Pari entre amis


Après le départ de Lucie, qui avait été assez virulent, la jeune femme ayant peu apprécié les méthodes de son hôte, ce dernier était resté seul. Il s'était enfermé dans son bureau afin de régler diverses affaires et n'avait pas daigné les rejoindre pour le repas, préférant se faire monter le dîner afin de se sustenter tout en travaillant. Quand il releva la tête de ses papiers pour regarder l'imposante horloge de Bornholm, vestige de l'un de ses nombreux voyages à travers le monde, celle-ci indiquait déjà vingt et une heures.

L'Elderaye soupira et se massa les tempes de lassitude. Il avait passé bien plus de temps que nécessaire pour régler cette paperasse. La raison en était simple et tenait en un nom : Lucie.

Il ne pouvait s'empêcher de repenser au contact de son corps contre le sien, au goût sucré de ses lèvres. Il avait bien senti qu'elle répondait à son désir. Éprouvait-t-elle quelque chose pour lui ? Pourtant la jeune femme semblait le haïr, cela ne faisait aucun doute pour lui. Il ne comprenait pas pourquoi cela provoquait un tel trouble en lui. Il se sentait coupable et ce constat le perturbait. Il claqua sa langue plusieurs fois d'énervement, se leva, et sortit. Il y avait des sujets bien plus importants qui nécessitaient toute son attention.

Ses pas le conduisirent directement vers les appartements d'Ykar. Il frappa trois fois contre la porte, et n'obtenant pas de réponse, se décida d'entrer sans y être invité.Quand il pénétra dans la pièce, il comprit aussitôt pourquoi le Gorwaith n'avait pas daigné lui répondre. Assis par terre devant son lit, confortablement appuyé contre celui-ci, un imposant casque sur les oreilles, Ykar était en pleine partie de jeu vidéo.

Etharion sourit en voyant son ami égal à lui- même : insouciant et candide, tel qu'il l'avait toujours connu. Même dans ses phases les plus sombres, Ykar avait toujours su garder en lui cette innocence et ce naturel qui avait immédiatement plu à Etharion. Où qu'il aille, il apportait avec lui une fraîcheur et une joie de vivre qui manquait cruellement à l'Elfe, allégeant sa morosité et sa solitude.

L'Elderaye alla s'asseoir sur le matelas et tapa sur l'épaule d'Ykar qui sursauta en enlevant ses écouteurs. 

— Oh désolé, j'étais absorbé par le jeu. Une partie ? 

Il lui tendit une manette et tous deux commencèrent à jouer en silence. Etharion fut le premier à le rompre. 

Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ? 

Rien, nada, que dal, pas le moindre petit indice ! Les autres FarothGûr semblent s'être volatilisés. J'ai tenté de remonter leur piste à l'odeur, mais juste impossible. On est peut-être en période de confinement, mais je n'ai jamais vu autant de monde dehors ! On dirait qu'ils se foutent complètement des directives ! 

— C'est propre aux humains. Tant qu'un malheur ne les touche pas directement, eux-même ou des proches, ils se croient invulnérables, immunisés contre tous les maux de cette Terre. 

— Et de ton côté ? Pourquoi tu nous as pas rejoints ce soir ? 

— Je faisais la liste de nos pensionnaires afin de faciliter les transferts pour Menlisto. Il saura ainsi exactement combien de créatures nécessitent ses soins et pourra les adapter. 

— Putain ! 

Ykar martelait les touches de sa manette avec frénésie avant de frapper du pied avec hargne. 

— Sérieux, je comprends pas... Tu joues une fois tous les trente-six du mois, et tu arrives toujours à me mettre une branlée. 

Etharion ne dit mot, mais sourit de satisfaction. 

 — Sinon j'ai appelé les nettoyeurs, ils passeront dans la semaine s'occuper de l'appart de la miss. 

— Parfait. 

L'Elderaye répondit sans réellement écouter les paroles de son ami. La mâchoire serrée, concentré sur le jeu, il s'évertuait à garder son avance. Lorsque l'écran afficha une nouvelle fois la défaite du Gorwaith, il laissa échapper un cri de victoire malgré lui. Un son guttural, presque bestial. 

— Nous en sommes à quatre contre zéro si je ne me trompe pas ? 

— C'est ça, jubile ! 

Ykar lança un nouveau match en regardant son ami du coin de l'œil. Etharion se livrait peu et il était sûrement le seul à avoir le privilège de connaître cette facette de lui. Ils étaient proches et se considéraient, l'un et l'autre, comme des frères.

Le voyant si détendu, le Gorwaith se risqua à poser une question qui le titillait depuis le souper. 

— Et sinon, je peux savoir ce qui s'est passé avec la jolie miss ? 

— Comment ça ? 

— Fais pas l'innocent Ethar, qu'est-ce que tu lui as fait. 

Etharion fronça les sourcils tout en continuant à se concentrer sur le jeu. 

— Je ne vois pas de quoi tu parles, il va falloir que tu développes. 

— Bah disons que Lucie a lâché à peine une vingtaine de mots ce soir, et ils étaient tous pour te dépeindre de manière peu flatteuse. 

L'Elderaye sourit malgré lui avant de se reprendre. 

— Et je peux savoir ce qu'elle disait sur moi ? 

— Essentiellement des noms d'oiseaux. Je suppose donc que tu as encore joué au con. 

— Va savoir ! 

Ykar mit le jeu en pause et se tourna vers son ami. 

— Non, mais sérieux, il s'est passé quoi ? 

 — Qui sait ? 

— Tu sais qu'elle t'avait déjà trouvé un joli surnom avant ça ? 

