5 - Figure volante



Nokomis agrippa la table centrale à son arrivée. À la fois de douleur et de rage. Elle avait perdu la trace du Leyak, de peu certes, mais perdu quand même. De plus, sa blessure l'agaçait fortement, elle n'aimait pas être diminuée physiquement, tout comme mentalement.

En outre, elle n'appréciait guère de s'être fait baver dessus par le Leyak. Le sang et le pus sur son visage lui firent échapper une grimace de dégoût.

Rageuse, elle boitilla jusqu'à sa chambre, non sans peiner dans l'escalier.

Arrivée dans sa salle de bain, elle se dévisagea dans le miroir.

Une large traînée rougeâtre et blanchâtre, légèrement huileuse, lui partait du front, pour finir en une trace large dans son cou.

Sans plus attendre, elle saisit son gant de toilette, l'imbiba de savon et se frotta énergiquement la face. Une fois terminée, elle jeta sans remords le gant à la poubelle et fila sous la douche.

Après avoir enfilé son pyjama, elle se dirigea d'un pas boitant et laconique vers la cuisine au rez-de-chaussée.

César et son père l'attendaient, deux pochons de glace, des antidouleurs et des croque-monsieur posés sur la grande table de frêne.

Edgar lui déposa un baiser sur le front quand elle s'affala sur une chaise.

« Je partirai demain à deux heures, pour y être un peu avant le coucher du soleil, histoire de préparer le terrain, annonça Edgar.

— Nous, rectifia Nokomis, je viens avec toi. »

Edgar lui lança un regard à la fois surpris et dépité

« Poussin, je ne pense pas que tu sois en état de...

— Je vais bien papa ! D'ici demain ma côte ne me fera plus mal, c'est juste un bleu. Et en la reposant, ma cheville ira bien mieux, j'ai les ligaments solides, ils sont juste un peu tordus, rien de grave. Au pire, si j'ai encore mal, j'irais m'acheter une attelle. »

Edgar ne répliqua pas, voyant que sa fille n'était pas de très bonne humeur. Et il devait bien se l'avouer, elle avait été plus qu'utile en suivant le Leyak à sa trace. Sans elle, il l'aurait perdu de vue.

De plus, il savait qu'elle ne risquait pas grand-chose, elle avait toujours sa montre en cas de danger, et les Leyaks ne s'attaquaient qu'aux cadavres et femmes enceintes. Et sa fille n'était ni l'un ni l'autre.

Ils mangèrent en silence, César n'ayant aucune autre information à leur donner et l'humeur de Nokomis rendant l'ambiance maussade.

Nokomis passa l'après-midi sur son lit à passer ses nerfs sur l'une de ses activités favorites, le crochet. Rien de tel pour se calmer que de tricoter des bonnets, des glaçons calés sur les zones douloureuses.

La soirée et la nuit passèrent vite et à deux heures du matin, Nokomis se leva, non sans grimacer, de son lit. Elle tourna un peu sa cheville afin de la chauffer, et plaça l'attelle que son père avait gentiment achetée dans la soirée.

Elle s'attela à manger ses biscottes et son bol de muesli aux fruits frais dans la plus grande des concentrations. Cette fois, hors de question de se faire baver dessus.

Elle rejoignit son père dans l'Atelier, armée d'une pelle et d'une corde. Elle y déposa avant de partir son sac fétiche cousu main, de peur de l'abîmer.

C'est en se sentant un peu nue sans lui, qu'elle actionna, le regard noir, sa montre.

Edgar et Nokomis atterrirent à l'orée du cimetière, à l'abri des regards des derniers balinais qui rentraient chez eux.

Ils se dirigèrent en silence vers le petit cimetière d'une douzaine de tombes. Leurs petites stèles semblaient imiter leurs toits traditionnels, semblables à ceux en pagode. Et les frontons de ces si petits bâtiments étaient ornés parfois d'un svastika. Et au-dessus de ces toits mortuaires s'élevait en quelques endroits un parapluie accroché sur la pierre, comme pour prévenir les morts de tout danger solaire.

Dans cette clairière aux herbes hautes, l'on distinguait néanmoins les formes des fosses. L'éclat du vert était plus beau. Néanmoins, sur six tombes, un amas marron et verdâtre de terre retournée et d'herbes arrachées, laisser entendre le passage du Leyak.

Edgar résuma son plan à Nokomis. Se placer plus ou moins pour couvrir rapidement les tombes, attraper le Leyak et le maintenir jusqu'à ce que sa tombe soit ouverte et son corps brûlé.

Nokomis réprima une remarque sarcastique sur le plan de son père, qu'elle considérait plus comme de l'improvisation totale. Sincèrement, elle ne comprenait pas comment il avait pu survire tant d'années seul.

Le soleil s'était couché depuis longtemps déjà, et les bruits de la campagne nocturne se faisaient doucement entendre.

Nokomis arpentait sa zone d'un pas lent. Elle avait passé des heures à débattre avec son père sur la dynastie Tang, et cela l'avait épuisée, comme à chaque discussion enflammée et passionnante. Et pour tout dire, elle ne savait même plus comment cela avait commencé.

