20- Champignons et furoncles
La carrure de César se profila dans l'Atelier, l'atmosphère était tendue.
« Hmm... marmonna-t-il. Pas besoin d'yeux pour voir que quelque chose ne va pas.
— Où as-tu mis le mannequin ? demanda Edgar avec empressement.
— Dans une réserve de haute sécurité, aucune chance qu'il sorte tout seul.
— Oui... À propos de choses magiques sortant toutes seuls...
— Oui ?
— Il se trouve que... Euh... balbutia Edgar dont les yeux blancs de César semblaient sonder l'âme. Euh... Tu te souviens des poupées de Munich ?
— Oh, souffla simplement le Gardien, je vois. Je vais me mettre à l'inventaire des objets du Manoir et chercher si je croise une poupée. »
Il s'approcha de la table centrale, sortit son inventaire détaillé, prit sous son bras le miroir, puis quitta la pièce.
« Whoua, il l'a pris remarquablement bien, s'étonna Moira.
— Je pense que depuis le temps, il a dû voir un certain nombre de boulettes venant des Passeurs, ricana Néfertari.
— Ce n'était pas une boulette ! On ne pouvait pas savoir !
— Si ça te fait sentir mieux, siffla Néfertari en un regard malicieux. »
Edgar se contenta de pincer les lèvres.
« Que faisons-nous maintenant ? demanda Nokomis.
— J'aimerais étudier le mannequin et les poupées, fit Moira.
— Je peux aider, répondit Néfertari. »
Nokomis nota la mâchoire de la fée se crisper légèrement.
« Merci.
— Et nous ? insista Nokomis.
— Déjà, piquer un petit somme, se laver puis partir chercher la suite. Suite qui se trouve... Néfertari ?
— Je pense que se mettre sur la piste de la... »
L'Égyptienne se figea. Un long frisson la parcourut.
« Une puissante malédiction a été lancée. »
Un long silence accueillit ses propos.
« Vous sentez les malédictions, vous ? grogna Darren, dubitatif. »
Pour toute réponse, elle lui lança un regard glacé. Le jeune mage croisa les bras, comme pour se protéger du froid polaire de ses yeux.
Moira se contenta de regarder ses pieds, et Edgar esquissa un sourire. Rares étaient ceux qui sentent les malédictions. Nokomis tilta aussi et écarquilla grand les yeux.
« Et je pense que l'endroit ne va pas vous plaire, Edgar.
— Où était-ce ?
— Tugan.
— La demeure des druides ? s'exclama-t-il.
— J'en ai bien peur.
— Il n'y a pas trente-six mille malédictions qu'un druide peut lancer. Nokomis ! Oublie le repos, on décolle maintenant !
— Pendant ce temps, nous allons nous occuper du mannequin, déclara Néfertari. »
Nokomis soupira, l'image de son bain chaud éclata en mille bulles pour laisser place à celle d'une forêt.
Elle laissa son père rentrer les coordonnées, assez surprise qu'il les connaisse par cœur.
« Pour une raison de sécurité, nous allons atterrir à une centaine de mètres de l'entrée de Tugan. Prends deux gros morceaux de quartz et d'obsidienne s'il te plaît. »
Nokomis s'exécuta et enclencha sa montre à la suite de son père.
L'air chargé d'humus lui emplit les poumons et le camaïeu de vert qui s'offrait à elle en des feuillages chargés et des herbes folles l'apaisa un instant. Elle s'étira comme un chat, ravie de voir le soleil pointer son nez au travers des branchages et des nuages.
« Viens Nokomis, donne-moi un morceau de chaque, et suit moi. »
Elle lui tendit les pierres et lui emboita le pas dans la forêt. Au bout de quelques instants, Edgar s'arrêta.
« Nous y sommes. »
Nokomis regarda l'amas d'arbres et de buissons qui composait la forêt, puis regarda son père d'un œil suspect.
« Je pense que te lunettes sont cassées pa'. »
Pour toute réponse, il leva les yeux au ciel et pointa une ligne de champignons au sol.
