3 - Le poulet est plus fort que la page



Edgar et Nokomis se matérialisèrent dans l'Atelier, dérangeant César qui passait un étrange objet au-dessus de la map-monde, et qui après quelques secondes les apostropha : « Alors ? Vous avez le livre ?

— Non ! répondit rageusement Edgar. Changement de plan mon ami ! Il va me falloir les chaînes d'Héphaïstos et un poulet rôti !

— Certes, soupira César, que se passe-t-il ?

— Le grand Livre d'Orlumath, répondit Nokomis, prenant de court son père.

— C'est fâcheux, dit César sans la moindre once de peur ou de compassion dans la voix. Orlumath mort, le livre doit être hors de contrôle.

— Exact ! acquiesça Edgar. Moi qui croyais que son maudit livre avait disparu avec lui. Et là, il fait ce que son maître lui a enseigné, sans aucun contrôle. Il dévore les gens sans distinction.

— Très fâcheux en effet...soupira une fois encore César. Je suppose que tu veux l'appâter avec le poulet ?

— Et en quoi un poulet va nous aider, questionna Nokomis. Il y a une différence flagrante entre un poulet et un humain, vous le savez, non ? Ou vous avez besoin d'un cours d'anatomie ? »

Edgar lui lança un regard amusé et répondit :

« Je sais chérie, mais de ce que l'on-dit, l'humain a le goût de poulet. »

Sa fille lui rendit son regard, ses lèvres s'étirant en un sourire moqueur.

« Sérieux, papa ? Ça ne serait pas plutôt proche du cochon ?

— Oui bah c'est moins facile à transporter ! Un poulet, c'est petit et pratique ! Alors va m'acheter un poulet !

— À dix heures du matin ? »

Edgar écarta les bras et déclara sur le ton de l'évidence.

« San Francisco, chérie ! »

Nokomis secoua la tête, faisant voltiger ses nattes brunes, et sans demander son reste, elle prit le chemin de la sortie.

Elle refit apparition dans l'Atelier une petite heure plus tard, ayant trouvé son bonheur dans une rôtisserie non loin de là.

« Parfait, s'exclama son père, qui enroulait autour de son bras des chaînes noires. Donne-le-moi, poussin. »

Nokomis plissa les yeux et porta un regard accusateur sur son père.

« Pour que tu déguerpisses sans moi ? Hors de question ! »

Elle serra fermement l'anse du sac plastique.

À son grand étonnement, son père ne protesta pas. En effet, Edgar savait pertinemment qu'elle pouvait le rejoindre facilement avec sa montre. Il regretta un instant d'avoir accepté de l'emmener. Lui qui croyait avoir le droit à une mission ennuyeuse afin d'éloigner sa fille des frissons de l'aventure.

Ils actionnèrent leur bouton et apparurent à l'endroit de la clairière.

« Bon, le plan, car oui j'ai un plan, déclara Edgar un brin de fierté dans la voix, est de positionner le poulet à un endroit évident, mais où je peux aussi me cacher afin d'attraper le livre avec les chaînes.

— Un endroit évident, mais avec une cachette ? Tu ne veux pas non plus que le livre te tombe tout cuit dans la bouche ?

— Fille de peu de foi ! s'indigna Edgar.

— Et bien, ici à l'orée de la clairière cela me semble être une bonne idée, déclara-t-elle, ignorant la remarque de son père. On sera sous le couvert des arbres et en même temps notre vision sera parfaite.

— Tu apprends vite ma fille ! Bonne idée. »

Elle leva les yeux au ciel.

« Et on fait comment pour l'appâter jusqu'ici ? Quand on est parti, il était dans le jardin. »

Edgar leva sa main enchaînée, un air malicieux sur sa figure rousse.

« Je ne t'ai jamais parlé de cette chaîne ? »

***

Le livre flottait nonchalamment au-dessus de l'herbe verte. Guettant de ses ondes maléfiques la présence de la chair. Au plus profond de ses pages résonnaient les complaintes sordides d'une vie arrachée dans la terreur. Tourbillonnant docilement sur lui-même, il cherchait le souffle de son maître, en vain. Il devait lui donner ce qu'il lui avait offert, un souffle de vie. Tous devaient périr pour lui, tous devaient donner leur chair pour sa puissance, leur âme pour sa gloire.

Subitement, il sentit l'effluve suave d'un corps mort, d'une chair privée de vie. Cela n'était pas ce qu'il espérait pour son maître, mais déjà il avait failli à sa tâche en laissant deux cœurs moelleux s'échapper. Il devait récupérer la force qui stagnait encore sous la peau morte, dans les muscles pétrifiés, dans la moelle juteuse.

Il s'approcha des ondes du corps, mais si près du but, celui-ci lui s'échappa en un écart vif.

Suivant sa nature vorace et l'odeur suave, il fila à la suite du corps.

***

Nokomis regardait son père régler la chaîne au bout de laquelle était fiché le corps du poulet. Assise à l'écart sur une branche basse, elle fixait les traits concentrés de son père derrière le tronc moussu. La magie de la chaîne était assez déconcertante, elle s'étendait à l'infini selon la volonté du porteur et aussi solide que la peau d'un dragon, rien ne pouvait la briser.

