— Mes Esprits ! Waban ! Renouvelle-toi un peu ! On le connaît par cœur ton numéro !

L'homme au couteau n'eut l'air de souffrir ni de la réflexion de son collègue, pas plus de cette lame qui lui transperçait les entrailles.

— Pollock, ce n'est pas terminé, un peu de respect pour tes confrères ! cria Efia. Chaque soir, l'un d'entre nous montre sa performance à l'équipe afin de pouvoir se conseiller les uns les autres, ajouta-t-elle pour Ophélie en l'aidant à ramasser les débris d'assiettes et de nourriture au sol, qu'elles placèrent dans la petite poubelle ramenée par la dresseuse. 

Ophélie était reconnaissante de l'aide apportée par sa nouvelle responsable. Ses gants animés ne lui étaient d'aucune utilité pour ce genre de tâche. Quant à l'écharpe, mieux valait la retenir afin qu'elle ne s'éclabousse pas de sauce vinaigrette et de tomate.

L'homme au couteau poursuivit ses prouesses en plantant une deuxième, puis une troisième lame dans ses abdominaux parfaitement dessinés. Des perles rouges dégoulinèrent de la garde des poignards. Mais cela ne représentait rien comparé aux litres de sang qu'aurait dû perdre le circassien.

— C'est un Alchimiste, expliqua Efia devant le regard médusé et coloré de bleu qu'elle pu entrevoir à travers les lunettes de sa stagiaire. Il vient de Plombor. La prochaine arche où nous faisons escale d'ailleurs. Plus haut que le Grand Nord.

Ophélie n'en crut pas ses lunettes. Comment un Alchimiste pouvait se trancher le ventre sans mettre sa vie en péril ? Elle ne voyait décidément pas le rapport. Devant son air ébahi, la Totémiste poursuivit ses explications en soupirant d'agacement. Elle devait avoir l'habitude de ce genre de réaction.

— Il y a différentes sortes d'Alchimistes. Waban est très spécial. Il ne sait pas, comme la plupart de ses semblables, transmuter le plomb en or, ou l'argent en cristal de ses mains. Non, lui c'est à l'intérieur que réside son pouvoir. Son corps transforme l'acier pour le protéger. Comme si à son contact, le métal se fluidifiait, s'incorporait à son organisme, ou fondait en lui si tu préfères.

Ophélie ne pipait mot. Elle trouvait toujours incroyable les pouvoirs familiaux qu'elle découvrait et que les descendants des Esprits de Famille avaient pu développer. Si le corps d'un homme pouvait transformer l'acier en sang et en chair, alors il y avait forcément quelqu'un, sur ce monde, qui aurait le pouvoir de la mener à Thorn.

Le numéro de l'Alchimiste terminé, chacun donna son avis, certains se contentant de remarques moqueuses ou inutiles, d'autres dispensant des conseils pratiques pour améliorer la performance.

Ophélie n'avait rien à dire. Elle avait été bluffée par les capacités de cet homme. Elle prit alors le temps de le détailler de la tête aux pieds, maintenant qu'il était immobile et écoutait ses compagnons. Il devait être aussi grand que Thorn, mais là était leur seule ressemblance. Le circassien laissait retomber sa masse de cheveux aussi noire que la nuit sur ses larges épaules. Les muscles saillants qui se dessinaient sur son torse nu étaient mis en valeur par le teint cuivré de sa peau. Son pantalon de cuir noir sur lequel étaient accrochés ça et là des morceaux de fourrure moulait ses cuisses robustes et sportives.

Ophélie détourna finalement les yeux pour aller se resservir au buffet. Puis elle prit place autour de la grande table, avec une nouvelle assiette qu'elle avait à peine remplie. Tandis qu'elle regardait avec dégoût l'unique feuille de salade qu'elle pensait pouvoir avaler, si son mal de l'air et ses images de couteaux ensanglantés le lui permettaient, quelqu'un tira la chaise à côté d'elle. Son voisin n'était autre que l'homme aux couteaux. Ses deux billes noires se plantèrent dans les lunettes d'Ophélie qui semblaient rosir autant que ses joues. Elle n'était pas souvent impressionnée.

— Alors tu es une nouvelle recrue, c'est bien ça ?

Ophélie jeta un œil vers Efia, assise de l'autre côté, en pleine discussion avec l'homme au miroir magique, avant de retourner son attention vers l'Alchimiste. Celui-ci lui tendit une main amicale qu'elle finit par serrer. Sa petite paume se fit avaler par la sienne, immense, ferme et brûlante.

