Naufragé
Après la tempête vint le calme.
Les eaux, autrefois tumultueuses, s'apaisèrent. Quelques timides rayons de soleil percèrent l'épaisse couche de nuages menaçants et laissèrent place à la clarté du jour. Un débris de bois flottait à la dérive, au grès des vagues. Il portait la seule trace de vie aux alentours.
À moitié immergé dans l'eau, un homme inconscient s'accrochait à la vie. Une profonde plaie traversait son épaule et déversait un liquide pourpre teintant la couleur cyan de l'océan. Ses habits, qui n'étaient plus que des lambeaux de tissu, recouvraient sa peau hâlée. Le soleil faisait briller ses mèches de cheveux blonds, plaqués sur son crâne.
Gaëtan gémit. Il reprit lentement conscience. Les ballottements causés par les vagues le berçaient, mais il fut forcé d'ouvrir les yeux lorsqu'une douleur sourde lui transperça le bras.
Il étouffa une exclamation quand il vit qu'il se trouvait au milieu de l'océan. Aucune terre en vue. Aucune mouette en vue. Aucune âme en vue. Rien. Juste de l'eau. Une immensité d'eau. Quelques bribes de souvenirs de la nuit passée lui revinrent. Parmi eux, les cris, les trombes d'eau qui se déversaient sur le pont et les rafales de vent qui se mêlaient au carnage.
Il resta longtemps ainsi, à se demander ce qu'était devenu le reste de l'équipage après la violente tempête. Quand il sembla avoir retrouvé assez de force pour se mouvoir, il releva la tête. Une larme coula de sa joue, pour finalement s'écraser contre le bois humide. Il allait mourir, affamé au beau milieu de l'océan, s'il ne perdait pas tout son sang avant. Il imagina les charognards qui viendraient se sustenter de sa chaire et réprima aussitôt un frisson.
S'ajoutant au désespoir, son bras lui donnait l'impression d'être poignardé par mille aiguilles, mais il finit par s'accoutumer à cette souffrance. Porté par les vagues, il somnola. Ce furent les cris d'oiseaux qui le tirèrent de cette brume cotonneuse dans laquelle son esprit semblait s'enfoncer progressivement.
— Fichus volatiles... grommela-t-il. Laissez-moi mourir en paix !
Remplaçant les jurons, un éclair de raison sembla se refléter dans ses yeux. Il réalisa que si oiseaux il y avait, la terre n'était guère loin. Un regain de force sembla circuler dans ses veines et lui procura une énergie nouvelle, lui permettant de garder les yeux ouverts.
Peu après, il put enfin apercevoir les côtes, au loin. Le courant semblait le porter miraculeusement jusqu'à elles. Il laissa échapper un cri de joie. Lorsque le débris de bois s'échoua sur le sable, Gaëtan ressentit un intense soulagement. Néanmoins, il fut de courte durée. Il n'était pas sauvé pour autant. Nombre d'îles des Caraïbes étaient sauvages et dépourvues de vies humaines.
Il tenta de se lever, sans succès. Ses genoux rencontrèrent le sol alors que de violents vertiges le saisissaient. Il savait parfaitement que s'il ne pansait pas sa plaie au plus vite, il ne verrait pas les lueurs de l'aube. Inspirant profondément, il se remit debout. Ses jambes vacillèrent, mais il tint bon. Un pas après l'autre, il s'éloigna du rivage. Exténué par ce court effort, il s'écroula dos contre le sable fin. Grimaçant sous la douleur, il déchira de sa main valide la manche de sa tunique, puis noua le tissu autour de son bras blessé dans l'espoir d'endiguer le flot de sang. Ce pansement de fortune lui permettrait au moins de passer la nuit.
Il resta des heures à somnoler, éreinté, alors que la nuit tombait. Le lendemain, ayant repris des forces, il se leva, et entreprit d'explorer l'île. Il devait à tout prix trouver de quoi manger. La clarté du jour se fit de moins en moins forte tandis qu'il s'enfonçait sous le couvert des arbres. La végétation luxuriante lui donnait l'impression d'être dans une jungle. Seulement, elle était dépourvue de vie.
Un craquement retentit sous ses pieds. Gaëtan baissa la tête. Il marchait sur des os. Humains.
Répugné, il se plia en deux et ne put refréner les haut-le-cœur qui le saisirent et la bile qu'il régurgita. La vérité le heurta d'une force inouïe : il n'avait aucune chance de s'en sortir. Toutes ces personnes avant lui étaient mortes. Il ne restait d'elles que des os. Une vague de désespoir le submergea, éteignant la flamme de vie vacillante qui subsistait en lui. Tel un automate, il retourna sur la plage. Son regard vide se porta sur les vagues et l'écume qu'elles portaient. Il n'avait même pas la force de pleurer, juste une envie de hurler, de disparaître au plus tôt. Il s'allongea et ferma les yeux. Il attendrait ainsi, des jours durant, que la mort vienne refermer ses mains décharnées sur lui, l'emportant loin d'ici.
Il n'était pas le premier à ne pas revenir. Il ne serait pas le dernier. Ce lieu maudit fut connu de tous au fil du temps qui passait et des navires qui disparaissaient.
Le triangle des Bermudes avait englouti ses proies, qui n'en étaient jamais revenues.
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Petit texte écrit assez spontanément, j'espère qu'il vous plaira ! :)
Merci d'avoir lu !
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