Nokomis le regarda se positionner au-dessus, un pied de chaque côté de la ligne et avancer sur quelques mètres.
« Tu sais papa, des fois tu me fais p... Gitche Manitou ! »
Edgar venait de disparaître.
Nokomis se précipita sur la ligne et prit position. Elle avança à toute vitesse.
« Alors, qui a des problèmes de vue ? la taquina Edgar. »
Nokomis ne répondit pas, trop bouche bée. Devant elle s'étalait une immense clairière où des bâtiments de bois et de chaumes s'élevaient avec prestance. Leurs murs de bois brun s'ornementaient de peintures colorées représentant des courbes et des orbes. Devant un bâtiment imposant caché par un talus surmonté d'une palissade, un puit prenait place et de là, partaient en des traces subtils de planches des chemins au travers des bois.
La Passeuse se retourna vivement, derrière elle, le chemin de champignons continuait à l'endroit où ils se trouvaient auparavant.
« Incroyable ! »
Edgar se contenta de sourire devant l'émerveillement de sa fille.
« Bon, reprit-il avec sérieux. Allons-y, mais restons prudents. »
Le duo s'approcha d'un bâtiment. Alors que Nokomis s'apprêtait à rentrer, Edgar posa sa main sur son épaule.
« Je devrais entrer tout seul. »
Le ton mal à l'aise de son père intrigua Nokomis, mais elle ne préféra pas argumenter. Elle sentait que quelque chose clochait.
Lorsqu'il réapparut au pas de la porte, son teint était livide.
« Qu'est-ce qu'il y a papa ? »
Il ne répondit pas. Alors, elle s'avança pour rentrer, mais le bras de son père lui barra la route.
« Tu n'as pas besoin de voir ça.
— Tu me fais peur papa, laisse-moi rentrer.
— Non. »
Le ton ferme était sans appel.
« Pas ici, pas dans cette maison. Allons au temple. »
Il lui désigna d'un coup de tête le bâtiment derrière la palissade.
La tête basse, Edgar épiait sa fille d'un œil inquiet. Ce qu'elle avait vu en Australie était horrible, mais ce qui se trouvait dans la maison pouvait la choquer bien plus. Il espérait simplement que le temple était bien réservé aux adultes.
Ils pénètrent dans l'enceinte du sanctuaire, vide de toute personne. Seuls les autels et les petits arbres sacrés les observaient dans un silence de mort. Le temple les dominait de toute sa hauteur, et sa porte ornée de fleurs et de gui s'entrouvrait.
Edgar posa la main sur le battant et soupira en regardant sa fille. Il poussa d'un coup sec.
Nokomis porta sa main à la bouche. Son corps se figea devant le spectacle morbide qui se jouait devant elle. Aucun de ses muscles ne répondait, et son cerveau refusait de traiter les informations portées par ses yeux écarquillés comme de soucoupes.
Elle sentit vaguement une pression de main sur son épaule, qui s'évapora vite. Edgar passa devant elle, la mine figée. Et s'approcha des corps tordus de douleur.
Nokomis inspira, puis manqua de vomir à l'odeur âcre qui se dégageait déjà.
Elle fit quelques pas et son regard glissa de corps en corps. Femmes et hommes, de tout âge, tordu au sol en une expression corporelle de pure douleur, certains recroquevillés comme pour cacher l'horrible corps qui les affublait désormais.
Car ces pantins désarticulés, maintenant gris comme la pierre, se bardaient de boursoufflures et de furoncles. Les visages tuméfiés, croulant sous les pustules, s'offraient un dernier cri de honte et de désespoir.
« Que...qu'est-ce qu'il s'est passé ? balbutia l'Ojibwée.
— Glam dicinn. La satire du blâme et de la laideur. Une puissante malédiction.
— Qui a fait ça ?
— Un cainte, et pas un mauvais. Très sûrement un Ollam, le plus haut placé dans la hiérarchie des druides.
