Respire
-Qui t'es toi ? grogne mon père en dégageant sa main de celle de Lucien.
J'interviens, pour aucune raison apparente au moment le moins propice.
-C'est Lucien, papa... Lucien, mon... Père.
-C'est avec cet... Autiste que tu traines la nuit !?
Soudain, une colère monte en moi. C'est comme si le sang dans mes veines venaient de bouillir et gicler autour et en moi. Ma colère est mon volcan en fusion éclatant et vomissant sa rage.
Je ne me mets presque jamais en colère, mais cette fois... Cette fois, aujourd'hui, maintenant, je le suis vraiment.
-C'est une personne papa ! Lucien ! je hurle dans la nuit.
Pendant un instant, je vois les deux hommes écarquiller les yeux de surprise, mon père se reprend en premier et s'avance vers moi. Pour la première fois, je lève la tête et promets de lui montrer que ce qu'il a détruit s'est renforcé et a crée en moi une armure indélébile que je porte à présent avec bravoure. Je n'ai plus peur. Est-ce parce que Lucien est là ?
-Hurle moi encore dessus et...
-Vous ne la toucherez pas monsieur. dit lentement Lucien avec calme en s'interposant.
Un calme qui me retourne l'estomac, tant il est violent.
-T'es qui pour me dire ça gamin ? T'es qu'un p'tit gosse, c'est pas toi qui va me dire ce que j'vais faire ou non ! crache mon père face au visage de mon ami.
-Vous avez raison. Mais je peux appeler la police pour maltraitance d'enfant, vous ne croyez pas ?
Mon père et moi ne disons plus rien, tout deux aussi choqué l'un que l'autre.
La petite fille en moi, qui attend encore son gentil papa pleins de belles surprises cri "NON".
Mais je me tait et accuse le coup en silence, comme l'homme face à moi, dont le visage se déconfit petit à petit, comme si durant tout ce temps, il n'avait été que dans le songe.
-Vous avez perdu votre femme. les larmes me montent d'un coup au yeux. Vous voulez vraiment perdre le seul enfant qu'il vous reste ? Vous voulez vraiment sacrifier ce qu'il reste encore de votre femme dans ce bas monde ?
Les mots de Lucien sont puissants et me coupe le souffle. Mon ventre et mon cœur se tournent et se retournent encore.
Lucien s'écarte un peu de mon géniteur qui n'ose plus bouger, il est comme liquéfié sur place. Il se rend compte de la réalité pour la première fois, il me voit moi et pas son côté brisé qu'il doit absolument soigner.
-Je... mon père essai de parler mais il n'y arrive pas.
Lucien a touché un point sensible en lui.
A la place de mot, il s'enfuit dans la maison, comme une furie.
Le silence retombe dans la nuit. Un silence, qui, en présence de Lucien est agréable et presque normal. Mieux que toutes paroles.
Je me tourne vers Lucien.
-Merci, je crois.
Mais Lucien m'écoute à peine, il tangue un peu, comme s'il perdait l'équilibre. Et soudain, devant moi, il tombe.
Je le rattrape de justesse. Il n'est pas très épais mais est lourd pour ma personne, je peine à nous maintenir debout, nous allons nous écrouler tous les deux à cause de mes deux mains gauches !
-Qu'est ce que tu as ? je demande paniqué.
-Mon cœur n'a jamais battu aussi fort. Je... J'ai du mal à respirer !
Sa respiration est sifflante et se coupe souvent.
Je glisse sur le sol et nous nous retrouvons agenouillés par terre. Je l'oblige à me regarder. Je l'oblige à planter son regard dans le mien. Ses yeux sont pris de panique et semblent être devenus fous, ils bougent dans tous les sens en cherchant du soutien dans mes propres yeux gris.
-Tu vas m'écouter, Lucien.
Sa respiration se coupe par instant. Il gémit et essai d'aspirer de l'air par la bouche. En vain, sa peur ne fait qu'accélérer les choses.
Je serre ses bras, mes ongles se plantent dans son manteau et l'oblige à voir la réalité et non à s'évanouir. Ses mains serrent mes propres bras, si fort que je crains qu'il ne me brise les os.
-Inspire calmement, puis expire lentement.
-Qu... commence-t-il, mais il ne peut pas parler.
Il hoquette en tentant d'inspirer la vie.
-Fais ce que je te dis et ne parle pas. je dis doucement pour ne pas l'effrayer plus que déjà.
Je lui montre comment faire.
-Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer.
Il tente de m'imiter, mais rate lamentablement.
-Essais de faire en même temps que moi, Lucien. Tout va bien, je le rassure.
Il hoche la tête, plonge son regard émeraude dans mon gris et inspire, expire. Inspire, expire.
Rien que le début est laborieux, plusieurs fois il se décale de mon rythme et se retrouve en manque d'air. Je me demande si nous allons y arriver... La peur me serre le ventre, mais je n'y montre rien.
Puis, au bout de ce qui me paru durer de trop longues minutes, nous finissons par caler nos souffle ensemble et Lucien se calme.
C'est un son des plus mélodieux qu'il m'est arrivé d'entendre. Deux souffles unis, luttant contre l'entourage, luttant contre la peur, se calant et reposant sur l'autre souffle.
Dans la nuit, notre expiration forment de petites buées blanches qui viennent, comme des fantômes, danser entre nous avant de disparaître.
Une fois calmé et sa respiration originelle retrouvée, Lucien me dévisage, attendant une réponse.
-Tu as fait une crise de panique... J'en faisais avant. je chuchote dans la nuit.
-Merci. dit-il en retour, les joues rouges.
Nos visages sont tellement près que nos nez se frôlent et que je peux voir le rouge de ses joues, il a de minuscules tâches de rousseur sur celles-ci qui lui donnent un air encore plus renfermé. Ses lunettes noires se confondent avec la nuit.
Nous sommes agenouillés, dans l'obscurité, à l'entrée de chez moi, dans mon petit jardin, si proche de l'un de l'autre que nous nous frôlons.
Il me prend l'idée folle de me rapprocher un peu plus de Lucien... Lui aussi doit avoir cette idée puisque ses yeux verts brillants sont plantés sur moi et qu'il ne recule pas. Nos souffles se mélangent toujours ensemble en brume clair. Mes doigts sont toujours sur sa veste noire. Je peux sentir la chaleur de son corps...
Je me lève d'un bon, mal à l'aise. Lui aussi l'est, il se relève rapidement aussi et nous nous écartons l'un de l'autre.
Cette soudaine prise de distance me fait comme une déchirure, me donne l'impression de manquer de quelque chose, de quelqu'un... C'est étrange et très déstabilisant.
-Je dois rentrer. Tu dois rentrer. j'arrive à dire.
Il hoche la tête et me sourit, d'un merveilleux sourire qu'il utilise si peu...
-À demain ? je demande.
Il hoche la tête et sourit à nouveau. Ce sourire est mieux que n'importe quelle autre réponse.
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