19- Fête des voisins
La figure rousse de leur voisine leur adressait un sourire contrit.
« Tiens ! Pocahontas ! »
La voix railleuse fit dresser les poils de Nokomis. Elle tourna sa tête lentement vers sa gauche, espérant avoir halluciné. Mais non. Le dénommé Darren se levait d'un sourire narquois tout en piétinant le corps inanimé du mannequin.
« Vous êtes des mages ? Ou des sorciers ? grinça Nokomis.
— Des mages, souffla Darren d'une voix pâteuse. Réfléchie deux secondes, si on avait été des sorciers, on ne se serait pas pointé devant des Passeurs comme ça.
— Darren ! sermonna Moira. Pas la peine d'être si rude. Je suppose que vous allez vouloir des explications, reprit-elle en fixant Edgar qui avançait la mine en colère.
— Que diable se passe-t-il ici ? vociféra-t-il.
— Ce que vous n'êtes pas capable de faire, ricana Darren, votre boulot. »
Nokomis écarquilla les yeux et fixa son père d'un œil inquiet. S'il était adorable avec elle, la jeune fille savait très bien que son père n'aimait pas plus que cela les gens.
« D'où je viens, jeune homme, fulmina Edgar, les gamins se taisent lorsque les adultes parlent s'ils ne veulent pas recevoir une paire de claques. Alors, tenez votre langue. »
La Passeuse nota la mine surprise de Darren qui se renfrogna aussi sec et le petit sourire en coin de la rousse.
Edgar croisa les bras et darda son regard vers la brume qui charriait le miroir.
« Vous n'êtes pas une mage, je me trompe Moira ?
— Non. »
Nokomis resta bouche bée. Comment pouvait-il savoir ?
Edgar reprit, comme lisant dans les pensées de sa fille.
« J'ai rencontré suffisamment de mages et de sorciers pour savoir à quoi ressemble leur magie, et leur comportement aussi. En général, arrogant, lâcha-t-il en fusillant Darren du regard. Je dois dire que je n'ai rencontré qu'une seule fois une créature de votre espèce, mais votre magie est reconnaissable entre toutes. Néanmoins, cela fait des siècles que votre peuple n'a pas foulé aussi ouvertement la Terre, alors, que faites-vous ici, Fée ? »
Une lueur malicieuse navigua dans le regard gris de la femme.
« Bravo, Passeur, vous avez l'œil. Je suis simplement ici pour retrouver ce qui nous a été volé.
— Volé par le mannequin, je suppose vu le plaquage qu'il a reçu ? »
Moira se contenta de sourire.
« J'aimerais dire que ceci ne vous concerne pas, mais les Passeurs sont si prompts à fouiner dans les affaires des autres.
— Si la protection de la Terre rentre en jeu, alors oui.
— Je vous rassure, la planète ne risque rien. »
Edgar la fixa pensivement, elle n'était donc pas au courant pour les dieux.
« Très bien, mais je pense que nos intérêts convergent, il me semble, sinon nous ne serions pas réunis ici ? »
La Fée soupira.
« Nous sommes effectivement à la recherche du même voleur, il me semble.
— Le mannequin ?
— Oui, confirma Moira. Enfin, non.
— Il va falloir se décider.
— Le mannequin n'est que l'outil. Le voleur est ailleurs.
— Pardon ?
— Le voleur est un sorcier, qui contrôle les objets inanimés comme les mannequins pour commettre ses vols. »
Edgar plissa les yeux. Mais qu'est-ce que c'était encore que ça ?
« Un voleur qui manipule des mannequins pour commettre ses crimes ?
— Vous l'avez bien vu courir, non ? s'agaça Moira.
— Certes abdiqua Edgar en se grattant la tête. Il a une identité ce voleur ?
— Juste un surnom, le Marionnettiste. »
Edgar se contenta d'esquisser un sourire, bon choix de surnom.
« Mais oui ! s'exclama Nokomis. Le voleur en Russie. Il avait une démarche rigide et était grimé de la tête aux pieds, c'était pour cacher le mannequin ! C'est aussi pourquoi ne sentait rien, car il n'était pas humain. »
Elle se tapa la main sur le front et reprit.
« La remise ! Le fourbe ! La fenêtre était ouverte pour me faire croire qu'il s'était évadé, mais le voleur était toujours là, parmi les mannequins. »
Elle se mordit la lèvre d'un air rageur, le saligaud avait du l'observer tout en se fauchant de sa tête. Elle fixa le mannequin au sol d'un œil mauvais. Puis questionna d'un air méfiant.
« Le mannequin ne bouge pas ?
— Non, répliqua Darren d'un ton bourru. Il doit être désactivé ou un truc comme ça.
— Ou alors le voleur ne le fait pas bouger, mais s'il peut le faire bouger, il peut peut-être aussi nous écouter...
— C'est vrai, renchérit Moira. Nous devrions le ramener chez nous.
— Mais il y avait aussi des marionnettes dans la salle.
