Gorwaith
Lucie suivait Ykar dans les dédales du château jusqu'à une chambre presque aussi spacieuse que l'appartement de Lucie. Un lit à baldaquin dominait la pièce. Il y avait dans un coin un bureau, une immense penderie, et une baignoire à pied. Lucie n'en avait jamais vu que dans les films. Le loup était assis et la regardait, la fixant de ses grands yeux fauves, comme pour comprendre ce à quoi elle pensait, ce qui n'était pas compliqué à deviner. Lucie voulait partir, elle avait essayé de mémoriser tous les chemins empruntés pour arriver ici, mais était peu sûre d'elle. À présent, elle scrutait la pièce pour y découvrir une solution, quelque chose qui pourrait lui procurer l'avantage. Elle tira de lourds rideaux poussiéreux, qui, de toute évidence, n'avaient pas servi depuis très longtemps. Elle fut stupéfaite de trouver, derrière une immense baie vitrée, que la saleté avait rendu presque opaque un grand balcon donnant sur le jardin. Lucie ouvrit les portes et se jeta contre la balustrade. Il faisait nuit noire au-dehors, aucune étoile, ni même la lune ne réussissait à percer à travers la masse nuageuse dans le ciel rendant le décor autour d'elle encore plus inquiétant. Elle regarda en bas, presque soulagée. Cinq peut-être six mètres la séparaient de la liberté, c'était risqué, mais avait-elle le choix ? Lucie sentit sur ses jambes découvertes, sous son short, quelque chose de froid et humide. Ykar était venu se coller à elle, la truffe contre sa peau, comme pour l'empêcher de faire une bêtise. Lucie le fixa et se risqua à le caresser du bout des doigts.
— Je suis désolée, mon mignon, mais je ne peux pas rester. Je ne peux pas laisser Jack, et toutes mes affaires sont là-bas.
Le loup se détacha d'elle, fit quelque pas, et sans que Lucie ne comprenne ce qui se passe, prit l'apparence d'un humain. Tout comme Etharion, il était d'une beauté à couper le souffle et Lucie n'aurait su lui donner un âge.
Ykar, ravi de l'effet provoqué sur Lucie, sourit en coin, avança vers elle nonchalamment, et se souleva, à l'aide de ses bras, pour s'asseoir sur la rambarde de pierre.
Lucie restait interdite, complètement statique.
— Bah alors, ma belle, tu étais plus affectueuse en mode boule de poil ! Mais regarde-moi au moins !
Bien que complètement choquée par cette apparition, Lucie ne réussissait pas à détacher les yeux de cet homme. Elle avait l'impression qu'une connexion inexpliquée les reliait.
Elle s'exécuta donc, sans dire un mot. Elle le détailla de la tête aux pieds. Il devait faire un mètre quatre-vingt-cinq, en tout cas, il dépassait Lucie de plus d'une tête et elle n'était pas petite du haut de ses un mètre soixante-dix. Il était vêtu d'un jean délavé, déchiré par endroits, d'une chemise blanche, et d'une veste de cuir noir. Sa chevelure brune en bataille était balayée par la douce brise du soir.
— Tu sais, je suis ravi de pouvoir enfin te parler.
— Enfin me parler ?
Lucie avait visiblement retrouvé l'usage de la parole.
— Bah ouais, ça fait près d'une semaine que l'ancêtre m'a demandé de te surveiller sans interférer avec ton quotidien, d'ailleurs...si je puis me permettre, une fille seule vivant au rez-de-chaussée devrait penser à fermer les stores une fois la nuit tombée.
— Attends, ça veut dire que depuis tout ce temps tu m'épies ? Mais vous êtes pas bien dans vos têtes !
Doucement, Ykar sauta de son perchoir et se planta juste devant Lucie.
—Je te jure qu'il n'y avait rien de malsain, c'était pour ta sécurité.
— Et c'est pour ma sécurité que je me retrouve coincée ici ?
— Exactement !
Ykar sourit à pleines dents. Il était plus facile de lui parler. Contrairement à Etharion, il dégageait quelque chose de chaleureux, simple, d'accessible et Lucie trouva cela plutôt rafraîchissant.
— Écoute, j'entends bien que vous faites ça pour moi, mais j'aurais déjà aimé comprendre ce qui m'arrive...
— Pour ça, tu vas devoir attendre qu'Etharion le comprenne lui-même. Je vais pas te mentir, je suis un « loup garou », (Ykar mima les guillemets avec beaucoup d'exagération), ce n'est pas notre véritable appellation, mais c'est la meilleure traduction que je peux te proposer. Je suis un Gorwaith, un homme-loup en gros. Et ce qui t'a attaqué, l'autre nuit, également.
— Pourquoi s'en est-il pris à moi ?
— On n'est pas tous aussi charmant que moi ma belle, Ykar émit un petit claquement de la bouche et s'étira les bras de gauche à droite. Il existe plusieurs factions chez nous, je te laisse le bon soin de deviner de quel côté il se trouve. Dans tous les cas, aucune transformation suite à une morsure n'a eu lieu depuis plusieurs siècles.
— Attends, transformation !
Lucie dit ces mots avec une voix beaucoup plus aiguë qu'elle ne l'aurait voulu.