— Moi c'est Waban.

Ses yeux en amande paraissaient aussi sombres que sa chevelure, mais ils étincelaient d'une lueur rieuse. Cet homme transpirait l'assurance et la joie de vivre.

— Ophélie. Je suis la nouvelle assistante d'Efia, oui.

— Oh, tu aurais pu tomber sur bien pire. Moi j'étais le souffre douleur de Yegor, le maître des charmes. Je peux te dire qu'il fallait être sacrément motivé pour rester sur ce rafiot !

— Ta performance est vraiment remarquable.

Il soupira, laissant apparaître sur son visage à la fois candide et masculin une moue de désappointement qui donnait presque envie à Ophélie de le consoler comme elle le ferait avec un petit chaton.

— Ce n'est pas l'avis des autres, pourtant.

— Eh bien pour moi qui suis nouvelle, je peux te dire que j'étais à deux doigts de crier d'horreur.

Un rire spontané creusa alors les joues de Waban de minuscules fossettes.

— Oui, j'avoue que quand tu as lâché ton assiette, j'étais plutôt fier de moi.

Il eu tout à coup un regard vers les mains d'Ophélie dont les doigts de cuir se mirent à bouger frénétiquement.

— Oh pardon... Je ne voulais pas...

— Ne t'excuse pas, c'est bien à cause de toi que j'ai fait tomber mon assiette ! Ca fait longtemps que tu fais partie de l'équipe ?

— Hmm... Ca ne fait pas loin de trois ans je crois bien. Et tu sais quoi ? C'est la première fois que je retourne chez moi !

Trois ans... Ophélie se demanda si elle avait pu le croiser au Pôle, lorsqu'elle était allée voir la Caravane avec son frère au Sable-d'Opale. Ca se jouait à peu. Elle faillit lui poser la question, mais son voisin ne lui en laissa pas le temps.

— Tu vas voir, mon arche est de loin la plus incroyable ! Mais il va falloir te couvrir. Ce n'est pas avec ça ( il porta les doigts vers l'écharpe, qui, outrée, lui donna une petite tape sur la main ). Aïe ! Ce n'est pas avec ça que tu vas te protéger du grand froid. Plombor est l'arche la plus au Nord. On nous surnomme d'ailleurs la Pointe Nord.

Encore plus froid qu'au Pôle ? Ophélie avait vraiment du mal à l'imaginer. Elle se souvint alors des milliers de coups de mouchoirs qu'elle dut essuyer sur son nez continuellement enrhumé à la Citacielle. Cette première escale allait être quelque chose.

Ils poursuivirent alors leur discussion avec légèreté, et Ophélie fut heureuse de partager un instant aussi apaisé avec cet homme. Elle se demanderait presque s'il n'était pas également Alchimiste des émotions, tant elle se sentait à l'aise à ses côtés. Cela faisait des semaines qu'elle n'avait pas ressenti une telle quiétude.

Après le repas, Waban présenta Ophélie à ses compagnons de troupe, tandis que Efia abandonna totalement sa stagiaire pour la soirée, disparaissant pour, officiellement, aller nourrir ses chimères. Mais la dresseuse était partie vers les dortoirs au bras d'un homme aux muscles aussi proéminents que ses dents aiguisées.

Grâce à l'Alchimiste, Ophélie fit la connaissance de certains circassiens qu'elle admirait déjà beaucoup lorsqu'elle était enfant. Comment oublier les airs endiablés du pianiste pneumatique ? Ou encore le pyrokinésiste qui jonglait avec des boules de foudres ? Même sans leurs costumes et artifices, ces circassiens avaient un physique tel qu'ils étaient reconnaissables dans n'importe quelle situation.

Elle put aussi rencontrer des compères qu'elle n'avait encore jamais vus, comme un Zéphyrien capable de contrôler les vents et même créer une tornade. Elle n'était certainement pas au bout de ses surprises, songea-t-elle lorsque tard dans la soirée, elle partit se coucher dans la cabine d'Efia.

*****

C'est assez calme en ce moment, histoire de poser un peu les choses...

Donc un nouveau personnage que je vous présente là 😋 Qu'en dites-vous ? Ne pourrait-il pas être une menace pour notre petit Thorn 😍?

Tiens, d'ailleurs notre intendant préféré revient prendre les manettes du prochain chapitre ❤

Dites, de quel pouvoir du monde de la PM aimeriez-vous être doté, vous ?

A la semaine prochaines ^^