Au vent
J'éternue violement et réveil un Lucien en train de somnoler, une main posée contre sa joue. Quand il m'entend me moucher, tout son corps se tend et revient à la réalité.
Le professeur d'histoire me jette un instant un regard noir pour avoir éternué. Comme si cela était de ma faute...
Enfin, c'est un peu de ma faute si j'ai attrapé froid. Je me rappelle alors de l'eau effleurant ma peau, des éclaboussures piquant mes yeux et du froid qui engourdissait mon corps. Et aussi de Lucien. Le petit être perdu dans l'univers, aussi discret qu'un ombre recalée des ténèbres.
Il est épuisé, j'ai attrapé un rhume. Nous sommes quittes.
Personne ne s'est moqué de ma coiffure, les gens autour de moi ont juste l'impression que j'ai changée de coupe et non qu'il est dû à des harceleurs animés de souffrances humaines, me traquant comme des bêtes féroces.
Je me tourne vers Lucien et lui donne un léger coup de coude qui le fait sursauter à nouveau. Je me demande si c'est mon coude qui l'a fait sortir de sa transe ou le fait que quelqu'un l'ait touché.
-Ça va ? je chuchote.
Il affirme de la tête et se redresse en étouffant un bâillement derrière sa main.
Il me fixe de ses yeux verts. Verts comme le chat. Il me vient tout d'un coup une pensée folle...
Et si j'avais approché ce chat parce que ses yeux ressemblaient à d'autre yeux ? Des yeux que je ne voulais pas encore approcher ?
Je vois soudain dans mon champs de vision, la main de Lucien s'approcher et soulever délicatement la manche de mon sweet. Là où de nouvelles marques sont apparues. Nos peaux se frôlent à peine. Je dégage ma main et le pointe du doigt. Pointe son ventre du doigt.
-Toi aussi tu es blessé.
-Qu... Quoi ? chuchote-t-il, soudain perdu et troublé, comme toujours.
Il me fait penser à un enfant prit en faute. Ses yeux cillent un instant, le trahissant.
-Tu as une cicatrise au ventre. Je l'ai vu hier soir.
-Je... C'est que... Tu... La, c'est pas... Enfin...
Je le fais taire d'un mouvement de la main et lui sourit timidement.
-Tu n'es pas obligé de raconter, tu sais. Si ça fait mal...
Il aimerait me dire quelque chose mais le rouge lui monte aux joues, une goutte de sueur apparaît sur son front et il baisse son regard sur la table. Ses lunettes tombent immédiatement sur le bout de son nez.
Je hausse les épaules et me tourne vers le professeur qui parle avec une lenteur et un monotone ennuyant.
Mon esprit flotte dans le monde comme un nuage en apesanteur, mon regard fuit vers la fenêtre.
Je me demande ce que ça fait d'être le vent, celui qui n'écoute que lui même, qui peut être aussi bien discret que ouragan. Je m'imagine sans corps, parcourant le monde à la recherche de libertés farouches. Je donne le froid, j'inspire le respect. Personne ne peut me contrôler, personne ne peut m'attraper ni m'arrêter.
Je suis aussi invisible que le rien et je ne disparais jamais vraiment, toujours omniprésent, veillant sur les gens, les bousculant de temps en temps.
Aucune chose ne peut me faire du mal mais le mal, je peux en causer sans effort, juste en expirant bruyament ma rage.
Un papier est alors amené face à moi et me sort de ma transe.
Dessus, il est écrit, d'une écriture aussi légère que le vent et incroyablement belle, la valse des mots qui se succèdent : "C'est l'accident. Derrière lui, il a laissé ses marques sur moi."
Je me tourne vers mon voisin qui regarde à présent le professeur d'histoire, le rouge aux joues.
Je suis certaine que si je m'approche encore de lui, je pourrais entendre son cœur rugir de vie. Et il me prend d'aimer l'idée...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top