-Monsieur ?

Le père de Lucien relève la tête. Il est assit à son bureau, un pc devant lui.

-Saturne ? Où est Lucien ? me demande-t-il en le cherchant du regard.

J'avance et ferme derrière moi la porte du bureau en me raclant la gorge. Ce bureau est trop petit et me mets très mal à l'aise. J'ai l'affreuse sensation de m'étouffer avec mon propre air et que le monde autour de moi ne cesse de rétrécir pour se rétracter sur moi dans le but de m'emprisonner.  

-Il est dans sa chambre. Il pense que je suis au toilette.

Il hausse un sourcil inquisiteur.

-Et que fais tu ici en vérité ?

-Je suis venue... Pour vous demander de prendre soin de votre fils.

-De quel droit viens-tu me dire ça ! me demande-t-il, en se levant à moitié de sa chaise, déjà en colère après seulement quelques mots d'échangés. 

-Il a mal.

Ma main frappe avec force contre le bureau, répondant à la rage d'un père absent. Je ne sais même pas d'où me vient cette colère soudaine qui coule dans mes veines et m'hurle sa raison. Le père de Lucien sursaute, surpris par ma propre colère fugace et indomptable, tel un oiseau fougueux en plein vol.

-Il vous aime mais son amour vous importe, tout ce qui compte, ce sont les chiffres et les résultats. Vous lui donnez le coup de grâce en plus de sa mère.

Ma voix est une colère brute qui vibre et crache enfin ce qu'elle ressent au fin fond d'elle et qu'elle a toujours voulu garder secret.

Le père de Lucien devient aussi blanc que la mort et ses yeux sortent de leur orbites. Je n'arrive pas à savoir s'il est choqué ou plus enragé que jamais.

-Ecoutez, vous êtes... présent mais ne l'écoutez pas. C'est vraiment quelqu'un de bien derrière son mur de timidité, il faut juste savoir passer outre et...

-Tu as quel âge, hein ? Pas plus de seize ans, qu'est-ce qui te permet de me dire des choses que tu es incapable de comprendre ? gronde-t-il.

-Parfois il n'y a pas de compréhension à avoir, juste un cœur monsieur.

J'ouvre la porte à la volé et disparaît loin de cet homme qui, quoi qu'il arrive ne changera jamais. Aime-t-il seulement son fils ?

Une larme coule à la seule pensée que Lucien soit seul face à un monde hostile qui cherche par tous les moyens à le détruire. Il n'a même pas de père pour l'épauler et le soutenir.

Mon père m'a aimé et peut-être, au fond, m'aime-t-il encore... Mais cet homme, le père de Lucien n'éprouve aucun amour pour son fils, je l'ai vu. Lucien est seul et sans amour, avant sa mère était là, mais elle a disparu. La seule personne qui tenait un temps soit peu à lui s'est évaporée dans l'air et l'a laissé seul face à ses peurs les plus profondes qui se nourrissent avidement de son bonheur.

-Non. Il n'est plus seul, je souffle pour moi même en serrant les poings.