9 - Vision
Nokomis patientait devant l'écran d'ordinateur en attendant que sa grand-mère réponde à son appel. Elle se pinça les lèvres en pensant à sa conversation de la veille avec les nouveaux voisins. Nokomis, qui parlait toujours ojibwé avec sa famille ojibwée, appelait toujours sa grand-mère nokomis, tandis que sa grand-mère, elle, l'appelait Nokomis.
La jeune femme se gratta la tête, elle n'y avait jamais vraiment prêté attention, mais cela était très étrange.
Après une heure de discussion à prendre des nouvelles de son cousin Jared qui entrait dans la police sous l'aile attentive de son shérif de père, Mattew, les murs se mirent à trembler, précédés d'un bruit énorme.
Sa grand-mère s'écria, inquiète d'un potentiel tremblement de terre à San Francisco, mais Nokomis savait qu'elle était appelée à l'Atelier de toute urgence. Elle rassura sa grand-mère et prétexta des travaux de la part de son père. Non sans avoir pesté contre Edgar, sa grand-mère Ella lui dit au revoir.
Une fois sûre d'être déconnectée, la jeune femme déguerpit hors de sa chambre et dévala comme à son habitude l'escalier pour filer vers l'Atelier.
Mais en poussant la porte, Nokomis sut que quelque chose de très grave venait de se produire. Edgar et César, tout juste revenu, l'attendaient, prêts à partir.
« Qu'est-ce qui se pass...
— Pas le temps Nokomis, il est déjà trop tard, la coupa César, dont le regard blanc laiteux la fixait pourtant. »
Edgar s'approcha de sa fille et entra des coordonnées puis appuya sur le bouton.
Elle ferma les yeux sous l'incandescence des rayons solaires et toussota lorsque l'air aride s'infiltra dans sa bouche. Une fois accoutumée à la luminosité, elle distingua l'horizon, des habitations de bois entreposées sur un sol craquelé.
Nokomis tourna la tête vers son père qui venait d'apparaître et qui trottinait déjà vers les maisons. Elle le suivit, tandis que le pas de César se faisait entendre derrière elle.
Arrivé à l'orée des habitations silencieuses, Edgar lui fit signe d'attendre, un air inquiet sur le visage, mais César éleva la voix :
« Cela fait partie du métier, Edgar. »
Nokomis fronça les sourcils, mais de quoi diable parlaient-ils ?
Ils avançaient dans une rue déserte, sans aucune trace d'habitants, quand, au détour d'un croisement, Nokomis poussa un cri d'horreur.
Au loin, au centre d'un carrefour, dans une mare de sang dont le soleil ne pouvait tarir la fraîcheur, des corps sans vie s'entassaient les uns sur les autres.
Edgar posa la main sur l'épaule de sa fille, qui se cachait la bouche de ses mains en signe d'épouvante, et soupira. Il avança finalement sous l'impulsion de César qui arrivait déjà au charnier.
Nokomis les suivit, les jambes lourdes et l'estomac serré. Sous le choc, elle percevait à peine les murmures de César qui commençait son œuvre.
Elle posa un regard vitreux sur son père qui la couvait du regard. Et dans un geste protecteur, il l'enlaça contre lui.
Mais trop, tard, elle avait vu les corps disparates dont la poitrine s'ouvrait en un abîme rouge et puant.
La jeune femme tressaillait contre son père, le flux sanguin martelant ses tempes sauvagement. Puis, la voix de César se faisait plus forte, psalmodiant dans une langue inconnue, mais dont le nom effleurait son esprit.
Une horrible chose venait de se produire, et le Gardien César découvrirait quoi.
Nokomis perçut le corps de César se tordre, entrant dans une transe féroce. Son visage se contracta violemment, et le blanc de ses yeux occupa toute l'orbite. Sa voix se déforma en un écho violent et guttural, mêlant la tempête et l'orage.
Soudain, tout devint noir. Puis, dans l'épais manteau de ténèbres, une brèche de clarté se profila. Un sifflement strident retentit et de la lumière émergea une figure. Un visage de serpents en mosaïque bleue s'entrelaçant et dont les bords s'ornaient de plumes irisées d'un arc-en-ciel.
Sans crier gare, la vision se dissipa, les ramenant tous au charnier. Edgar lâcha sa fille et se précipita vers le corps tombant de César.
La poitrine de l'homme se soulevait faiblement et ses yeux blancs s'étaient éteints de toute étincelle. Le visage blafard de l'homme paraissait millénaire.
Edgar cria à sa fille de rentrer, et activa la montre du Gardien avant la sienne.
Arrivé dans l'Atelier, il souleva la masse inconsciente de son ami et l'emmena dans sa chambre. Une fois César allongé et emmitouflé sous ses couvertures, Edgar redescendit pour trouver Nokomis assise, le regard perdu.
Elle n'avait absolument rien compris à ce qui venait de se passer, excepté pour César qui venait de puiser dans tous ses pouvoirs pour réussir un sortilège extrêmement puissant et dangereux.
Sans rien dire, Edgar lui fit signe de le suivre.