— Ouais...j'ai peut-être mal annoncé la chose... Je te propose un deal. Il commence à se faire vraiment tard. On met en pause notre conversation, on file à l'anglaise chercher ton chien et deux trois fringues, on revient ni vu ni connu, et on continue la discussion devant un petit verre ?
Ykar haussa les sourcils en attendant la réponse de Lucie .
— Tu accepterais de faire ça pour moi ? Etharion ne va pas t'en vouloir ?
— Ce qu'Etharion ignore ne peut pas me faire du mal ! Accroche-toi.
Ykar présenta son dos à Lucie.
— Grimpe, si tu veux qu'on soit discret, y'a pas trente-six mille façons de sortir d'ici.
— Je... je t'assure je peux sauter toute seule et puis...
— Et puis quoi, c'est quoi le malaise ?
— Je suis...
Lucie ferma les yeux de gène en souriant de manière extrêmement crispée et reprit, dans un souffle.
— Je suis super lourde, ça me gêne.
Ykar explosa de rire sans aucune retenue. Puis sans le lui demander, attrapa Lucie dans ses bras avec une facilité déconcertante. Elle était tenue comme une princesse et aurait aimé pouvoir disparaître sur place tant son embarras était palpable, mais elle fut vite remplacée par la peur du vide quand Ykar sauta d'un bond sur les rebords du balcon.
— Ça va passer crème, j't'assure !
Sans attendre une réponse, il s'élança dans le vide. Lucie colla son visage contre son torse pour réprimer un hurlement qui aurait alerté sans aucun doute Etharion.
— Au moins on peut dire que j'te fais de l'effet !
Ykar souriait, bien campé au sol sur ses deux pieds, Lucie la tête toujours enfouie contre son corps.
— Dis pas de bêtise !
Lucie se débattit, Ykar la tenant fermement, afin de retrouver sa liberté de mouvement. Quand il la libéra et qu'elle toucha enfin terre, elle soupira d'aise.
— C'était assez drôle... dans un sens.
Ykar se jeta d'un coup sur elle, la plaquant contre l'herbe moelleuse. Pour ne pas que Lucie puisse protester, il posa sa main contre sa bouche. Sans prononcer le moindre son, il surarticula pour que Lucie comprenne.
— E-THA-RION.
Lucie regarda par-dessus son épaule, elle reconnut derrière un rideau, la silhouette d'Etharion, et hocha la tête en signe d'approbation. Ykar ôta sa main, leurs lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres l'une de l'autre. Ykar fixait d'ailleurs celle de Lucie avec envie.
— Suis-moi. Murmura-t-il en détachant son regard d'une manière bien trop abrupte, comme si le désir qu'il avait éprouvé était scandaleux.
Il prit la main de Lucie qui s'évertua à faire le moins de bruit possible tout en talonnant de près son guide. Une fois le portail passé ( Lucie fut d'ailleurs assez vexée que celui-ci s'ouvre avec une si grande facilité et une si grande discrétion sous les doigts habiles de Ykar ) tous deux pouffèrent de rire, complices.
— Allez, ouvre-nous la voie !
Lucie opina et tous deux traversèrent le parc à la hâte. Quand ils arrivèrent chez elle, ils découvrirent une scène de désolation. La pièce principale de vie avait été complètement ravagée. Les meubles étaient renversés, le canapé était éventré et son contenu répandu dans toute la maison.
— Jack ? Enaf ?
Lucie n'eut aucune réponse, un silence de mort régnait. Elle regarda Ykar d'un air désespéré. Ce dernier était sur la défensive, les hommes qui avaient fait ça rôdaient peut-être encore aux alentours. Une odeur distincte de sang, que Lucie ne pouvait remarquer, emplissait les lieux. Calmement, il se saisit d'une dague à son ceinturon cachée sous sa chemise, Lucie ne l'avait pas repérée jusqu'alors.
— Il faut qu'on parte d'ici, tout de suite, souffla- t- il.
— Hors de question !
Avant qu'il ne puisse répliquer, des gémissements provenant de la chambre se firent entendre. Lucie se rua à travers la pièce sans qu'Ykar ne puisse la retenir. En passant par le couloir elle vit du sang, une quantité de sang absolument effrayante. Les murs étaient entièrement teintés de rouge et la jeune femme eut un haut-le-cœur. L'odeur était à présent bien distincte. En pénétrant dans sa chambre, Lucie glissa sur quelque chose d'humide et de visqueux et se vautra de tout son long sur le sol. En ouvrant les yeux, face à elle, allongé, un homme gisait sans vie. Ses viscères s'étalaient jusque devant la porte, c'était certainement ce qui avait fait trébucher Lucie, qui était à présent recouverte d'un liquide noirâtre. L'odeur était insoutenable. Ykar entra à son tour dans la pièce en évitant de suivre les pas de Lucie, et l'aida à se relever. Les gémissements se firent entendre à nouveau, en se retournant, Lucie vit Enaf, pleurer à chaudes larmes et pousser des cris de lamentation déchirants. Son petit corps était recouvert de sang et des spasmes, dus aux sanglots, agitaient chacun de ses membres.
J'ai cassé chien, finit-il par articuler entre deux complaintes.
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