La guerre de Maenstram

La guerre de Maenstram fut une époque difficile. Au-delà de deux peuples qui s'affrontaient, c'était deux clans qui s'étaient formés. D'un côté, une royauté vieillissante refusant de perdre des privilèges ancestraux, de l'autre une génération ayant grandi avec des valeurs d'égalités et de libertés souhaitant un monde où tous pourraient vivre en paix.

Le monde d'Eldorine était constitué de diverses contrées régies par des souverains. Tous avaient juré fidélité au royaume d'Eldorine, le plus vaste des territoires, et à son roi.

Les Eflides avaient toujours connu la servitude. C'était un peuple qui pouvait apprendre vite, mais qui était maintenu à un état presque primitif afin de pouvoir continuer à les asservir. De ce fait, leur moyen de survie consistait à obéir, à se cacher, et à voler le peu de bien qu'ils pouvaient posséder.

L'éducation ne leur était pas permise, et bien que certains maîtres préféraient avoir des serviteurs pouvant effectuer des tâches plus complexes, la plus grande majorité se complaisait à les rabaisser et à les persécuter.

Régulièrement, des exécutions de masse avaient lieu afin de réguler leur population et ne permettre qu'à certains privilégiés, provenant des hautes classes, d'en posséder.

Leurs mœurs et coutumes évoluant petit à petit, plusieurs villages d'Eldorine en cachaient, leur permettant de vivre à couvert des dirigeants en échange de menus travaux. La famille d'Enaf en faisait partie.

Ils avaient leur propre petite chaumière, construite sur la réplique exacte de celle du monde d'Adam, celui des humains, ainsi, à défaut de ne pouvoir exercer de vrai métier, ils ne manquaient de rien, pouvant se réapprovisionner en volant le strict nécessaire quand ils en avaient besoin.

Malheureusement, leur maigre indépendance finit par se savoir, et une expédition purgatrice vit le jour. Des DaugLokë, soldats du roi Iavas plus connus sous le nom de « la main rouge » dû à leur armure écarlate, ravagèrent un grand nombre de villages suspectés de traîtrise. Cette milice était réputée pour sa cruauté et son efficacité, c'était elle qui leur avait permis de sortir victorieux lors de la Grande Guerre sombre. Il valait mieux ne montrer aucune pitié face à une horde d'Iaur, une ancienne race de démons qui sévissait il y a plus de mille ans. Mais la voir ainsi s'en prendre à son propre peuple révolta les foules.

Ils pénétraient dans les habitations à la recherche d'Elfide. La moindre rumeur leur suffisait pour emmener de force une famille entière.

Plusieurs centaines d'Elfides, mais aussi de leurs partisans furent exécutés, ce qui provoqua un soulèvement de masse.

Les fermiers partirent armés de leur fourche, les chasseurs de leur arc, les Elfides se servaient de leurs crocs et de leurs griffes, leur capacité à se déphaser et ainsi se rendre invisible avant d'agresser leur ennemi était un atout de taille. Le prince Leithian, fils de Iavas, trahit son roi et partit le combattre accompagné de sa garde personnelle et de plusieurs nobles.

Le royaume fut scindé en deux. La vieille Edlorine, et la contrée de Leithian, nom donné en l'honneur de son nouveau dirigeant, virent le jour. Un traité fut mis en place afin de cesser les hostilités, malheureusement plusieurs Elfides restèrent prisonniers de l'ancien Roi Iavas.

La vallée de Leithian offrit aux Elfides un foyer durable, mais la peur et la rancune de plusieurs siècles d'asservissement les poussèrent à se réfugier dans des terres plus reculées, près de la forêt des glaces, anciens territoires des Gorwaith bannis du monde d'Eldorine.

Enaf attendait toujours l'arrivée de ses parents, n'osant quitter sa demeure. Il aurait pu fuir avec ses voisins, ou partir pour la cité de Minuial, berceau de Leithan, où la nouvelle royauté siégeait et avait ouvert des académies afin de leur offrir un apprentissage rigoureux, mais son cœur l'en empêchait. Les jours, les semaines, puis les années passèrent. Enaf, comprit que ses parents, n'ayant pu l'abandonner, avaient péri pour lui garantir une meilleure vie. Il chérissait leur mémoire en entretenant le lieu où il avait grandi. La solitude lui pesait souvent alors il partait observer l'autre monde.

C'est ainsi qu'un soir Enaf, observant les humains, invisible à leurs yeux, se laissa happer hors de la demeure, attiré par des lumières colorées très vives éclairant le ciel. Des feux d'artifice. Ce procédé pyrotechnique n'existait que dans le monde d'Adam, Eldorine n'avait jamais cherché à dompter la technologie humaine, leur vie était plus simple bien que la magie était présente dans tout le royaume.

Des éclairs rouge, bleu, or fendaient la nuit noire et explosaient en des millions de petites étoiles étincelantes. Les détonations effrayaient un peu Enaf, mais la beauté du spectacle était plus forte et avait eu raison de lui.

