Une chacun
-J'ai une question pour toi. je dis doucement en barbotant dans l'eau.
Son silence m'invite à lui poser ma question. L'eau est aussi noire que la nuit mais à sa différence, elle est liquide et glisse sur ma peau comme une vieille amie me serrerait dans ses bras. Il fait tellement sombre que c'est à se demander qui, de la nuit, des nuages ou du lac est le plus obscure. Tous trois forment leur propre nuit.
La pluie continue de tomber autour de nous, mais qu'importe, nous sommes déjà complètement trempé. Plus un centimètre de ma peau n'est mouillé.
L'eau murmure ses paroles silencieuse tout autour de moi et semble vouloir m'aspirer vers un fond sans fond. Mais je n'ai pas peur, pas de l'eau en tout cas.
-La plume de que tu m'as lancé juste avant que l'alarme ne sonne... C'est celle que tu m'as mis dans mon casier ? Tu l'as récupéré ?
Mon cœur se serre et la mince confiance que j'ai accepter de poser sur lui vacille. L'idée qu'il ait fouillé dans mon sac, qu'il m'ait violé l'intimité de mon être pour une simple plume à récupérer, devenue par sa faute mon symbole de liberté met tout ce que je croyais sur lui en question. Des question qui compresse ma poitrine compressée par l'eau.
Ses cheveux sont mouillés et lui collent au visage. Ses yeux me regardent avec surprise et gêne, une gêne qu'il porte sur lui en permanence, comme n'importe qui portent sa propre odeur. A la différence, la gêne n'a pas d'odeur.
-Tu... Tu savais que c'était moi qui te l'avais mis dans le casier ?
-Qui d'autre sinon ? je demande.
Il ouvre la bouche comme un poisson réclamant sa part de nourriture. Je me demande s'il cherche de l'air ou des mots en plus.
-Depuis quelque temps, chaque plume noire que je vois par terre, je la ramasse. Celle que je t'ai lancé est l'une d'entre elle. il me regarde attentivement de ses yeux verts. Je n'a pas touché à ta plume. Je ne récupère pas ce que je donne.
Sa voix n'était que murmure entre les eaux, mais d'une limpidité que rarement j'ai l'habitude d'entendre chez lui. Je penche la tête sur un côté, attends quelque chose que j'ignore et qui donc, qui ne viendra jamais.
-A toi. je dis en l'éclaboussant gentiment.
-Quoi ? demande-t-il en me renvoyant mon attaque.
-A ton tour une question, une chacun. je lui relance de l'eau, il ferme les yeux .
Il finit par me regarder à nouveau et arrête de m'éclabousser d'eau fraiche. Il cherche quelle question poser. Je sais que dans sa tête, les questions se bousculent, se mélangent, s'allient et se désunissent. Un vrai champs de bataille ne puis-je m'empêcher de penser.
-Aimes-tu ton père ?
Sa question me prend au dépourvu, me fait douter, hésiter, transpirer dans l'eau froide.
Aimes-tu ton père ? La question résonne dans ma tête comme une musique douloureuse.
Oui, je l'aime, comme n'importe qui aime son père ! Envers et contre tout je l'aime, je le sais au fond de moi et l'ai toujours sus, c'est comme respirer, je l'aime machinalement. Je l'aime d'un amour profond, d'un amour paternelle imbrisable. Il est ma moitié, la seule personne en vie qu'il me reste et qui m'est chère.
Mais...
Non, je ne l'aime pas, je ne l'aime pas quand il me bat, quand il cherche ma douleur. Je ne l'aime pas quand il exploite mes peurs à la recherche d'un sentiment que lui-même porte et qu'il veut supprimer. Je n'aime pas cet homme qui a mal et qui fait du mal. Il serait idiot de ma part de l'aimer pour cela. Je déteste le voir dépérir, mourir et vivre sans lutter.
Jamais rien n'est tout noir ou tout blanc. L'amour et la destruction sont si proche ! Aimer, c'est donner le pouvoir à l'autre de te détruire. Et mon père hait cette idée, l'idée d'avoir été détruit et séparé de celle qu'il chérissait et aimait plus que sa propre existence.
En faite, j'aime le père que j'avais avant. Le père de famille, marié et incapable de faire du mal à une simple mouche. Et au fond de mon être, au fond de mon sac, j'ai l'espoir que ce père revienne me voir.
J'espère revoir le père qui est mort à la seconde où ma mère l'a été.
Le silence que je pose entre Lucien et moi dis tout. Lucien comprend le silence mieux que quiconque, il sait que je l'aime et que je ne l'aime pas, je n'ai rien besoin de dire. Lucien est le silence comprit.
Pour me sortir de ma torpeur, il plonge sous l'eau, attrape ma jambe, et m'entraine sous l'eau. J'inspire une dernière fois et laisse mes problèmes à la surface.
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