Elle arrêta de balancer ses jambes lorsqu'elle remarqua que le poulet traçait vers eux, le livre à sa suite. La jeune femme se figea immédiatement lorsqu'elle remarqua que le livre ne suivait plus le poulet, mais allait en sa direction. Elle jeta un regard à son père dont la mine paniquée n'augurait rien de bon. Il lui fit signe d'actionner sa montre.

Nokomis inspira à fond lorsqu'elle sauta de son perchoir, ignorant la demande de son père qui afficha un visage horrifié en la voyant prendre la poudre d'escampette dans la forêt.

La jeune femme évitait habilement les branches basses et les racines qui ne lui facilitaient pas sa course. Elle sentait la présence du livre la suivre à la trace et la respiration affolée de son père qui les suivait. Elle pesta contre lui, la prochaine fois, il aurait l'obligation de venir courir avec elle, car être à la traîne à son âge, ce n'était pas bon signe.

Elle entendit alors la voix de son père s'élever, saccadée.

« J'arrive, Nokomis ! »

Devait-elle se stopper ? Elle inspira un grand coup et freina brutalement. Elle se pencha par terre et saisit une branche morte qu'elle propulsa vers le livre. Trop rapide pour lui, le livre se prit la branche, vacillant dans l'air. Nokomis saisit une nouvelle arme sylvestre et reprit sa course effrénée.

La voix de son père s'éleva un peu plus proche :

« J'y suis presque ! »

Décidément, la course n'était pas son atout.

Nokomis stoppa une fois de plus sa course et jeta de nouveau sa branche en plein dans le livre qui frissonna d'indignation, faisant claquer ses pages jaunâtres.

La jeune femme distingua la silhouette de son père derrière l'ouvrage. Sans crier gare, le livre fut propulsé brutalement dans les airs, terminant sa course en un fracas de branches et de feuillages. Edgar se précipita aux côtés de sa fille, la voix emplie de fierté et de joie :

« Poulet un, livre zéro ! »

Nokomis lui lança un regard blasé et se plaça derrière son père. Edgar ramena la chaîne à lui, et se débarrassa du poulet. Guettant l'apparition du livre, il se mit aux aguets. Nokomis balaya le sol en quête de sa branche et se précipita la récupérer, la tenant fermement entre ses mains.

Dans un bruissement furieux, le livre émergea des feuillages. Il claqueta des pages et se jeta sur Edgar en un vol rapide.

Ni une ni deux, Edgar bondit sur le côté, tandis que Nokomis un instant surprise par le saut de son père se réveilla et assena un coup puissant sur le livre, qui s'écrasa au sol faisant voleter terre et feuilles.

Sans demander son reste, Edgar lança la chaîne sur le livre sonné et murmura une formule en grec ancien. La chaîne serpenta comme un éclair vers le terrible ouvrage et s'enroula tout autour fermement, clouant le livre sur le sol.

Edgar s'affala sur le sol, la main sur le cœur.

« Et bah poussin, ça, c'est du boulot de Passeur ! »

Nokomis se pencha sur le livre désormais immobilisé, et questionna son père. « Comment on fait pour faire sortir les gens de là ? »

Un silence gênant lui répondit.

Elle fixa son père, l'œil curieux et inquiet, mais celui-ci évita son regard, plongeant son attention sur ses chaussures crottées.

« Papa ? reprit Nokomis.

— Euh... Écoute Noko, comme je le disais à l'Atelier, le livre dévore les gens et...

— Mais c'est une métaphore n'est-ce pas ? Je veux dire, un livre ne peut pas manger des gens ! Il doit les stocker dans ses pages, un truc du style, non ? »

Edgar se frotta le menton, un pincement au cœur le saisit. Peut-être était-ce là sa seule chance de dégouter sa fille du métier ? Il inspira un grand coup, s'en voulant pour ce qu'il allait faire.

« Poussin, ces gens sont morts... Le livre absorbe l'énergie vitale de ses victimes et la stocke dans ses pages, oui. Mais cela consume le corps de la personne. Ils ne reviendront jamais. »

Edgar s'injuria mentalement quand il remarqua les yeux de sa fille se nimber de larmes. Jouer sur son empathie était laid. Il se rapprocha d'elle et l'enlaça, caressant sa tête brune d'un geste tendre.

« Tout va bien ma chérie, tout va bien. »

Ils restèrent un instant là, enlacés en silence.

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Hey !!

J'espère que ce chapitre vous a plu !

En tous cas il y avait un peu d'action ! Sachez que je me suis beaucoup amusée à écrire ce moment (comme tous les autres en fait), je riais comme une baleine devant mon écran...

Franchement, vous feriez pareil qu'Edgar au vu du danger que sa fille rencontre ?

Je pense que je le ferais, mais je serais certainement plus stricte que lui. Sa raison fond comme du beurre face à sa petite chérie !

N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !

Merci de votre lecture !! :D

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