Il s'aventura plus loin au-dehors, arpenta les rues, les yeux fixés vers ses explosions fantasmagoriques. Au détour d'une rue, son attention fut attirée par un groupe d'adolescents qui riait fort et poussait des aboiements. Ils étaient en cercle et cachaient quelque chose. Pris de curiosité par ce comportement qu'il n'avait pas vu auparavant chez un humain, il se rapprocha pour comprendre ce que pouvait bien être ce rituel. Quand il vit ce qui se cachait au centre de l'attroupement, Enaf eut le cœur brisé. Une petite boule de poil, complètement apeurée, se faisait maltraiter par ces fils Adam. Le pauvre chat était recroquevillé sur lui-même, n'osant riposter. Enaf lu le résignation dans son regard. Au moment où l'un des jeunes allait de nouveau flanquer un coup de pied à l'animal, Enaf se saisit de sa jambe et le fit tomber au sol. Ces amis s'esclaffèrent le montrant du doigt. Mais Enaf ne s'arrêta pas là. Il en frappa un, en mordit un autre, toujours en prenant soin de ne pas être vu. La bande prit de panique, ne comprenant pas ce qui se passait, s'enfuit dans toutes les directions en criant au fantôme laissant leur victime gisant au sol.

Enaf s'en approcha lentement. Les chats ont la capacité de voir ce qui est caché, c'est d'ailleurs pour cette raison que, par moment, lorsqu'ils pénètrent en un lieu invisible à nos yeux, on les voit s'évanouir dans la nature, sans comprendre comment, mais sans pour autant accepter cette magie soudaine, notre cerveau rationalisant leur disparition.

Le chat se laissa faire, il avait compris que les intentions d'Enaf à son égard étaient bonnes. Il se releva, tant bien que mal, et frotta sa tête contre ses jambes. Il était mal en point, même sans être expert, Enaf s'en aperçut.

— Je vais te soigner, petit père.

Il ôta sa chemise, prit délicatement le chat et l'emmaillota dedans. Le serrant bien fort dans ses bras, il essaya de retourner le plus près de sa maison pour se déphaser et retourner en Eldoryne. Il ne voulait pas prendre le risque d'apparaître dans un endroit incongru, ses sens étaient amoindris avec un être vivant avec lui. Il fit attention à ne pas être vu, se rendre invisible lui était trop difficile avec son nouvel ami. Une fois arrivé devant la bâtisse, il transplana d'un monde à l'autre. Il se dépêcha d'ouvrir sa porte, se rua sur sa petite paillasse qui lui servait de lit, et ouvrit sa veste.

Le petit chat ne respirait plus. Il caressa son pelage gris cherchant à le réveiller, mais rien ne se passa. Son corps froid était crispé, sa tête retournée à 90 degrés. Le choc subi par le changement d'univers avait eu raison de lui.

Enaf pleurait, et pleurait. Il comprit pourquoi ses parents lui avaient dit de ne jamais amener en Eldorine un animal du pays d'Adam. Ils le lui avaient répété bon nombre de fois, mais sans lui en expliquer les raisons.

Il l'enterra près d'un vieux saule qui poussait dans le petit bout de jardin de sa propriété. Tous les jours, il vint lui parler, y déposer des fleurs, pendant plusieurs années. À chaque fois, il se faisait la promesse de ne plus jamais faire de mal à qui que ce soit, de ne plus jamais utiliser ses pouvoirs avec une forme de vie, et d'éviter les enfants d'Adam. Il comprit que les enfants d'Adam étaient cruels et qu'il ne devrait plus chercher à s'en approcher.

Quand bien des décennies plus tard, un Elfe lui ordonna de s'occuper d'une fille d'Eve blessée, Enaf s'y opposa farouchement.

— Enaf pas droit côtoyer ce monde. Toi pas droit de m'ordonner ça.

L'Elfe restait stoïque. Il déposa la fille dans le lit et lui dit, sans se retourner ni même le regarder.

— Je te le demande par le serment Amarth . J'ai combattu aux côtés de ton peuple et je suis un Arn.

Sans attendre de réponse, il repartit, aussi soudainement qu'il était venu. Enaf regarda la fille allongée, il l'avait observée depuis qu'elle était venue vivre ici, et il devait bien admettre que, pour une humaine, elle avait bon cœur. Mais il s'était juré de ne plus interférer avec ce monde. Il s'apprêtait à repartir et à laisser le destin faire son œuvre, quand le chien de la jeune femme entra dans la pièce et s'allongea près de sa maîtresse en pleurant.

— Faut pas pleurer. Humains méchants. Les humains ils asservissent les animaux. Ils font du mal.

Le chien ne l'écouta pas, et lécha le visage de sa propriétaire.

— D'accord, d'accord. Je vais aider.

Enaf partit prendre des gants, trop grands pour lui, dans la cuisine. Le contact direct avec les humains leur causait d'importantes démangeaisons, comme des brûlures. Il prit soin de s'occuper de la fille sans risquer de se blesser.

Les morsures se résorbaient déjà toutes seules, seule une vilaine entaille à la tête nécessita la vigilance d'Enaf. Il se concentra à faire son travail correctement jusqu'à son réveil. Jusqu'à ce qu'il finisse, par un heureux hasard, par être vu par elle et connaître, pour de vrai, Lucie.

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