Le Paradis Infernal
Voici la nouvelle écrite pour le concours des Mythologiaques "Les Morts à l'honneur". Elle a remporté la deuxième place. Bonne lecture ;)
***
— Bordel de merde.
Ce furent les premières paroles que je prononçais —pas les plus glorieuses, je l'avoue— lorsque je repris conscience. Des tintements résonnaient encore à mes oreilles, tandis que je commençais à sortir progressivement de ma léthargie. J'étais allongé sur le dos, et je pouvais identifier la caresse de l'herbe sur ma peau. La brume cotonneuse dans laquelle j'avais l'impression d'être immergé se dissipait peu à peu.
Coupant court à mes sens qui revenaient, ils resurgirent.
Les souvenirs.
Une sensation de chaleur qui me dévorait les entrailles. La moindre parcelle de mon corps mordue par les flammes. Une fumée noire qui envahissait mes poumons. Et la Mort, douce et accueillante face au brasier, qui m'avait tendu les bras.
Je restai figé, hébété. J'avais compris, j'en avais la confirmation. J'étais mort.
Un cri tenta de s'échapper de ma gorge, mais je ne parvins pas à émettre le moindre son. J'aurais voulu laisser mes larmes couler sans discontinuer. J'aurais voulu me recroqueviller, et rester ainsi à jamais. Mais la curiosité me poussa à réagir. Je me redressai avec un grognement. J'avais l'impression d'avoir été aplati, écrasé par un camion d'au moins dix tonnes. Tout mon corps était raidi, comme si je sortais d'un sommeil éternel. J'eus la fugace pensée que ce n'était qu'un mauvais rêve, mais la vision qui s'offrit à moi quand j'ouvris les yeux balaya d'un souffle mes espoirs.
Les étoiles s'étaient éteintes, comme disparues de la voûte céleste, mais une lumière éblouissante me brûlait les rétines, sans que je ne puisse identifier sa provenance. Comme si des projecteurs étaient braqués sur moi. Quand mes yeux furent habitués à l'agressive clarté, je pus distinguer une plaine qui s'étendait à perte de vue et, au loin, un mont dont le sommet disparaissait dans une mer de nuages.
— Mais je suis où ? murmurai-je.
Je n'avais jamais réfléchi à ce qu'il pouvait y avoir après la mort. Je vivais ma vie au jour le jour, sans vraiment penser au lendemain. J'aurais peut-être dû. Je ne sais pas. Peu importe, il était trop tard, maintenant...
Une détonation coupa court à mes réflexions. Une silhouette apparut devant moi. J'eus la surprise de voir un enfant —ou du moins en avait-il les traits—, aux cheveux blonds encadrant un visage angélique, qui le faisait ressembler à un Cupidon. Je réprimai un rire nerveux, et attendis qu'il prenne la parole. Franchement, plus rien ne pouvait me surprendre.
Je me trompais.
— Je suis sincèrement désolé pour le retard ! annonça-t-il d'une voix chantante.
— Pour... Pour le retard ? questionnai-je, incrédule.
Je devais avoir l'air particulièrement stupide, car il partit d'un rire cristallin.
— Je te dois quelques explications, soupira-t-il. Dis-moi si ça va trop vite pour toi ! Je m'appelle Minus, et je suis le gardien des Limbes, ainsi que l'un des juges des Jeux du Salut. Toi, tu es mort. Mais tu erres dans l'Entre Monde, c'est-à-dire entre celui des vivants et des morts. Tu dois participer aux Jeux pour déterminer ton sort. Enfer ou Paradis, ton destin est ici !
Il avait débité ce flot de paroles d'une traite, et je restai bouche-bée. Il devait être habitué à prononcer cette tirade à chaque nouvel « arrivant ».
— Trêve de bavardages, suis-moi !
Complètement hébété, je pris la main qu'il me tendait et fut transporté ailleurs avec lui. Une immense voûte de verre s'étendait au-dessus de moi, semblant monter jusqu'à l'infini. J'avais l'impression d'être arrivé dans un palace, d'une immensité incommensurable.
Dans le hall se trouvaient des dizaines d'autres personnes positionnées en file indienne. À vrai dire, je ne savais pas à quoi je m'attendais. Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens se demandent s'il y a une file d'attente pour accéder au paradis ou aux enfers !
Quand l'affluence diminua, je pus observer des personnes assises derrière des bureaux, affairées à la prise d'informations sur leurs parchemins. Puis vint mon tour, et je me retrouvai devant un petit homme, qui semblait mort d'ennui – chose impossible vu qu'il était déjà mort.
— Nom, prénom, âge, circonstance de la mort, annonça-t-il d'une voix monocorde, usée par l'habitude.
— Euh...
— J'ai pas tout mon temps, gamin ! Des dizaines de personnes attendent leur tour.
— Manand Liam. Je... J'avais vingt-trois ans. Et... Je m'en souviens pas.
Le scribe me fixa, les sourcils froncés, puis après quelques secondes qui me parurent une éternité, me fit signe de partir. Réprimant un soupir de soulagement, je m'éloignai sans demander mon reste. Je suivis la foule qui se pressait devant moi, jusqu'à ce qu'elle s'arrête. On me tapota l'épaule et je sursautai. Je me retournai pour apercevoir Minus, un air mutin plaqué sur son visage angélique.
— Je profite d'une petite accalmie de morts pour venir annoncer le déroulement des Jeux du Salut, m'expliqua-t-il avec un clin d'œil.
— Ah.
