17- Vieil ami
Nokomis grommelait encore dans son lit. Le cœur lourd et la poitrine serrée, elle se sentait dépitée et triste. Ses grands-parents détestaient Edgar, et inversement. Coincée au milieu de la haine et des rancœurs, elle avait toujours cherché à les réconcilier. Mais certaines plaies ne se refermeront jamais.
Elle se sentait impuissante, mais conservait toujours l'espoir d'un rapprochement. Même si celui-ci volait souvent en éclats, l'ojibwée tentait toujours de recoller les morceaux.
Elle se leva finalement et ramassa le coussin qu'elle avait jeté à son père. Elle le balança sur son lit, et sortit de sa chambre d'un pas mou. Elle était frigorifiée et fatiguée. La terreur se calmait peu à peu dans son cœur, mais son corps accusait encore le coup.
Nokomis ignorait l'heure, mais voulait se réconforter dans un bon gâteau et chocolat chaud.
Arrivée dans la cuisine, elle fouilla les placards et constata dans un gémissement plaintif, la rupture de stock des biscuits nappés de chocolat. Elle resta un instant immobile, et regarda sa montre d'un œil las. L'épicerie devait être encore ouverte.
Sans prendre le temps de se changer, elle piqua dans le bocal à petites commissions de la monnaie et sortit de la maison.
Elle jeta un coup d'œil à la maison de Moira, mais tous les volets étaient fermés. Elle descendit la rue et se perdit dans les rues du voisinage. Le froid hivernal guettait la ville, et les habitants qui marchaient à toute allure se couvraient en conséquence. Le tramway grinçait comme à son habitude dans la rue, et les moteurs des voitures usées aux cotes longues de la ville ronronnaient sur la route. Au loin, les gratte-ciel se confondaient avec le brouillard habituel qui couvrait la ville et la baie.
Nokomis laissa le vent s'engouffrer dans ses vêtements, et navigua entre les feuilles mortes et les flyers pour le prochain match des Niners.
L'esprit dans la brume, elle marchait mécaniquement.
Elle poussa la porte d'une épicerie au coin d'une rue passante et chercha de quoi contenter son estomac. Alors qu'elle saisissait un paquet, une voix d'éther lui souffla à l'oreille.
« Nokomis. »
La Passeuse frissonna et regarda autour d'elle. Rien, à part le caissier qui la regardait d'un air suspicieux. Elle paya son paquet avant que le propriétaire ne lui fasse une réflexion et quitta le magasin. À peine sortie, la voix retentir de nouveau, et un bruit de poubelle que l'on fait tomber émergea d'une ruelle derrière la bâtisse.
L'ojibwée serra son paquet sur sa poitrine et plissa les yeux. Ça sentait le mauvais tour dans le style d'un film d'horreur.
Elle se dirigea néanmoins vers la source du bruit, sa montre lui assurant une certaine sécurité.
Dans la ruelle taguée où se battaient en duel quelques poubelles pleines et des excréments de chiens, rien ne semblait vivant.
« Nokomis. »
Elle fit un bon en voyant la figure verte de l'esprit apparaître devant elle.
« Mais vous êtes malades ! s'exclama-t-elle.
— Oh, pour si peu ! fit l'esprit en levant ses bras fantomatiques. »
Nokomis écarquilla les yeux et le menaça de son doigt tendu.
« Je vous déteste !
— Choupette... grinça l'esprit. »
Elle pinça les lèvres et se retourna pour quitter les lieux.
« Hey ! Grand-Mère, bravo pour ton épreuve ! »
Nokomis s'arrêta net.
« Comment savez-vous pour mon prénom ?
— Je sais beaucoup de choses, poussin. railla l'esprit.
— Vous êtes juste venu m'embêter, non ? siffla la jeune femme. Vous n'avez que ça à faire ?
— Oui. »
L'esprit s'éleva un peu.
