« C'est quoi ça ? hurla Nokomis, paniquée.
— Je ne sais pas ! Ne me hurle pas dessus ! »
La créature s'approchait toujours de sa démarche chaloupée.
« Il y en a d'autres, indiqua Edgar la gorge sèche. »
Les Passeurs regardèrent avec horreur trois autres femmes, l'une blanche comme la craie, l'une jaune et la dernière bleue, s'avancer de la même démarche chaloupée.
« Oh, je crois savoir qui elles sont ! nota Edgar, fier de lui.
— Et ça nous aide pour nous en débarrasser ?
— Euh... Non.
— Alors, on s'en fiche ! s'énerva sa fille. »
Les quatre créatures s'approchaient toujours d'eux, et le duo allait finir par arriver au fond de la bâtisse.
« Je pense que si on sprint en se séparant, on a une chance de les semer, proposa Nokomis. Bien sûr, il faut éviter de tomber sur les corps...
— Tu prends à gauche ? Je prends à droite ?
— OK, je passe en première, je suis plus rapide. Je vais essayer de les attirer dehors. »
La Passeuse balaya la salle du regard, à la recherche d'un chemin avantageux. Les quatre créatures s'avançaient en formation triangulaire. L'ojibwée avait la place de passer à droite, mais les cadavres constituaient des embuches sur son chemin. Elle devait se montrer vigilante là où elle posait les pieds.
Nokomis inspira un grand coup, prit position bas sur ses appuis, expira, et sprinta.
La créature blanche la repéra et entama d'une démarche qui ne semblait plus si lente, de lui barrer le chemin. Nokomis accéléra, sauta au-dessus d'un corps et fonça entre la créature et le mur. D'une impulsion, elle échappa à la main squelettique de la chose. Elle sentit clairement l'air vibrer sous les longues griffes noires.
La Passeuse fonça vers la porte et se retourna. La créature blanche et la créature bleue la fixaient tandis que les deux autres avançaient toujours vers son père. La jeune fille avisa un caillou au sol de l'entrée, l'attrapa et le lança sur la figure rouge.
« Hé ! Vous ! Euh... Machine ! Par içi ! »
Le caillou rebondit en un coup mou sur le crâne hirsute de la chose qui se retourna lentement vers elle. Son œil rouge et exorbité la toisa un instant, puis un grognement s'échappa de ses lèvres desséchées. La créature blanche se retourna alors, comme suivant le commandement de la dame rouge.
Les quatre créatures entamèrent leur marche vers Nokomis. Mais cette fois, elles traînaient leur corps boiteux avec vigueur.
Nokomis claqua la langue. Et maintenant, que faisait-elle ?
Pour toute réponse, un bruit sourd s'éleva derrière elle. La jeune fille jeta un rapide coup d'œil derrière elle. Au fond de la clairière, les arbres se balançaient avec colère, les feuilles s'envolaient dans un rugissement de tempête, et les branchages claquaient de rage.
Mais à côté d'elle tout demeurait calme.
« Je n'aime pas ça. »
La force invisible qui balayait les arbres se déplaça jusqu'à la clairière. L'herbe luttait pour ne pas s'arracher, et les maisons tremblaient.
Elle fixa l'intérieur, les créatures n'étaient plus qu'à quelques mètres. Mais déjà, elle sentait le souffle qui charriait feuilles et herbages lui chatouiller le visage.
Nokomis agita les mains, ne sachant que faire. Les créatures étaient assez éloignées de son père, alors, elle lui fit signe de la main de se cacher derrière un meuble hors de l'axe de la porte. Mais alors qu'elle s'apprêtait à faire le tour du bâtiment pour se cacher à l'arrière, les palissades de l'enceinte s'envolèrent, soufflées par une fureur invisible. Sans que Nokomis puisse agir, un mur de vent la frappa de plein fouet.
Alors qu'elle se voyait déjà tomber à terre, vacillante et la poitrine compressée par le choc, le mur d'air s'estompa et frappa le temple. Elle se détourna, et vit la fureur s'engouffrer dans le bâtiment, les créatures furent balayées comme des fétus de paille, et percuta Edgar qui tomba sur le côté et glissa sur plusieurs mètres.