La jeune femme se figea et écouta attentivement son environnement. Il lui semblait percevoir quelque chose fouir le sol près d'elle. Elle balaya sa zone de sa lampe et fit signe à son père. Tous les bruits autour d'eux se turent.

Nokomis suivait le bruissement qui augmentait peu à peu, pelle en main. Edgar la suivait, tenant la corde.

Elle s'arrêta devant une tombe, et le bruit cessa. Elle braqua sa lampe vers l'amas de terre. La jeune femme plissa les yeux, certaine d'avoir entendu le bruit venir de là.

Soudain, dans la lumière jaunâtre de la lampe, quelque chose émergea, suivi d'une insoutenable puanteur. La terre sèche se souleva, s'entremêlant dans les mèches sales du crâne qui montait. Un front pâle et maladif perça la tombe, un nez fin et droit suivit, encadré par deux yeux noirs comme la nuit. Quelques monceaux de terre tombèrent en un bruit mou, de la bouche pernicieuse aux dents pointues et encore tachées de rouge qui jaillit soudain du sol.

Nokomis sentit son estomac se serrer devant l'horreur. Et pour se donner une contenance, elle agrippa fermement la pelle des mains. Si elle avait éprouvé une brève peur face à l'émergence rapide de la face, ce qui suivait la dégoutait au plus haut point.

Suintant du mélange visqueux de sang et de pus, un amas d'organes s'accrochait en des filaments gluants à un œsophage partant de lambeaux de chair, qui servaient de cou.

Ni une ni deux, Nokomis assena un coup de pelle à la figure qui s'écrasa à terre, elle se déporta sur la gauche et laissa Edgar surgir avec sa corde, cherchant à attraper les intestins. Il entama une formule lorsqu'une onde le projeta en arrière.

Nokomis s'écria et assena un second coup de pelle lorsqu'une onde la traversa aussi. À son grand étonnement, elle ne bougea pas d'un poil. Cela parut surprendre le Leyak, qui s'éleva dans les airs, cherchant probablement à fuir le combat.

Nokomis perçut son père se remettre sur pied, et son trop réfléchir elle laissa tomber la pelle et se jeta sur la tête.

Elle regretta son geste lorsque les intestins et l'estomac du Leyak entrèrent en contact avec ses vêtements. Elle sentait déjà la puanteur s'infiltrer dans ses pores.

Elle agrippa la tête entre ses bras et la plaqua au sol de tout son poids. Mais le Leyak malgré l'absence de membres était d'une force surhumaine. Nokomis eut l'impression de vivre un rodéo. Ayant perdu sa lampe torche elle essayait de maintenir à l'aveuglette la chose, elle sentit le contact rêche d'une corde s'écraser sur son bras. Et le bruit d'une terre que l'on creuse.

À cet instant, la lutte devint féroce. Nokomis saisit la corde de sa main gauche et écrasa de son pied l'intestin qui traînait au sol. Elle réprima un cri de douleur, malgré l'attelle. Les soubresauts que causait son duel lui faisaient rebondir la cheville sur le sol.

Intérieurement, Nokomis se réprimanda pour ce qu'elle allait faire. Elle enfonça deux de ses doigts dans le nez du Leyak, et tira de toutes ses forces. Elle sentait la langue fourchue et visqueuse du monstre lu léchait convulsivement l'avant-bras.

Elle avait l'impression que la mâchoire de la chose allait de détacher. De sa main tenant la corde, elle la plaça dans la paume. Et dans un geste qui lui rappela vaguement ses doux moments où elle harnachait sa jument chez ses grands-parents, elle lui fourra la corde dans la bouche d'un coup sec.

Elle lâcha subitement le nez du Leyak, qui referma instinctivement la mâchoire. De sa main libre, Nokomis attrapa la corde, la tenant comme des rênes. Elle croisa les bouts et serra avec brutalité. La tête se trouva enserrée et comprimée.

La jeune femme se retourna afin de faire passer la tête sur sa poitrine et prit entre ses jambes les organes. Son dos martelait le sol en des coups douloureux, mais moins intenses qu'au début. La voix de son père retentit soudain :

« Éloigne-toi d'elle ! »

Nokomis libéra les organes de l'emprise de ses jambes et à bout de bras, elle projeta la tête sur le côté. Soudain, elle s'enflamma.

Nokomis détourna le regard, mais tomba vers un autre brasier, celui de la tombe. Le corps détruit, la tête n'avait plus de raison d'être.

Épuisée, Nokomis s'affala dans l'herbe.

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Hey !!

J'espère que vous avez pris autant de plaisir à lire que moi à écrire !

Je me suis vraiment éclatée sur ce chapitre (que j'ai écrit directement après le précédant).

Vous venez donc de rencontrer le Leyak...  J'espère que le combat a été bon (j'ai toujours du mal avec les combats).

Vous auriez réagi comment face à cette tête volante ? Moi, j'aurais déguerpi en courant ;)

N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !

Merci de votre lecture !! :D

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