Une fois attablé dans un silence inconfortable, face à une tasse de thé, Edgar prit la parole d'un ton de désespoir.
« J'aimerais que maître Khin soit là. »
Nokomis se mordit la lèvre ne sachant que dire et face à la situation incompréhensible et à l'évocation du vieux Passeur d'Histoire disparu un an plus tôt sans laisser de trace.
« Qu... Qu'est-ce qui vient de se passer, papa ? »
Edgar plongea son regard vert dans celui obscur de sa fille, il y vacillait une lueur inquiète.
« Quetzalcóatl, marmonna-t-il.
— Pardon ?
— Quetzalcóatl, répéta Edgar un ton plus haut. Le Serpent à Plumes.
— Ça ne m'avance pas plus, s'impatienta la jeune femme.
— Quetzalcóatl a percé l'Abîme.
— Quoi ? s'écria Nokomis en sautant sur ses pieds. Comment est-ce possible ? »
Edgar se gratta le cou d'un air gêné.
« Et bien en soi, ce n'est pas très compliqué. Cela demande beaucoup de magie, de foi et de sacrifices...
— Mais pourquoi le ramener ?
— Ah ça... Un fanatique aztèque qui est un peu trop dans la reconstitution, peut-être.
— Sérieux ? s'étonna Nokomis.
— Non, souffla Edgar en un sourire contenu. Plus personne ne vénère le panthéon aztèque, du moins pas de cette manière. Je veux dire, celui qui a fait ça ne se contente pas de croire en eux. Il veut les faire revenir véritablement de l'Abîme, et il sait comment s'y prendre.
— Et comment doit-on s'y prendre pour le faire revenir ? questionna Nokomis. Maintenant que l'on sait ce qui se trame, on peut lui mettre des bâtons dans les roues. »
Edgar tapota la table du bout des doigts, puis prit une gorgée de son thé. Il réfléchit un instant avant de reporter son attention sur sa fille qui trépignait sur place.
« Il faut générer suffisamment de puissance pour déchirer la partie de l'Abîme où il se trouve.
— Et.... ? s'impatienta Nokomis.
— Et c'est compliqué.
— Mais encore ? siffla Nokomis entre ses dents, ne supportant plus la lente tension de son père.
— Pour obtenir suffisamment de puissance, il faut percer en plusieurs endroits l'Abîme.
— Et comment fait-on ça ? demanda sa fille qui perdait définitivement patience. »
Edgar prit une autre gorgée et se plongea dans ses pensées.
« Je crois savoir à quoi correspond l'explosion magique de Chalchiuiticue, expliqua Edgar. Je pense qu'il s'agissait d'établir le premier lien avec Quetzalcóatl, de gratter en quelque sorte le tissu de l'Abîme et de l'émailler.
— Et l'Australie ? demanda Nokomis en abdiquant devant le cheminement de son père.
— La première grande trouée dans la maille. Quiconque la faite, a réussi à trouver de quoi parfaitement communiquer avec le dieu serpent. Et là, je ne comprends pas.
— De quoi ?
— Comment il a réussi à l'avoir ! s'exclama Edgar. C'est impossible !
— Pourquoi impossible ? Et de quoi parles-tu ? »
Edgar termina sa tasse et se frotta le front.
« Cela fait des siècles que les Passeurs d'Histoires le recherchent, souffla Edgar, mais dès sa création, il a été éjecté de ce monde-ci. Et l'on ignorait où il avait atterri.
— Qu'est-ce qui a été éjecté papa ?
— Le Masque du Serpent. »
Nokomis ouvrit grand la bouche quand la vision lui sauta à l'esprit. Ce qu'ils avaient vu était donc le masque ?
« Concrètement, où cela nous mène ?
— Vers un avenir bien sombre. »
Nokomis fixa la figure rousse de son père, choquée par son défaitisme. Elle n'était pas habituée à le voir ainsi. Elle tapa d'un coup sec la table de sa paume et se releva.
« Que doit-on faire ?
— Attendre que César se réveil...
— Dans combien de temps ?
— Je l'ignore, cela peut prendre des jours, des semaines...
— D'accord, fit Nokomis en se rasseyant, coupée dans son élan d'espoir.
— Mais, reprit son père, je pense savoir ce que recherche l'instigateur de cela.
— Ah oui ?
— Mmmh... Mais il faut César po...
— Accouche papa ! s'énerva Nokomis.
— Euh... balbutia Edgar devant les gesticulations de Nokomis. Il lui faut agrandir le trou dans l'Abîme et pour cela, il lui faut trouver les autres objets magiques appartenant aux dieux.
— Et tu ne sais pas où ils se trouvent... ?
— Non, sinon, ils seraient déjà coffrés en sécurité dans le Manoir, répondit Edgar en un sourire de désespoir. »
Nokomis souffla. À cette allure, ils n'étaient pas prêts de sauver le monde.
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Hey !
Tadam ! Révélations révélations....
Vous connaissez enfin la menace qui pèse sur le monde ! Mais certains points demeurent encore secret ;)
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, vos théories et autres idées farfelues ! :)
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci de votre lecture jusqu'ici ! :D
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