Soudain, une forme blanche et vaporeuse se matérialisa dans les airs, tourbillonnant au-dessus des corps, comme contemplant le désastre.
Déjà les créatures commençaient à se relever.
La forme vaporeuse se stabilisa et Nokomis eut la terrible impression qu'elle la fixait.
Impression qui se confirma quand, la brumeuse créature, désormais boule compacte, lui fonça dessus.
Nokomis n'eut pas le temps de crier de surprise, elle prit ses jambes à son cou.
Elle sprinta pour atteindre le dos du bâtiment et derrière, la rage de la brume arracha le front du temple. Dans un bruit de tempête et de bris de bois, elle tourna à l'angle.
« Ah ! »
Des éclats de bois venaient de se ficher dans son dos, la faisant ralentir un instant.
Elle tenta d'articuler quelque chose à la forme, mais une violente poussée dans le dos la fit s'aplatir à terre.
Elle s'écrasa dans l'herbe et bascula sur le côté quand elle sentit un courant d'air s'infiltrer sous ses vêtements. Elle esquiva de justesse une pique de brume blanche.
Alors qu'une deuxième fonçait sur elle, et qu'elle levait les bras en signe de défense, la voix de son père retentit.
« Passeur ! »
La forme blanche s'arrêta aussi sec.
Nokomis, qui voyait déjà sa fin dans un glapissement de terreur, laissa échapper une expiration gonflée de larmes de soulagement face à la pique en suspension au-dessus d'elle. Elle roula alors sur le côté pour échapper à l'arme brumeuse et gémit de douleur quand les bris de bois s'enfoncèrent dans sa chair.
« Nous sommes des Passeurs, esprit. Calme ta colère, nous ne te voulons aucun mal. »
Nokomis se leva, ses jambes tremblaient comme du coton. C'était un esprit, ça ? Elle jeta un coup d'œil apeuré à la boule qui se dilatait et se contractait. La Passeuse boitilla jusqu'à son père, qui l'attrapa par la hanche pour la soutenir.
« Rappelez vos créatures, humains ! gronda une voix caverneuse. Elles souillent ces terres sacrées.
— Esprit, fit Edgar en un geste calme de la main, ces créatures ne sont pas avec nous.
— Mensonge ! tonna la voix »
Une bourrasque claqua au-dessus d'eux.
« Esprit de nature, reprit Edgar d'un ton calme et assuré. Ces créatures n'ont pas été invoquées par nous, et d'ailleurs, personne ne peut les invoquer, si ce n'est des dieux. »
La boule vibra une seconde et se dilata pour reformer une forme vaporeuse qui semblait humanoïde.
« Que dis-tu humain ?
— Ces créatures sont des Tzitzimime. Elles ont traversé l'Abîme d'où elles étaient retenues. Elles précèdent la fin du monde et sont là pour déstabiliser l'ordre cosmique. Seuls des dieux ont pu les faire traverser de l'Abîme jusqu'ici. Des dizaines de personnes sont mortes ici, d'une grande malédiction qui a rendu le voile de l'Abîme instable. »
Edgar déglutit, c'était la seule explication logique. Malgré tout, pour lui quelque chose clochait. Même si la malédiction rendait le voile suffisamment instable, les créatures auraient pu arriver n'importe où. Quelque chose les avait attirées ici.
« Mais dis-moi, Esprit. Que s'est-il passé, ici ?
— Papa, souffla Nokomis en un gémissement, il faudrait s'occuper des Tzitzimachins, non ?
— Les créatures se sont restaurées et elles sont parties, indiqua l'esprit d'une voix soulagée. Leur maléfique présence est partie, mais leur souillure est toujours là.
— Restaurées ? questionna Nokomis.
— Elles se repaissent de la chair des morts et des vivants, indiqua Edgar. »
Nokomis serra les lèvres en chassant l'horrible vision qui dansait devant ses yeux.
« Donc, reprit Edgar, qui a lancé la malédiction aux autres druides.
— Un fou qui s'est détourné de ses vœux. La rage a pris contrôle de son corps.
— Un cainte ?
— Oui, Arzel l'Embrumé.
