5. DÉBUT DES FESTIVITÉS

Je me dis que si la station-service explosait par accident, si je mourais sur mon lieu de travail et qu'un archéologue me découvrait, dans cent ans, sur les ruines de son chantier, il me déclarerait trésor national et je serais exposée au musée des Arts premiers.


14 juin 2014, weissach


Wilhelmina Probst est-ce que tout est prêt pour tout à l'heure ?!

Lieselotte arrête de m'appeler comme ça ! 

La brune qui vient de rentrer dans la station service pouffe devant son amie d'enfance utilisant son prénom entier et non pas sur propre surnom. Elle laisse ses prunelles trainer sur les lieux. Partout, des petits drapeaux aux couleurs nationales sont affichés et elle ne sait pas quoi en penser. Une fois de plus, le sujet faisait débat alors qu'il semblait ne pas être un problème partout ailleurs dans le monde. Mais ça Loli l'avait compris quand en deux-mille-six, ils étaient les seuls dans le pays à ne pas porter leurs couleurs dont personne ne semblaient pouvoir être fiers.

Mais ce jour-là, elle s'en moque bien de tout ça, parce que l'Allemagne semble enfin avoir une équipe pour les faire vibrer - depuis trois mois certes. Alors elle va supporter son équipe comme le font les écossais qui viennent de débarquer et chantent sans cesse Flowers of Scotland dans Munich sans sembler avoir de souci pour cela. Elle aussi veut son beau conte d'été comme cela a été le cas d'autres années, mais dont ils sont privés depuis un certain nombre d'années. De toute façon, son prénom et son nom sont des héritages faisant d'elle l'une des rares personnes en Allemagne n'ayant pas à se poser les questions sur ce que faisaient ses ancêtres des dizaines d'années plus tôt. 

Quand je saurai si c'est prêt ! 

Eh bien oui c'est prêt. Il n'y aura plus qu'à mettre le vidéoprojecteur en début de soirée. 

Parfait !

Mais aller voir du football quand Christian Streich n'est plus l'entraineur de Freiburg vaut-il encore la peine ?

La mécanicienne roule des yeux devant l'air dramatique pris par son amie. 

T'as qu'à supporter l'équipe locale Wilma ! 

J'ai un cœur Loli, et il souffre. 

Un éclat de rire éclate alors que le visage de la brune à la tête de la station-service est orné d'une immense moue. 

Tu vas t'en remettre. 

Non, comme le football allemand et la société en général ne s'en remettra pas.  

Celle qui préfère le club local depuis qu'elle est enfant sait pourtant que la seconde a en partie raison. L'arrêt de l'entraineur du club de la Forêt noire allait avoir un impact plus qu'important sur celui-ci et elle pouvait comprendre les craintes traversant Wilma. Mais elle n'a pas le temps de s'y intéresser plus longtemps, ses voitures l'attendent. 

Dramaqueen !

C'est suite à cette phrase que la garagiste disparait, laissant celle à la tête de la station service lui gérer ses bien trop nombreuses factures, comme elle le fait depuis des années, malgré son cœur un peu ébréché. De toute façon, rien ne vaut le travail pour oublier que l'entraineur au club depuis plus de vingt ans vient de le quitter. Entre deux clients et trois factures, Wilma vérifie quand même auprès des autres membres du comité des fêtes du village que tout se déroule parfaitement. Les retraités ont de plus en plus de mal à organiser des événements, mais ils dépendent entièrement de ceux qui ne sont pas bloqués au travail en journée. Il n'empêche qu'il va falloir rajeunir le comité mais le sang neuf est difficile à trouver. Elle espère pourtant que d'autres des jeunes qui sont nés ici vont finir par y revenir.  

Et avec la rénovation de l'hôtel abandonné il y a une vingtaine d'années, elle se dit que peut-être le village pourra renaître de ses cendres. Mais elle regrette le peu de choses que les lieux ont à offrir à ses résidents, quand l'unique boutique reste l'endroit à la tête duquel elle est. 

Le sourire de la gestionnaire de la station-service s'élargit quand elle arrive sur la place pour aider et qu'elle voit la population locale présente pour la soirée qu'ils ont organisée. Le match d'ouverture de l'euro à domicile est important et ils comptent bien en profiter pour rendre leur village un peu plus vivant. Alors ce vendredi-soir, tout semble parfait pour se retrouver. 

Partout autour d'elle, des maillots aux couleurs du numéro dix-huit fleurissent. La star locale rend tout le village fier depuis qu'il s'y est installé une année plus tôt, et ils espèrent tous fortement que celui qui n'était qu'un remplaçant dans une équipe reléguée l'année précédente va rester titulaire dans celle nationale tout l'été. La brune de son côté porte le onze de Chris Führich, joueur du club local, à défaut de pouvoir mettre celui d'un joueur du SC Freiburg, club de ses années étudiantes. Wilma salue ses voisins alors qu'elle les voit arriver avec leurs enfants. Elle prend ensuite place au niveau de la sono où elle gère les derniers réglages avant d'ouvrir son application de musique et d'envoyer la première. Sa playlist est prête depuis des jours pour enflammer les lieux. 

