15- Wiindigoowi
La Passeuse s'écroula en un spasme sur le parquet de l'Atelier. Recroquevillée en boule, elle demeurait sourde au cri de surprise de Néfertari.
« Tout va bien, tout va bien, chuchota l'Égyptienne. »
La jeune fille ne bougea pas lorsque les bras de la femme l'enveloppèrent dans une étreinte rassurante.
« Nokomis, tu vas bien ? cria Edgar en se matérialisant. »
La voix inquiète de son père calma les sanglots.
« Que s'est-il passé ? »
Nokomis laissa sa tête tomber contre le torse de son père. Elle avala un sanglot et chercha à calmer ses tremblotements.
« Qu'y a-t-il ma grande ? C'était quoi ?
— W...W...Wiin...Wiindigoowi, pleura-t-elle. »
Edgar grinça des dents et caressa les cheveux de sa fille.
« Je vais avoir deux trois mots à dire à tes grands-parents, et à ton cousin...
— Qu'a-t-elle dit ? demanda Néfertari inquiète.
— C'est un wendigo. Un monstre amérindien.
— Certes, mais sa réaction est assez extrême. Elle s'est urinée dessus... »
Edgar jeta un coup d'œil tendre à sa fille et chuchota.
« La culture ojibwée est très importante pour les grands-parents de Nokomis. Quand elle était petite, elle restait longtemps chez eux, et ils lui ont bien entendu appris leur culture. Et l'image du wendigo est capitale pour les natifs, surtout ceux du Nord. Avant même de savoir que les monstres existaient, elle était terrifiée par les récits de ses grands-parents, et quand elle a compris que cette créature cannibale était réelle, ça a empiré.
— C'est assez irrationnel comme peur. Ses grands-parents devaient la traumatiser avec ces récits pour en arriver là.
— Je parie plutôt sur son cousin, grogna Edgar, il adore la taquiner. Mais là il a généré une vraie phobie... Vous pouvez remercier votre ami. »
Néfertari haussa les épaules en une moue.
« Je ne suis pas responsable de ses idées. Il est déjà bien aimable de nous aider. »
Edgar claqua la langue de mécontentement, et souleva Nokomis qui tremblait comme une feuille.
« Je te conduis à ta chambre, prends une douche. Je te prépare un petit remontant dans la cuisine. »
Le père laissa sa fille à l'entrée de sa chambre, et redescendit dans la cuisine.
Nokomis laissa l'eau réchauffer sa peau, faisant cesser les tremblements. Néanmoins, son cœur battait toujours à vive allure. La tête dans le vague, elle sortit de la douche, se changea, puis descendit.
Elle s'affala sur une chaise, et contempla l'esprit brumeux le chocolat chaud à la crème et les gâteaux qui l'attendaient. Elle tressauta quand le bras de Néfertari se posa sur son épaule en un geste réconfortant.
La Passeuse se sentait vide. Jamais elle n'avait eu aussi peur de toute sa vie. Elle revoyait en boucle la face monstrueuse de la créature, ce qui faisait remonter les horribles histoires que lui contaient ses grands-parents, et surtout Jared, son cousin. Ce dernier n'hésitait pas à accentuer sur les proies préférées du monstre, les êtres fragiles. Fragile comme une petite Nokomis, alors âgée de six ans.
« Nokomis ?
— Mmmm...
— Bois ton café poussin, ça ira mieux. »
Elle s'exécuta sans conviction.
« Bon, reprit Edgar d'un ton calme. Il s'agit d'un wendigo.
— Wiindigoo, rectifia sa fille d'une voix pâteuse.
— Oui, Wiindigoo. Bon, il n'y a pas trente-six mille moyens de le tuer, non ?
— Il faut le brûler dans des cendres, ou faire fondre son cœur de glace.
— Ça ne va pas être pratique... Rien d'autre ?
— Balle en argent.
— Mieux ! fit Edgar en claquant ses doigts. »
Il s'assit à côté de sa fille et inspira.
« Nokomis ?
— Oui ?
— L'esprit a été clair, c'est à toi de le tuer... »
Nokomis sursauta et secoua frénétiquement la tête.
« Wiindigoowi ! Wiindigoowi !
— Eh eh, ce n'est rien, calma Edgar. Tu as déjà affronté un Leyak, un Wiindigoo ce n'est rien. »
La Passeuse lâcha un couinement et se cacha dans ses mains.
« Ils ne s'attaquent qu'à ceux qui sont faibles, toi tu es forte. Tu es une Passeuse, Nokomis, tu es forte, d'accord ? »
Nokomis ne répliqua pas. Elle se fichait bien de ce qu'elle était ou non. Le monstre la terrifiait plus que tout, elle redoutait d'être en sa présence et des frissons la prenaient rien qu'à son évocation.
