le jeune Enaf sauta à côté d'elle sur le lit. 

— Lucie ! s'écria la créature tout en tapant dans ses mains. 

— Enaf, mon Dieu tu m'as fait peur ! 

— Enaf être effrayant ? 

L'Elfide fit la moue, apparemment peiné par les paroles de son amie. Cette dernière voulut le prendre dans ses bras, mais se ravisa juste à temps avant de lui toucher la peau. 

— J'ai failli te brûler je suis stupide ! Je ne disais pas que tu es effrayant Enaf, juste que je ne t'avais pas entendu entrer du coup, j'ai été surprise, voilà tout. 

— Enaf est désolé. Enaf a frappé, mais Lucie ne répondait pas. Et Enaf voulait voir son amie pour la remercier, car Enaf est très content ! 

— Tout en parlant, Enaf sautillait sur le matelas. 

— Je vois ça ! Pourquoi es-tu si content alors ? 

— Car Enaf à maintenant des amis Elfides ! Et ils ont promis d'apprendre à Enaf beaucoup de choses ! 

— Mais c'est merveilleux ça ! Je suis heureuse pour toi ! 

— Viens, viens ! 

Enaf descendit du lit et courut vers la porte en agitant les bras dans tous les sens. 

— Ce matin c'est moi qui ai préparé petit déjeuner ! Grisbik a montré à Enaf comment faire pain perdu ! Vite ! Ça va être tout froid ! 

Lucie sourit, attendrie par son empressement. Après une nouvelle supplique du petit Elfide, elle finit par se lever et se dépêcha de le rejoindre. 

Arrivée dans la cuisine, la jeune femme put se rendre compte du festin qui l'attendait. En plus de la cinquantaine de tranches de pain toasté gorgé de lait et saupoudré de sucre et de cannelle, une délicieuse odeur de café flottait dans l'air. Il y avait un immense saladier, remplis de fruits coupés jusqu'à ras bord et des œufs brouillés crépitant encore joyeusement sur le feu. 

— Vite vite ! Assieds-toi et mange ! 

Lucie n'eut même pas le temps de pouvoir répondre qu'Enaf poussait déjà la chaise derrière ses jambes la forçant à s'installer à table. 

— Il faut tout manger ! 

— Tout ça, c'est juste pour moi ? Mais je ne pourrai jamais avaler autant de nourriture ! Tout le monde a déjà pris son petit déjeuner ? 

— Le gentil qui se transforme en loup à manger très tôt. Il a dit à Enaf de prévenir Lucie qu'elle doit le retrouver dans salle entraînement. Et l'Elfe qui fait peur, Eventbek est allé lui apporter petit déjeuner dans bureau. Jack a mangé croquettes, il reste que Lucie ! 

— Mais... et vous ? À ces mots, Grisbik et les deux autres Elfides s'affairant derrière les fourneaux, s'arrêtèrent et regardèrent Lucie, presque affolés. Le plus petit des trois se rapprocha d'Enaf et lui murmura des paroles à l'oreille. Ce dernier hocha la tête plusieurs fois et se mit à rire avant de s'asseoir au côté de la jeune femme. 

— Ils disent qu'ils n'ont pas droit mangé avec nous. Lucie invitée importante. Il dit cela être incon... inconvenant ! Mais eux pas connaître Lucie ! Venez, venez manger ! Elle, être très gentille ! 

— Mais oui ! C'est idiot ! Etharion vous interdit de manger avec lui ? 

Le troisième, qui n'avait pas quitté Lucie des yeux, se risqua à s'installer à table et parla d'une voix très rauque et gutturale, ce qui surprit la jeune femme qui ne l'avait, jusqu'à maintenant, jamais entendu parler et ne l'aurait jamais imaginé avec une telle voix au vu de sa frêle stature. 

— Le maître ne nous a jamais rien interdit. Nous pensons juste qu'en agissant ainsi, nous lui montrons du respect et de la déférence à son égard. Il nous a tous sauvés. 

— Je comprends. Mais cela me ferait vraiment plaisir que vous partagiez ce festin avec moi ! D'ailleurs, comment vous appelez-vous ? 

Lucie souriait aux trois créatures avec bienveillance, cherchant à les rendre le plus à l'aise possible. 

— Je me nomme Kendesh, mon frère Vespec et je crois que l'on vous a déjà présenté Grisbik.

— Oui bien sûr, je m'en souviens. Vous avez sauvé Jack et je ne vous en remercierai jamais assez. 

Voyant que Vespec et Grisbik n'osaient toujours pas se joindre à elle, Lucie se servit une tranche de pain perdu et en découpa soigneusement un morceau qu'elle porta à ses lèvres avant de s'exclamer : 

— C'est absolument délicieux ! Vous devriez goûter !

Les yeux de Vespec s'illuminèrent, et il courut s'installer au côté de son frère. Le plus âgé des Elfides fut le dernier à les rejoindre. 

Durant leur repas, Lucie leur posa plusieurs questions sur son hôte, leur histoire et le château. Lorsqu'elle eut fini, elle voulut les aider à débarrasser, mais se heurta à un non catégorique. Il était presque dix heures, elle se hâta de retourner dans sa chambre afin de se préparer et retrouva Ykar dans les souterrains. 

— Bonjour Princesse ! J'ai cru que tu ne viendrais jamais ! 

— Désolée, j'ai été retenu en cuisine ce matin. 

— J'ai cru comprendre. Par rapport à hier soir... Ça va ? 