« Je dois aussi dire que ça fait plaisir de te revoir, après tout ce temps.
— Qui êtes-vous ?
— Un vieil ami. »
Nokomis percevait sans mal la pointe de raillerie dans la voix de l'esprit.
« Vous devez sérieusement avoir une vie intérieure triste et morne pour déranger autant les gens, persiffla-t-elle.
— Moi qui voulais juste savoir comment tu allais... Très bien, la prochaine fois je ferai comme si tu n'existais pas ! s'indigna faussement l'esprit en posant une main sur sa poitrine.
— Laissez-moi maintenant. »
Elle tourna les talons pour fuir le lieu, mais la voix de l'esprit la stoppa encore.
« Baamaapii miinwaa kaawaabmin. »
Une vague de chaleur déferla dans son corps, Nokomis se retourna. L'esprit n'était plus là.
Les sens en alertes, elle courut jusqu'au Manoir.
Elle ouvrit avec fracas les portes de l'Atelier, faisant sursauter Néfertari qui lisait.
« Qui est cet esprit ?
— Je ne peux pas te le dire, fit l'Égyptienne en refermant d'un coup sec son ouvrage. »
Nokomis lui fit face en croisant les bras.
« Tu peux faire ça autant que tu veux, je ne dirai rien. s'amusa Néfertari. Crois-moi, j'ai connu des plus coriaces que toi. »
La Passeuse s'assit en silence, ouvrit sa boîte de gâteaux et commença à les manger bruyamment tout en la fixant.
« Crois-moi Nokomis, je peux passer une éternité à supporter ça. »
L'ojibwée souffla de mécontentement et détourna le visage. Ses yeux se posèrent sur la balle Xolotl.
« César n'est toujours pas remonté ?
— Il ne devrait pas tarder, la rassura Néfertari. Tu devrais aller voir comment il va.
— Il ne veut pas que l'on descende dans le sous-sol. Trop dangereux.
— Je vois.
— Il vous fait confiance, déclara Nokomis. »
Néfertari posa son livre sur la table et croisa les jambes.
« Effectivement.
— Pourquoi ?
— Tu poses beaucoup de questions.
— C'est comme ça que l'on apprend, plaisanta la jeune fille. »
Néfertari posa son menton sur sa main.
« Très bien, si vous ne voulez pas parler de vous... Quel est le prochain objet ?
— Le miroir de Tezcatlipoca.
— Il se trouve où ?
— Chez un sorcier.
— Génial... souffla la Passeuse qui n'aimait pas particulièrement les sorciers. Je me demande si Elizabeth le connait.
— Surement, il est plutôt connu dans le milieu, c'est Miguel Herrera. Un vrai collectionneur, s'il pouvait mettre la main sur ce qui se trouve ici, il ne s'en priverait pas.
— Vous connaissez beaucoup de monde j'ai l'impression, indiqua Nokomis d'un air innocent.
— Essaye autant que tu veux, je ne te dirai rien. »
Nokomis haussa les épaules et avala un biscuit.
« Nokomis ! »
La Passeuse sursauta à la voix de César venant du couloir.
« Ça devrait être interdit d'appeler les gens comme ça sans prévenir, marmonna-t-elle. Mon cœur va finir par lâcher.
— Nokomis, apporte-moi la balle. »
La jeune fille se leva et saisit l'objet magique avec précaution. Pas question de finir en viande grillée par accident.
Elle déboucha dans le couloir et constata que César ne s'y trouvait pas.
« Par ici, continua la voix. »
Nokomis suivit la voix jusqu'au fond du couloir.
« Ici. »
La Passeuse scruta les murs vides et remarqua la porte secrète qui de détachait du bois en une simple ligne en relief.
« Le sous-sol ? s'inquiéta Nokomis aux souvenirs des récits angoissants de maître Khin.
— Entre.
— Comment ?