— Allons au Manoir, proposa Edgar. C'est l'endroit le plus sûr qui soit. Nous pourrons continuer cette discussion plus au calme, et démêler toute l'histoire. Si le mannequin est actif, les barrières du Manoir le désactiveront le temps de le placer en lieu sûr.»
Moira hocha de la tête.
« Besoin d'un taxi ? proposa Edgar en tendant sa main. Je sais que la téléportation peut-être compliquée. »
Moira attrapa le miroir et la main d'Edgar. Et Nokomis dans un soupire difficilement retenu, s'avança vers Darren et le mannequin pour les prendre.
Une fois matérialisés dans l'Atelier, Nokomis et Darren se lâchèrent vivement la main. La Passeuse grogna quand elle vit le blond s'essuyer la main sur son sweat.
« Tiens, de la compagnie, s'exclama Néfertari en les voyant. »
Edgar nota la crispation de la main de Moira. S'il avait pu identifier facilement Moira, Néfertari restait plus compliquée à cerner. Mais il était presque sûr d'avoir trouvé.
« Où est César ?
— Ici, fit la voix rauque en pénétrant dans la pièce.
— Situation de possession d'objet, enchaîna Edgar en pointant du doigt le mannequin. Et nous avons le miroir !
— Je m'en occupe.
— J'peux m'en occuper, répliqua froidement Darren. Pas besoin d'un n...
— Aveugle ? suggéra César d'un tom calme.
— Ouais...
— Je préfère m'en occuper.»
Darren se poussa dans un reniflement hautain.
« Je suppose que ce charmant bambin n'est pas de votre famille, demanda Edgar au bord de l'explosion.
— Non, c'est mon apprenti. Et en tant qu'apprenti, il doit apprendre à faire preuve de respect envers les autres. »
L'intéressé haussa les épaules et jeta un regard de dégout à César qui sortait, puis posa son regard sur Néfertari, il leva les yeux au ciel.
Nokomis se contenta de croiser les bras et fit les gros yeux à Néfertari qui haussa les épaules en secouant la tête. La Passeuse ignorait d'où sortait le mage, mais la tolérance y semblait inexistante.
« Bon, reprit Edgar en ignorant le blond. Quand et comment ceci a commencé ?
— Il y a un an, la Fleur d'Engerfell a été volée au sein même du palais. C'est-elle qui permet à nos jardinières de faire naître les nouvelles Fées. Sans elle, notre peuple est voué à ne jamais se renouveler.
— Les fées naissent dans des fleurs ? articula Nokomis, incrédule.
— Bien sûr, fit Moira sur le ton de l'évidence. Lorsque la Fleur d'Engerfell pollinise, ses pollens sont portés par Ïlliandsa, le vent du Nord, jusqu'à Ouasparae, le champ de la Vie. Là, les pollens se posent sur les fleurs, et donnent naissance aux Fées. »
La Passeuse resta stupéfaite.
« Mais comment ça marche ? Je veux dire biologiquement ?
— Je ne pense pas que ce soit le moment, lui rappela son père.
— Mmmm... Oui... »
Nokomis mit quelques secondes avant de se raccrocher à la discussion qui continuait.
« Il est assez simple de venir au royaume des fées, à peu près n'importe qui avec un peu de magie peut passer les portails. Nous ne surveillons pas spécialement les passages, les esprits et dieux sont libres de venir, et comme nous n'avons rien qui pourrait attirer leur convoitise.
— Oui, mais les humains, eux, ont le don pour vouloir ce qui ne leur appartient pas et qui ne leur sert même pas, souffla Edgar. La Fleur d'Engerfell, pour un collectionneur, c'est une sacrée pièce.
— Exact, affirma Moira, mais cela va tuer notre peuple. La reine m'a chargée de retrouver le voleur. J'ai suivi la trace des derniers passages, et j'ai pisté les signatures magiques. Comme aucun esprit malin n'était venu, je me suis concentrée sur la signature humaine qui a permis d'ouvrir le portail. Malheureusement pour moi, elle n'a réapparu qu'au bout de trois mois, dans un dépôt ferroviaire d'Houston, au Texas. Là, je suis tombée sur un échange entre le voleur et un client, et aussi sur Darren, dit-elle en un petit sourire. Avec l'effet de surprise, j'ai pu attraper le voleur, mais il ne s'agissait que d'un mannequin... Depuis lors, je traque toutes les apparitions de sa signature magique. La dernière grosse fut celle de Paris...
— Mais il n'a rien volé, là-bas, affirma Edgar.
— Je sais, nous avons fait le tour avant votre arrivée... Mais je pense qu'il voulait simplement voir si on le suivait. Il a dû être surpris en vous voyant à notre suite.
— Le trou ! s'exclama Nokomis. Il y avait une sorte de trou, comme si une personne de petite taille s'y était assise. Sûrement une marionnette ! »
Nokomis se mordit encore la lèvre, cette fois jusqu'au sang. Elle n'aimait pas être prise pour une quiche. Ce salaud de voleur s'amusait à les faire tourner en bourrique, mais maintenant que son petit tour de passe-passe venait de s'estomper, il perdait son avantage.