— Pourquoi ça n'irait pas ? Bon, j'aurais préféré apprendre ce qui se passe ici autrement, c'est sur, mais j'ai compris que vous agissiez pour la sécurité de tous. 

Ykar sembla soulagé et commença à s'étirer les membres avec application.

— Je peux te poser une question ? Vous faites quoi des....des malades ? 

— On les garde ici le temps de les transférer à un sorcier qu'Ethar connaît bien. 

— Un sorcier ? 

— Oui, il cherche un moyen de les soigner. 

— Parce que les sorcières et tout le tralala c'est aussi bien réel ? 

Ykar explosa de rire ce qui vexa légèrement Lucie. Il dut respirer, plusieurs fois, profondément pour retrouver son calme. 

— Je crois que tu as encore beaucoup à apprendre ! Tu es prête ? 

— Prête pour quoi ? 

Ykar regarda Lucie en souriant avec malice et alla se placer au-dessus d'un tatami que la jeune femme n'avait pas encore remarqué. 

— Aujourd'hui, je vais t'enseigner les bases de self-défense. Approche. 

Lorsque Lucie fut en place, le Gorwaith fondit sur elle. La jeune femme sentit sa main se poser sur son épaule et l'instant suivant, son assaillant l'immobilisait avec une prise d'étranglement, en maintenant son bras fermement serré autour de son cou. 

— Tu triches ! Je n'étais pas prête ! 

— C'est justement pour ça que j'ai eu le dessus si facilement. Tu ne te retrouveras pas toujours dans des situations de combats bien définies. Souvent, tu ne seras pas préparé à te faire attaquer. C'est pour ça qu'on est là aujourd'hui. On va le refaire, mets-toi en position neutre, comme tout à l'heure. 

Lucie s'exécuta, les bras le long du corps et les jambes légèrement écartées. 

— Bien, on va y aller au ralenti en décortiquant les actions. Premièrement, je pose ma main sur ton épaule, ton cerveau est automatiquement connecté à ce geste. J'en profite pour te donner un léger coup en bas, au niveau de tes genoux, ce qui perturbe ton équilibre. Je n'ai plus qu'à t'attraper au niveau du cou et basculer derrière toi. Tu comprends mieux ? 

Lucie acquiesça de la tête toujours concentrée. 

— Bon, on refait. Premièrement, je te touche à l'épaule. Là, tu dois saisir mon poignet, le pouce sur le dos de la main. Parfait ! Tu fais une rotation et une flexion du poignet ce qui te permet de prendre l'avantage sur moi. Maintenant, pivote sur tes pieds, retourne-toi et tu te sers du mouvement et de ton épaule pour me faire basculer par-dessus. 

Sans attendre, la jeune femme s'exécuta faisant voler Ykar par dessus elle et atterrir lourdement sur le sol. 

— Punaise, tu apprends vite ! C'était parfait ! On recommence, plus vite cette fois ! 

Les deux amis continuèrent leur entraînement durant plus de deux heures avant de s'autoriser à prendre une pause. Lucie était en sueur, chacun de ses membres lui faisait mal. À bout de souffle, elle se laissa glisser au sol contre un pilier. 

— Dis... 

— Quoi ? 

Ykar attrapa une bouteille d'eau et en but une longue gorgée avant de la tendre à sa partenaire qui le remercia d'un signe de tête avant, de, se désaltérer à son tour. 

— C'est la pleine lune ce soir je me trompe ? 

Du tout.

Lucie regardait le Gorwaith du coin de l'œil pour observer ses réactions. 

— Ta transformation, tu la vis bien où tu éprouves de la réticence ? 

Ykar se tourna vers elle, assez surpris. 

— Je vois que tu as étudié tes leçons. Qu'est-ce que tu veux savoir ? 

— Comment ça se passe pour toi ? J'ai lu que ça pouvait être douloureux et... 

— Et dangereux ? 

Lucie fit oui de la tête sans oser parler. 

— Ça fait longtemps que je n'ai plus ce genre de problème, je te rassure. Tu ne risques rien. Je suis en parfaite communion avec mon loup . 

— Mais ça n'a pas toujours été comme ça ? 

— Malheureusement, non. Ethar à même du aménager une « pièce » particulière pour les jours de pleine Lune. Quand je l'ai connu, je traversais une mauvaise passe, comme je te l'avais raconté. J'étais plus virulent, plus vindicatif et complètement paumé. Mais avec les années, j'ai appris à ne faire plus qu'un avec la bête. 

Ykar eut un rire gêné et tendit sa main à Lucie afin de l'aider à se relever. 

— Par contre, ça demande quelques préparatifs, et je vais devoir arrêter notre session d'entraînement pour le moment. 

Devant la mine peu rassurée de son amie, il crut bon de rajouter à la hâte : 

— Vraiment, c'est rien du tout, il me faut juste du calme et de la méditation. Demain tu me retrouveras en pleine forme, frais et toujours diablement beau. Ne t'en fais pas pour moi princesse ! 

— Tu es impossible ! 

— Je sais ! Aller viens, on va manger un bout et je te laisse. 

Le reste de la journée se passa tranquillement pour Lucie, une longue balade avec Jack dans les jardins, et une nouvelle fois, beaucoup de lecture. Elle dîna sommairement dans sa chambre tout en continuant de dévorer un nouveau livre, cette fois, axé sur la sorcellerie. Absorbée par les légendes sur les sorcières, elle veilla tard dans la nuit et s'endormit malgré elle, épuisée. 

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