16. Les yeux morts
Un silence. Qu'est-ce que je pourrais dire ?
- Je... j'espère que la quasi-tueuse ne va pas faire de vraies victimes.
- Moi aussi.
*le lendemain*
Je suis dans mon bureau. Quelqu'un toque.
- Entrez !
La porte s'ouvre. Malaisie ? Elle a un gros pansement sur la joue. Elle s'approche lentement de moi, l'air triste.
- Je... la quasi-tueuse. Elle est venue chez moi, me dit-elle.
- Et elle t'a fait cette blessure sur la joue ?
Elle hoche la tête. Elle pose sa main sur sa joue mutilée. Elle plisse légèrement les yeux, comme si elle allait se mettre à pleurer. Mais elle ne pleure pas.
- Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça... peut-être parce que je n'ai pas réagi tout de suite. Je me disais, au fond de moi, que je n'avais pas tant à craindre, après tout, pour l'instant, elle n'a tué personne. Je n'ai pas pleuré, et maintenant, j'en fais les frais.
Je me lève, je m'approche d'elle.
- Qu'est-ce que je pourrais faire pour toi ? Si il y a quelque chose qui te fait plaisir, dis-le moi, je pourrais essayer de faire quelque chose...
Elle relève légèrement la tête, me regardant avec de grand yeux brillants. Mais ils ne sont pas brillants de vie, mais de larmes. Sans ces larmes, ses yeux sont morts.
- Ce n'est pas m'acheter quelque chose qui va me remettre d'aplomb... tu peux juste me consoler, s'il te plaît ?
- Bien sûr. Tu veux un câlin ?
- Oui, si ça ne te dérange pas.
- Évidemment que non.
Je la prends entre mes bras. Elle tremble un peu. Puis, à un moment, ses épaules descendent d'un coup. Elle a la tête baissée, donc je ne peux pas voir son visage. Je sens une goutte tomber sur mon pantalon. Elle pleure.
- Tu ne diras rien à personne, hein ? Je ne veux pas qu'il sache que j'ai pleuré devant toi.
Sa voix est cassée par les pleurs. Mon cœur se serre.
- Je ne vois pas ce qu'il y a de honteux, mais promis, je ne dirais rien.
- Merci. Merci beaucoup.
Sa voix est devenue un murmure brisé. Je la serre un peu plus fort entre mes bras. Le temps s'est comme figé. Elle relève la tête. Ses yeux débordent de larmes. Je la regarde. Je me vois dans ses yeux. Je suis comme elle.
- Pardon... pardon.
- Tu n'as pas à t'excuser, Malaisie. Prend quelques jours de congé. Je me passerais de réceptionniste pendant quelque temps.
- Merci. Tu es sûre que tu ne va pas prendre quelqu'un d'autre à la place ?
- Non. Personne ne fait ton travail aussi bien que toi. Repose-toi.
Elle se leva, s'arrachant d'elle-même à mon étreinte. Elle sortit, la tête penchée, sans un mot. Je regardais sa silhouette se rétrécir au fur et à mesure qu'elle s'approchait de la porte, puis disparaître derrière celle-ci. Dans son regard, je me suis vue. Mais dans sa démarche, ses yeux, son caractère, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Une version diminuée, petite, faible et triste. Son visage était terne et creux. Même son ombre avait des couleurs plus vives qu'elle. J'aurais dû la retenir. J'aurais dû lui redonner ses couleurs. J'aurais dû lui remettre cette petite tache de lumière dans les yeux.
J'aurais dû la rendre vivante.
Je me lève. Je regarde la porte. J'avance d'un pas. Je ne peux pas l'aider, parce que je dois aider encore d'autres personnes. Je me retourne, et je vais vers ma chaise. Du bout des doigts, je touche ma joue. Est-ce qu'un jour, quelque chose, ou quelqu'un me fera aussi une cicatrice ? Si oui, sera-t-elle aussi lourde de sens que celle de Malaisie ?
- «Je n'ai pas pleuré, et maintenant, j'en fais les frais.»...
Est-ce un mal d'être sensible ? Visiblement, non. Pour échapper à cette meurtrière, il faut pleurer. Il ne faut pas relativiser. Il faut se laisser aller aux émotions. Mais est-ce un bien que de se laisser aller aux émotions ? Pas toujours.
Je regarde le ciel par la fenêtre. C'est un ciel, mais il est plus vivant que les yeux de Malaisie.
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