« Mais pourquoi nous avoir attirés en Allemagne ?
— Aucune idée, Nokomis, confessa Moira. »
Nokomis se plongea dans ses pensées, à la recherche d'un sens à tout cela.
« Bon, reprit Edgar. Je suppose que votre installation en face de chez nous n'était pas du pur hasard.
— Euh... Non, comme nous vous avons repérés en même temps que le Marionnettiste, nous avons voulu rester près de vous, au cas où vous le capturiez.
— Je vois, souffla Edgar. Petite question pour la route, vous y étiez aussi en Russie ?
— Oui, mais nous sommes arrivés trop tard. Le voleur venait de commettre son forfait, et de se faire courser pas Nokomis. »
Le Passeur se gratta le nez, pensif.
« Vous n'avez aucun indice sur son identité ?
— Aucun, j'ai étudié le premier mannequin, mais je n'ai rien trouvé.
— Rien ? s'étonna Edgar. Pas même un sceau ? Une formule sur le bois ?
— Rien. Je ne sais pas comment il s'y prend. Mais celui que j'ai pu avoir, était, disons un peu abîmé, dit-elle en fixant d'un regard lourd Darren. J'attends de pouvoir étudier celui que nous avons capturé pour en savoir plus.
— Nous allons faire ça, oui. Le voleur est aussi impliqué dans l'une de nos... quêtes.
— Vous êtes à la poursuite d'objets divins aztèques ?
— Oui, nous sommes dans une période un peu vide, alors, nous remplissons les collections pour qu'elles ne tombent pas en de mauvaises mains, répliqua Edgar d'un ton assuré.
— Je v...
— Guiche Manitou ! hurla Nokomis. »
La Passeuse piqua un sprint hors de l'Atelier, laissant en plan le quatuor bouche bée.
Elle détala dans le couloir à la recherche de la réserve des objets magiques, et se planta devant une porte de bois dont le devant s'ornait d'un écriteau et d'un stylo pendu à une cordelette. Elle saisit la plume et commença à agiter ses mains devant en réfléchissant à toute vitesse.
« Rhaaa ! Zut ! Zut ! Lot poupées, marqua-t-elle. » Un craquement retentit de derrière la porte.
« Allez ! Allez ! Vite !
— Nokomis ? Qu'est-ce qui se passe, demanda Edgar en s'approchant d'elle, suivi des deux mages et de l'Égyptienne.
— On s'est fait rouler dans la farine par ce fourbe articulé ! ragea-t-elle.
— Calme-toi, et explique.
— Les poupées papa !
— Les poupées ? »
Le cœur d'Edgar fit un bond dans sa poitrine.
« Ah le fourbe ! s'exclama-t-il ! Le fourbe ! Ouvre-toi, la porte ! »
Comme pour faire durer leur supplice, la porte s'ouvrit d'un grincement lent. Edgar jura et saisit le bord pour l'ouvrir violemment.
Le père et la fille se précipitèrent d'un seul mouvement dans la petite pièce rectangulaire où trônait un coffre en bois semi-ouvert.
« Non ! »
Nokomis ouvrit le couvercle d'un coup sec. Les jouets pour enfants et les poupées se tenaient serrés en rang d'oignon, leur regard vide perdu dans le bois.
« Il y en avait combien ? demanda Nokomis.
— Je ne sais pas, je ne les ai pas comptés ! ragea Edgar en se mordant un doigt. Je le déteste, je le déteste ! »
Néfertari s'approcha en faisant un geste calme de la main.
« Il n'a pas pu les faire sortir, non ? Les protections magiques du Manoir empêchent la magie qu'elle ne reconnait, non.
— Pas vraiment, soupira Edgar le cœur battant. Ses défenses empêchent les gens et objets magiques non reconnus de pénétrer dans le bâtiment. Mais, là, c'est nous qui les avons rapportés... Donc, les défenses nous ont laissés passer.
— Mais, fit Nokomis avec espoir, aucun objet magique ne peut sortir seul de la pièce, elle est immunisée !
— Sauf, que les mannequins ne dégagent aucune magie, fit Moira d'un ton gêné.
— C'est si simple que ça de sortir de cette pièce ? demanda Darren.
— Suffit d'appuyer sur la poignée pour revenir au couloir, marmonna Nokomis. Ces pièces-ci n'ont pas été conçues pour des objets de niveaux de sécurité élevée. »
Edgar et Nokomis se fixèrent. Tous deux contemplaient l'horrible fatalité qui venait de s'abattre sur eux.
« Nous nous sommes fait infiltrer. »
***************************************************************************************************
Hey !!
J'espère que le chapitre vous a plu !
Enfin des explications quant à l'étrange début ;) Un remake un peu flippant de Toy Sory s'annonce ? Et bien... Un peu...
César va devoir gérer une grosse crise au Manoir, tandis que les Passeurs vont devoir se bouger s'ils veulent sauver le monde.
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci de votre lecture jusqu'ici !!! :D
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top