« Je serai avec toi poussin, tout du long, d'accord ? »
La Passeuse secoua négativement la tête.
Edgar soupira et sortit de la pièce. Quand il revint quelques minutes plus tard, il tenait un coffret de bois mouluré. Il la posa sur la table et l'ouvrit. Un pistolet se dévoila alors.
« Les Passeurs sont prêts à toute éventualité, déclara Edgar devant la mine surprise de Néfertari. »
Il saisit l'arme et s'approcha de sa fille.
« Bon, laisse-moi t'expliquer. Tu enlèves la sécurité, tu pointes, tu tires. Simple comme bonjour.
— Je ne suis pas sûre que ça soit aussi simple, indiqua l'Égyptienne.
— Si l'argent le tue, vider le chargeur sur lui devrait suffire. Pas besoin de viser la tête ou le cœur.
— Si vous le dites...
— Nokomis ? Quand tu dis, balle en argent, tu veux spécifier un endroit ? »
L'ojibwée secoua négativement la tête.
« Alors c'est réglé. Je serai avec toi, juste à côté. D'accord ?
— Non, je ne veux pas le faire, marmonna Nokomis. »
Edgar se passa une main sur le front.
« J'enlève la sécurité, je te donne le pistolet, je t'aide à tenir l'arme, à viser, et toi tu appuies sur la détente ?
— Non.
— Bon, fit Edgar en triturant sa montre. »
D'un mouvement rapide, il saisit l'arme, et avant que sa fille puisse réagir, saisit son bras et actionna sa montre.
Les deux se matérialisèrent à l'entrée de la grotte. Edgar sentit le corps de sa fille se crisper.
« Je te déteste, s'écria-t-elle.
— Continue de hurler, tu vas l'attirer. »
Nokomis se tut. Tout son corps était en tension. Elle pouvait entendre le sang battre sous ses tempes. Sentir l'air rentrer et sortir de ses poumons. Sa gorge se contracter. La sueur perler. Ses muscles se ratatiner.
Le cliquetis de l'arme ne la fit par réagir. Ses doigts, aussi rigides que la glace, acceptèrent avec difficulté l'arme. Son bras n'avait jamais semblé aussi lourd, malgré la prise de son père.
Nokomis retint son souffle. Des pas se faisaient entendre. Lents. Rigides.
Un lourd nuage de buée s'échappa de la cavité. Un grognement l'accompagna. Bestiale. Monstrueux.
La créature émergea dans la lueur lunaire.
Une larme glissa sur la joue de l'ojibwée. Elle voulait fuir, mais ses jambes demeuraient vissées sur le sol.
Le Wiindigoo les fixait en silence.
Le bras de Nokomis trembla.
Le monstre attaqua.
Edgar hurla.
Nokomis tira.
Tout s'accéléra.
Les détonations lui percèrent les oreilles et elle trébucha en arrière sous le recul de l'arme. Elle poussa un cri de surprise quand elle percuta son père, et qu'à sa plus grande horreur, le Wiindigoo les percuta aussi.
Tous trois tombèrent avec violence. Edgar poussa un gémissement sous le poids de sa fille et de la créature, la vision cachée par la chevelure de sa progéniture.
La Passeuse se mit à pleurer à chaudes larmes en sentant la peau en putréfaction du monstre sur elle, et son haleine d'outre-tombe. La tête à seulement quelques millimètres des lèvres décharnées et des yeux sans vie de la bête.
Elle hurla, expirant tout l'air de ses poumons. Puis, dans un geste de panique, elle poussa de toutes ses forces le cadavre et sauta sur ses pieds. Elle sautilla en sanglots sur elle-même, et quand elle remarqua le pistolet toujours fixé dans sa main, elle le jeta au loin dans les fourrés.
La Passeuse actionna sa montre. À peine arrivée dans l'Atelier, elle quitta la pièce et courut dans sa chambre.
Elle entra avec fracas et se jeta sur son lit.
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Hey !!
J'espère que la lecture a été bonne !
Nokomis passe une très mauvaise nuit, et ne fait pas la fière devant le monstre. Que pensez-vous de sa réaction ?
Personnellement je l'imaginais mal braver sa peur, elle est juste humaine après tout !
Petit point précision sur le mot "wendigo", cette orthographe-ci est celle anglo-saxonne et française, l'orthographe et prononciation "wiindigoo" utilisée par Nokomis, est celle des ojibwés. ;)
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou une petite étoile, si le chapitre vous a plu, c'est toujours encourageant !
Merci de votre lecture jusqu'ici !!! :D
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