Partout autour d'eux, le village semble reprendre un peu vie alors que la population locale semble faire le déplacement pour se retrouver en cette fraiche soirée de juin. La souris gérée par Wilma traine sur un titre qu'elle évite pourtant. Et alors qu'elle ne lance pas L'Amour toujours de Gigi d'Agostino c'est son estomac qui se retourne. Parce que c'est la chanson de toutes ses soirées étudiantes dont elle est privée à cause de ce qu'une poignée de personnes dans la population en a fait. Et elle les déteste plus que jamais. À la place, elle envoie une chanson en l'honneur de Niklas Füllkrug et se met à sourire quand les paroles écrites pour l'attaquant du Borussia Dortmund résonnent sur la petite place. En haut de sa barre d'anglais, la musique de but est déjà prête et Wilma espère pouvoir faire chanter Major Tom par la foule à plusieurs reprises ce soir-là. 

J'ai trop trop hâte ! En plus y a trop de monde.

Elle adresse un immense sourire à Loli qui arrive d'un pas rapide et l'enveloppe dans ses bras pendant quelques secondes. Elle s'est changée de son éternel bleu de travail et vient prendre place à côté d'elle. Le nom du défenseur gauche est également inscrit dans son dos. Elle scanne pendant quelques secondes la foule, se demandant s'il y a réellement autant de monde que cela. Mais pour les lieux, la petite place est vraiment fort remplie, plus qu'elle ne l'a été depuis bien des années. 

Tu vois, c'est mieux que si tu étais à Munich !

Peut-être, peut-être. 

Le commentateur commence à annoncer les noms et certains sont criés plus fort que d'autres. C'est notamment le cas quand Mittelstädt résonne fortement après que Maximilian ait été énoncé. Voir un joueur de Stuttgart dans l'équipe rend immensément heureux les locaux, comme les trois autres sélectionnés dans la deuxième équipe allemande de l'année, mais pour l'instant sur le banc. 

L'ambiance est électrique alors que les premières passes se déroulent sur la pelouse. Et pour la première fois depuis des années Wilma et Loli ont l'impression de vibrer. C'est encore plus le cas quand il ne faut que dix minutes pour que le ballon s'écrase dans les cages du gardien écossais alors que toute l'Allianz Arena vibre sous les chants poignants des visiteurs reprenant en chœur leur hymne. D'un geste précis, la brune lance l'hymne de but non officielle de l'équipe nationale depuis quelques mois alors que le chaos éclate sur la place principale du village. 

Jeder weiß genau, was von ihm abhängt
Jeder ist im Stress
Doch Major Tom macht einen Scherz
Dann hebt er AB UND

VÖLLIG LOSGELÖST VON DER ERDE
SCHWEBT DAS RAUMSCHIFF VÖLLIG SCHWERELOS

L'ambiance s'est légèrement calmée alors que les présents profitent pour la première fois depuis deux-mille-seize d'un match paraissant maitrisé. La mécanicienne n'a pas souvenir d'y avoir autant cru depuis bien longtemps. Mais alors qu'elle les voit se passer parfaitement la balle, elle se dit que peut-être cet été ce serait pour eux. Elle n'est pas la seule à y croire. Ils sont nombreux à le faire depuis ce jour de mars où Wirtz et Havertz avaient crucifié les vice-champions du monde avec la manière. Mais dans un coin de son esprit, elle s'efforce de ne pas trop y croire. Elle a été bien trop déçue dernièrement pour y croire trop.

Alors qu'elle cherche à voir qui est présent du village ce soir-là, les prunelles bleutées de Loli se posent sur un brun aux cheveux bouclés qui est plus loin sur la place et parait un peu perdu. Elle le reconnait sur le champ pour l'avoir supporté pendant des années à la Mercedes-Benz Arena. Elle ne comprend pourtant pas pour quelles raisons il serait là.

Qu'est-ce que Pavard fout là ?

Un haussement d'épaules lui répond. Elle est pourtant parfaitement sûre de ce qu'elle voit. Benjamin avait été son joueur préféré pendant des années avant qu'il ne quitte le navire en train de couler. Elle comprenait pourtant son choix, il avait un niveau bien supérieur à la 2. bundesliga et n'avait certainement pas le même attachement au club que celui qui pouvait éprouver le quatorze de Cologne redescendu avec son club l'année précédente. Quand elle reconnait facilement celui qui l'accompagne comme étant son coéquipier à l'Inter Milan et ancien attaquant du Borussia, elle comprend ce qu'il se passe certainement.

Wilma, me dis pas que c'est l'Équipe de France qui inaugure la résidence ?

Elle marque un instant de pause alors que son amie semble se perdre dans ses pensées tandis qu'elle tourne son visage dans toutes les directions dans l'espoir de croiser les têtes des divers joueurs. Loli ne voit pas comment son amie aurait pu passer à côté d'une telle information alors qu'elle sait qu'elle est celle qui les a accueilli la veille.

Et que tu les as pas reconnus ?

Maintenant que tu le dis, certains visages m'avaient paru un peu familiers, mais j'avais plutôt l'impression que c'était de soirées avec Maddie.

Elle lève les yeux au ciel suite à cette réponse, se demandant comment la responsable de la station service avait pu ne pas faire le lien. 

Tu me fatigues parfois. 

Ben quoi, il n'y en a aucun qui joue à Freiburg.

Son rire éclate pour de vrai alors que devant elles, l'équipe d'Allemagne augmente son pressing sur les pauvres écossais qui ne semblent plus savoir quoi faire pour s'en débarrasser. La discussion se termine, comme les chants sur Flowers of Scotland que les supporters écossais faisaient une nouvelle fois résonner dans le stade, sur un but de leur seconde pépite et une nouvelle salve de Major Tom reprise par tous les présents. Mais Lieselotte est formelle, elle relancera cette conversation avec la brune absolument non physionomiste lui servant de meilleure amie.


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