— Lequel ? 

— Monsieur Taciturne. 

Etharion se pinça les lèvres pour se retenir de rire. 

— Charmant. 

Ykar soupira et remit la console en marche. 

— OK ! Match à mort, un seul round. Si je te bats, tu me déballes tout. 

L'Elderaye releva un sourcil assez surpris face à l'assurance de son ami. 

— Et si je gagne, tu seras de corvée de nettoyage des cellules toute la semaine. 

— Deal ! 

Sans plus attendre, la partie se lança. Les deux compères étaient focalisés sur l'écran, appuyant avec frénésie sur les touches. Etharion plissait les yeux, bien décidé à gagner, tandis qu'Ykar se penchait vers la télévision en sortant la langue. Aucun des deux ne semblait prêt à perdre ce combat. Les deux personnages se rendaient coup pour coup, leur jauge de vie descendant sans cesse. Au moment où Etharion pensait remporter la victoire, son adversaire enclencha son ulti et pulvérisa son personnage. Ykar leva les bras au ciel. Il jubilait sur place, visiblement très fier de lui. Quand il se retourna vers son ami, ce dernier semblait assez contrarié et faisait la moue.Face à son regard perçant empli de reproche, Ykar fit un sourire crispé. 

— OK j'avoue, je me suis particulièrement entraîné pour contrer ton perso fétiche. Mea culpa ! 

L'Elderaye se releva sans dire mot, se retourna et se dirigea vers la porte avec un air faussement outré sur le visage. Ykar l'intercepta avant qu'il ne sorte de la chambre. 

— Un marché est un marché ! Accouche mec ! 

Etharion sourit en coin, et répondit avec une nonchalance calculée. 

— Trois fois rien. Je l'ai embrassé et proposé un plan à trois. 

Ykar écarquilla les yeux et resta la bouche ouverte sans savoir quoi dire. Il s'attendait bien à tout, sauf à ça. 

— Ne me regarde pas de cette manière, j'étais obligé de la pousser dans ces retranchements. 

— Il y a sûrement d'autres moyens, mec ! 

— J'étais à court de temps, l'occasion s'est présentée. Demain, c'est la pleine Lune, tu es bien placé pour le savoir. On aurait eu l'air malin si elle s'était transformée à notre insu ! 

— Si... Du coup, elle ne va pas subir de métamorphose ? 

— Non, le loup est bien présent en elle, mais elle semble avoir trouvé le moyen de le contenir. Elle n'est pas une Gorwaith, ça, c'est certain, mais quoi au juste, le temps nous le dira. 

Ykar resta pensif, fixant le vide devant lui. Etharion l'observa un moment avant de quitter la pièce. Arrivé presque au bout du couloir, son ami finit par l'interpeller. 

— Ethar, essaye tout de même d'être plus cool avec elle. Elle se sent perdue. Elle est coincée dans un château où elle tourne en rond. Ses seules distractions ce sont ces vieux bouquins que tu as entreposés dans sa chambre et concrètement, à sa place j'aurais pété un câble depuis longtemps. 

Je vais tâcher de faire un effort, mais je ne promets rien. Elle a un ton revanchard qui a le don de m'exaspérer. Tu devrais te reposer, demain soir c'est le loup qui prendra le contrôle. Si tu ne veux pas de dérapage inutile, tu devrais aller dormir. 

— Je sais. 

 Ykar mit les mains dans les poches et fit demi-tour. Tout en avançant, il rajouta. 

— Ethar... merci d'être là. 

— Je le serais toujours, mon frère. 

Le Gorwaith sourit et retourna dans sa chambre, laissant Etharion à sa réflexion. 

— Il a raison, elle est seule, perdue, sans aucun repère. 

Il réfléchit quelques instants. La jeune femme était coincée avec eux, il ne pouvait pas, tout simplement, continuer de l'ignorer. Une idée effleura alors son esprit.

« Elle pourrait, peut-être, nous être utile sur le terrain... »

Il soupira et se dirigea vers les appartements de Lucie. Il frappa doucement à la porte. Quand celle-ci s'ouvrit, il ne le lui laissa pas le temps de s'exprimer. 

— À partir de demain, on va commencer ton entraînement. Tu auras, à tour de rôle, moi ou Ykar comme professeur. 

 Lucie papillonnait des yeux sans comprendre ce qui agaça son interlocuteur. 

— Puisque tu sembles avoir tout compris et que tu ne poses aucun question, je te souhaite une bonne nuit. 

Sans plus attendre, il quitta la jeune femme et retourna, à son tour, dans sa chambre. Il se sentait toujours coupable de l'avoir malmenée plus tôt dans la journée, mais il se persuada que cela était nécessaire. Au moment de se mettre dans ses draps, trois coups frappés contre la porte le forcèrent à sortir de son lit.

Torse nu, Etharion alla ouvrir. En voyant le petit Elfide rose, il grogna. 

— Eventbek, puis-je savoir la raison de ta visite à cette heure tardive ? 

La jeune créature plissa le nez face à cette salutation peu amène et tendit un bout de papier à son maître. 

— Cette missive vient d'arriver pour vous, maître. J'ai jugé que c'était une raison suffisamment importante pour vous déranger. 

Etharion lut rapidement la lettre et claqua la langue. 

— Encore une mutation... Va réveiller Ykar, nous avons à faire cette nuit. 

L'Elfide s'exécuta sans rien ajouter. L'Elderaye ferma la porte derrière elle et ouvrit son placard afin de se changer. Une fois habillé, il regarda par la fenêtre et soupira. La nuit promettait, une nouvelle fois, d'être longue.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top