— L'Embrumé ?
— Seule la brume règne dans son esprit. Il ne distingue que l'obscurité, il n'écoute que le chaos. »
La parole de l'esprit résonna dans l'esprit des Passeurs.
« Mais pourquoi ?
— Car il est désespéré. Autrefois dévoué et bienveillant, la mort lui a arraché ce qu'il aimait. Il a supplié les dieux de franchir le voile de la mort pour sauver son aimée et son fils, mais ils ont refusé.
— Ramener les morts à la vie est impossible, s'exclama Edgar.
— C'est ce que les autres druides lui ont dit. Mais la douleur a aveuglé son jugement, il s'est laissé entraîner par la rage et le chaos. Et désormais, il s'est tourné vers de nouveaux dieux.
— Comment ça ? tiqua Edgar.
— Il a pris le visage du Serpent.
— Quoi ? s'exclama Nokomis à bout de force.
— Son visage est celui du Serpent, bleu irisé de plumes. »
La nouvelle laissa les Passeurs sans voix.
« Avez-vous perdu votre langue, humains ?
— Non, non, on digère juste les informations, souffla Edgar en se pinçant l'arête du nez. »
Il comprenait mieux pourquoi les Tzitzimime se trouvaient là. Le masque de Quetzalcóatl les avait attirées. Arzel l'Embrumé, était la personne qu'ils cherchaient à stopper. Un druide désormais dévoué à la cause des dieux bannis.
« Pour tout vous dire, esprit, cet Arzel est celui que nous cherchons depuis des semaines. Il déchire le voile peu à peu...
— Que faites-vous encore ici ? Si vous n'agissez pas, d'autres humains mourront, et les esprits et les dieux suivront.
— Euh... Oui, si vous avez des indices sur l'endroit où il se trouve... »
L'esprit s'éleva soudain au-dessus d'eux.
« Tous n'ont pas péri, je le sens. Une âme subsiste dans la forêt, elle s'approche d'ici. Arrêtez-la, avant qu'elle ne franchisse la limite de Turgan, où elle périra comme les autres.
— Où ça ?
— Dans la forêt.
— Oui, je sais bien, mais o....He ! Ne partez pas ! »
L'esprit se dissipa.
« Satanés esprits ! jura Edgar. Toujours flou, jamais précis ! Allons-y, poussin. »
Seul un gémissement lui répondit.
Edgar darda son regard sur sa fille, constata que du sang coulait de son dos et que ses jambes tremblaient.
« Je m'en occupe, rentre à la maison. »
Il posa un baiser sur le front de sa fille est actionna sa montre. Il s'étira quand le poids de Nokomis disparut de son corps, et se mit à marcher en direction de la forêt.
À peine le premier arbre passé, il hurla : « Druide ! »
Aucune réponse.
« Ça aurait été trop beau, marmonna le Passeur en s'enfonçant de plus en plus dans la forêt. »
Edgar tentait de faire le tour du domaine à la recherche du druide, mais Turgan était grand. Il commençait à perdre espoir quand un bruissement à sa droite éveilla son attention.
« Druide ? fit-il avec plein d'espoir. »
Il se stoppa, un sourire qui se voulait rassurant sur le visage. Mais son sourire se fana vite. Le bruissement devint plus fort, et il émergeait par-dessus un grognement féroce.
« Oh flûte. »
Entre le vert des feuilles rêches et le noir de l'ombre se dessinaient deux points jaunes.
« Non, pas un druide... »
Edgar reculait doucement quand une forme grise jaillit du buisson. Sans demander son reste, il s'enfuit à toutes jambes.
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Hey !!!
C'est le retour ! Enfin les partiels sont finis, et j'ai pu me remettre à mes histoires.
J'espère que le chapitre vous a plu !! Edgar n'a jamais de chance, faut dire que les esprits sont aussi étranges les uns que les autres, et tous si différents.
J'ai donc enfin fini de corriger ce chapitre, et le chapitre suivant est bien en route ! J'espère profiter des vacances d'été pour avancer un max !
Aussi, je vous réserve une grosse surprise dans quelques temps, cela ne concerne pas les Passeurs.
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci pour votre lecture !! :D
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