— Pousse la porte. »
L'ojibwée posa sa main et donna une petite pression. Dans un léger clic, la porte s'ouvrit sur un escalier éclairé de bougies.
« C'est ainsi vrai. »
Nokomis fronça les sourcils au murmure presque inaudible de César. Qu'est-ce qui était vrai ?
« Entre. »
La Passeuse pénétra dans la cage et descendit les degrés tandis que la porte se referma derrière elle. La descente lui parut interminable.
Elle déboucha finalement dans la pièce.
« Oh ! »
La grande pièce circulaire éclairée de candélabres, dont les murs de pierre se couvraient d'une série d'arches aveugles, s'articulait autour d'une série de colonnades en cercle. Entre ces supports de pierre, une tempête faisait rage.
Des éclairs muets déchainaient leur rage dans un torrent de pluie en furie.
César se tenait le dos tourné à la Passeuse.
« Approche. »
Le corps crispé dans la danse de l'ombre et de la lumière de l'orage, Nokomis fit le chemin jusqu'au côté de son ami.
Nokomis souffla d'anxiété quand elle se retrouva seulement un mètre des éclairs qui tournoyaient mortellement. Elle fixa César qui posa son regard sur elle.
Elle réprima un cri de surprise à la teinte non plus blanche qui imprégnait son regard, mais à la même tourmente diluvienne.
« Tu n'as rien à craindre Nokomis, le lien est stabilisé.
— Le lien ?
— Avec la dimension qui abrite mon pouvoir déchu.
— Je croyais que tu ne pouvais pas y accéder.
— Je ne peux rien retirer de cette dimension, mais je peux y déposer plus de pouvoir, ou des objets...
— Tu vas piéger les objets à l'intérieur ? s'exclama-t-elle. Mais ils seront perdus à jam... »
Nokomis se mordit la langue.
« Perdus pour un long moment, je veux dire.
— N'est pas peur de prononcer ce mot Nokomis, j'ai accepté il y a bien longtemps le prix de mon erreur. Tel était mon choix, et je l'honore avec joie.
— Oui...
— Et s'il permet de mettre un terme à la venue du chaos, alors il est normal d'en arriver à la perte de ces objets. Ainsi fait, le voile de l'Abîme ne s'ouvrira jamais complètement. Donne-moi la balle. »
Nokomis tendit l'objet à César, et effleura la peau de sa main. À son contact une petite décharge électrique lui parcourut le corps.
Les mains en coupe et la balle posée au centre, César murmura quelque chose.
D'un coup, un éclair blanc s'échappa du cercle pour frapper la balle.
Éblouie, Nokomis se protégea les yeux de la main. Quand sa vue revint à la normale, la balle n'était plus là.
« Merci Nokomis, tu peux partir, je vais rester un instant ici, dit le Gardien pensivement. »
La jeune fille hocha la tête et quitta le sous-sol. Lorsqu'elle arriva à l'Atelier, Néfertiti lisait toujours, cette fois entourée des chats de la maison.
« Ils ont l'air de vous apprécier !
— Les chats m'ont toujours aimée, plaisanta Néfertari. »
Nokomis resta un instant les bars ballants, elle ne savait que faire. Elle n'éprouvait pas l'envie de lire ou de coudre, son envie de sucre s'était envolée. Elle était lasse.
Un long bâillement s'échappa de sa bouche. La fatigue lui prit les paupières et la tête.
Elle sortit de l'Atelier, une bonne sieste lui ferait du bien.
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Hey !
J'espère que ce chapitre vous a plu !
César se dévoile peu à peu, et les révélations ne sont pas prêt d'en finir ! En tout cas, Néfertari n'est pas prête à trahir qui elle est, mais qui sait, quelqu'un la prendra peut-être de court...
Que pensez vous de l'esprit ? Toujours aussi étrange ! Ne vous inquiétez pas, je vais vous révéler ce qu'il a dit...
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci de votre lecture !!! :D
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