L'épaisse canopée frémissait sous le vent chaud, plongée dans le manteau de la nuit. Seules les étoiles de leur éclat offraient un peu de lumière dans les ténèbres tropicales. Loin de toute société, de toute ville, reposaient dans la quiétude chaude de la forêt, les vestiges d'un temps passé, exhumés depuis peu. Les quelques gardes postés près de la nouvelle découverte afin de la protéger de toute incursion ignoraient que leur destin était scellé.

À la lune montante, des formes se mouvaient sous la couverture des arbres, cherchant de leurs pas agiles et de leurs yeux perçants, les degrés de l'édifice sacré.

Tressaillant de son acte prochain, une forme humaine cachée dans l'ombre était prise d'un doute. Elle se retourna vers ses suiveurs, leurs yeux noirs vitreux n'exprimaient aucune crainte, aucun remords, leurs longues tenues blanches à galons rouges et perles leur donnaient l'allure de spectre. Des spectres... Oui. C'était pour eux qu'elle devait accomplir cela, elle devait les ramener tous.

La forme agrippa le poignard qui parait sa hanche et leva la main, tenant du bout des doigts la volonté de ses servants. D'un geste sec, elle ferma le poing et ses compagnons s'élancèrent vers les faibles lueurs du campement.

La silhouette s'avança vers l'édifice séculaire, tout ceci était nécessaire, elle le savait. Elle devait savoir comment, comment faire pour les ramener, tous.

L'attitude grave, elle escalada les marches raides du temple, sa traîne longue chassant la poussière et les saletés accumulées durant ces siècles passés. Tout allait se jouer ici, bientôt elle saurait comment les faire revenir.

Elle réprima le haut-le-cœur qui la saisit. Elle ne devait pas penser à cela, elle ne devait pas penser au sang qui ruissellerait bientôt sur les marches, ni à ce qu'elle allait bientôt tenir entre ses mains, ni aux coups de couteau qu'elle allait donner pour détacher la peau, ni au goût de la chair, dévorée en festin afin de les éveiller.

Elle chassa de son esprit les cris apeurés de l'homme qui la suivait, ses ongles rappant désespérément la pierre, tentant en vain de s'agripper pour sauver sa vie. Mais les mains fermes des hommes spectraux le retenaient, il ne pouvait s'échapper.

Elle prit place au sommet, tentant de contrôler les tremblements qui la saisissaient, elle ne devait pas faillir, elle ne pouvait pas. Elle devait aller au bout de cette folie, c'était la seule solution. Psalmodiant d'une voix rauque, désormais vide de toute émotion, elle faisait face au sacrifié, qui hurlait et suppliait à s'en rompre la gorge.

Il poussa un ultime hurlement, déchirant le silence de la forêt, lorsque la lame froide lui perfora l'abdomen. Tout autour de son corps ruisselant, les chants lents et sombres célébraient son sang versé et dans les confins des ténèbres, une brèche s'ouvrit alors.

Se nourrissant de lapeur des hommes près de lui, un souffle étrange et glacé haletait. C'était unrire. Un rire d'un autre monde, face au spectacle qui se dessinait devant luien haut des degrés de pierre baignés dans le sang. Bientôt, ils seraient deretour, et alors les mondes s'effondreraient.