— Mais pourquoi ? frissonna la jeune fille. Pourquoi faire ça aux siens ?
— Je n'en ai aucune idée, mais la glam dicinn ne peut être lancé que si le cainte en question s'est senti trahi. Je vais capturer un peu d'émanations de la malédiction dans l'obsidienne, dit-il en approchant l'obsidienne d'un corps.
— César aurait dû le sentir ? C'est une malédiction, non ?
— Oui, mais contrairement aux sorts, les malédictions tirent leur puissance des sentiments, bien plus que de la magie elle-même. Il aura du mal à identifier la trace magique du lanceur, sans émanations prises directement du lieu. »
Nokomis souffla et posa ses mains sur ses hanches. Elle déglutit et se mordit la lèvre.
« Il y avait quoi dans la maison ? »
Son ton trahissait son appréhension. En réalité, elle se doutait bien de ce qui s'y trouvait, mais elle voulait en être sûre.
« Réponds ! s'énerva-t-elle devant le regard vide de son père.
— Des jeunes enfants, et des bébés. »
La Passeuse serra les lèvres et hocha la tête. Elle ne répondit pas et se contenta de faire quelques pas en regardant autour d'elle. Puis, la brune s'arrêta en voyant l'autel au fonds de la pièce.
« À qui est dédié ce temple ?
— À Lug, il est le dieu principal de Tugan.
— Qui est celui de Winan ?
— Dagna. Mais les deux sanctuaires druidiques vénèrent aussi les autres divinités celtes. Et ils remercient aussi les esprits qui gardent les lieux.
— Je vois. »
La jeune fille faisait face à son père, qui se trouvait dos à la porte. La lumière du soleil s'infiltrait en un rayon doux sur le carnage des corps. Le ventre de Nokomis était contracté, et son cœur battait lourdement. Dans la fureur de l'instant en Australie, elle n'avait pas eu le temps de réaliser la situation. Des gens mourraient. Et là, ça lui revenait de plein fouet. Des femmes, des hommes, des enfants mourraient.
Elle sentit une larme perler au coin de son œil, et croisa les bras sur sa poitrine. Elle baissa la tête pour échapper au regard de son père qui approchait.
Edgar la prit dans ses bras et lui tapota le dos tandis que les larmes de sa fille coulaient dans le sien.
Nokomis haletait. Sa vue se brouillait dans les larmes, et les douces paroles de son père se perdaient dans ses reniflements. Un lourd poids se déchargeait de sa poitrine. Alors qu'elle commençait à se calmer. Son cœur s'arrêta net.
Dans la lumière de la porte se dessinait une silhouette féminine qui avançait d'un pas boiteux.
La Passeuse de détacha lentement de son père.
La forme n'avait de féminine que la silhouette.
Si la tête évoquait celle d'une femme, c'était celle d'une femme momifiée depuis bien longtemps. Et dont la peau fusionnait avec les ossements du crâne. Elle se couronnait d'une plume irisée de bleu, de jaune, de blanc et de rouge. Rouge qui faisait écho au rouge sang de sa peau.
Sa démarche chaloupée s'expliquait par la rigidité de ses macabres jambes, gênée à moitié par une tunique blanche qui s'ornait d'une ceinture couverte de globes oculaires.
Devant la mine pétrifiée de sa fille, Edgar se retourna lentement. Il n'en avait pas envie, car il savait qu'il n'allait rien voir de bon. Et son regard se posa sur la créature qui avançait.
Il lâcha dans un soupir d'exaspération :
« J'en ai marre. »
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Hey !!
J'espère que la lecture a été bonne !
Le chapitre a été un peu long à sortir en raison de l'intrigue, je devais vérifier que tout s'emboitait bien. Vous en saurez plus dans le prochain chapitre....
Alors, alors, une petite idée sur ce qu'est la madamepassihumaine ? Si vous trouvez, vous êtes très forts ! (Ou alors vous faites beaucoup de recherches.... ;) )
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci de votre lecture jusqu'ici !!! :D
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