Que pouvais-je dire d'autre ? Il me parlait de morts comme on le ferait pour la météo ! Après m'avoir adressé un sourire encourageant, il s'adressa à la foule d'une voix forte :
— Bonjour à tous ! Vous avez été informés de l'existence des Jeux de Salut. Maintenant, il est temps que vous en sachiez plus ! Il y aura trois épreuves, ou tests, que vous découvrirez en temps et en heure. Ils détermineront votre sort : Enfer ou Paradis. C'est aussi simple que cela. Que le premier test commence !
Le décor se métamorphosa sous mes yeux. Je me trouvais à présent seul, dans une étroite pièce. Les murs, d'un blanc éclatant, étaient vierges de tout élément, mis à part celui qui me faisait face. Un sablier en or contenait des petites perles de nacre brillant de mille éclats. Alors que je m'apprêtais à le toucher, fasciné, une voix puissante retentit dans la pièce, me faisant sursauter.
— Liam, êtes-vous prêt ?
— Oui, affirmai-je.
J'essayais tant bien que mal de cacher mon appréhension, mais j'étais en réalité mort de trouille. En quoi pouvait consister ce premier test ? Je ne tardai pas à être fixé. La voix s'éleva à nouveau, claire et assurée.
« Le fleuve sacré des Enfers,
Où l'on oublie ses frères.
On dit qu'ils sont nouveaux
Quand ils viennent de voir le jour
Et sont comblés d'amour,
Assoupis dans leur berceau.
Et, pour dans les Cieux s'envoler,
Ils doivent les déployer. »
J'eus envie de sauter de joie. Sérieusement ? Je m'étais attendu à un combat contre un monstre méphistophélique, pas à une charade ! Néanmoins, le bruit des perles que le sablier égrenait me rappela que mon temps était compté. Je me mis à faire les cents pas, le cerveau en ébullition.
Le fleuve sacré des Enfers... Le Styx ? Non, le fleuve de l'oubli, c'était l'Ether.
— Pouvez-vous répéter ? demandai-je, en m'efforçant d'ignorer le temps qui défilait.
À mon grand soulagement, la voix accepta.
Le berceau... Un enfant ? Non, un bébé... Ether-bébé ? Non, sûrement pas !
Je jetai un regard au sablier, vide aux deux-tiers. Je ressassai ces vers en boucle, et la réponse vint naturellement. J'étouffai un juron, furieux d'avoir perdu ce temps précieux.
— Nouveau-né ! Ether-né...
Il ne me restait que les deux derniers vers !
— Il faut les déployer... Pour s'envoler... murmurai-je. Des ailes ! Ether-né-ailes...
« Éternel ! » clamai-je, à l'instant même où la dernière perle s'écoulait dans le sablier.
— Félicitations, déclara la voix. Votre deuxième test vous attend.
Puis, sans plus de cérémonie, le décor bascula et je chutai à terre, déséquilibré. Je relevai la tête pour voir que je me trouvais maintenant au pied du mont que j'avais aperçu lors de mon arrivée. Je compris en quoi ce test allait consister. Je commençai ma longue et harassante ascension, sans aucune notion du temps qui passait, à l'inverse de la première épreuve où le sablier me le martelait.
Après des heures, ou peut-être même des jours, j'échappai au brouillard épais. Je réalisai alors que j'étais arrivé au sommet. Je n'eus même pas le temps de célébrer ma victoire que le sol se mit à trembler sous mes pieds. Je perdis l'équilibre. Le décor avait à nouveau basculé, et je me retrouvai dans un immeuble. En flammes. Des flammes avides qui dévoraient la charpente. Des flammes qui consumaient, détruisaient, tuaient. J'entendis le cri paniqué d'un enfant, et le bruit de ses poings martelant la porte de son appartement. Mais sans regarder derrière moi, je partis en courant, comme je l'avais déjà fait, pour sauver ma seule vie. Cette fois-ci, je réussis à sortir.
La vision s'estompa. Pantelant, j'aperçus Minus qui se tenait devant moi.
— C'est fini ? m'enquis-je, plein d'espoir. J'ai réussi ? C'était l'épreuve ultime ?
Il m'adressa un sourire crispé, puis me tendit sa main.
— Effectivement. Suis-moi.
Je pris sa main, jubilant. Nous disparûmes du mont. Je commençai à paniquer quand je vis l'endroit où nous étions arrivés. Ce n'était pas le Paradis, loin de là. Mais, comme paralysé, je ne pouvais esquisser le moindre geste. J'entendis Minus qui me disait « Je regrette » d'une voix atone, puis aperçus une silhouette qui se dirigeait vers moi. Je compris à l'instant son identité.
J'étais déjà mort, mais ce n'était qu'un avant-goût de ce que j'allais endurer. Je murmurai ce simple mot, scellant mon sort face à la déesse des Morts.
— Hel.
— L'épreuve ultime nous a prouvé que tu n'étais pas digne, me blâma la Déesse. Tu as eu le choix pour sauver cet enfant. Pour la deuxième fois, tu ne l'as pas saisi.
Un grondement sourd résonna derrière mon dos. Libéré de la force qui me maintenait cloué sur place, j'eus à peine le temps de me retourner pour voir l'immense chien-loup qui se jetait sur moi, gueule béante, une lueur carnassière dans les yeux. Les canines acérées de Garm plongèrent dans ma peau pour me dévorer, me déchiqueter vif.
Je regrettais mes actes plus que tout.
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N'hésitez pas à me faire des remarques si vous en avez. :)
J'ai vraiment adoré écrire cette nouvelle. J'aurais aimé détailler un peu plus la fin, mais j'avais déjà dépassé la limite de pages xD
Merci d'avoir lu !
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