22. LA CHAPELLE
Ophélie remonta ses lunettes et leva le nez vers la chapelle de glace, tandis que Waban se dressait déjà sur ses longues et robustes jambes pour descendre du traîneau et récompenser les chiens. Le bâtiment s'érigeait haut vers le ciel. Aussi blancs l'un que l'autre, leurs limites disparaissaient à travers les yeux myopes de la petite Animiste.
Entourée de conifères enneigés, ornée de subtiles sculptures, l'abbaye ressemblait à ces châteaux éphémères de glace, façonnés par des artistes aux doigts méticuleux. Frises et gargouilles s'entrelaçant, l'œuvre paraissait tellement fine, qu'Ophélie se demanda si elle ne risquait pas de s'effondrer à tout instant.
Prise d'une quinte d'éternuements, elle se moucha avant que son nez ne s'enrobe de givre. Puis de ses paumes endolories, elle s'appuya sur le bois plein d'échardes du traîneau, pour s'en extirper à son tour. Par chance, la neige s'était arrêtée de tomber et, si on cherchait bien, on pouvait même apercevoir ça et là des morceaux de bleu dans le ciel. Pour autant, elle était pressée de se réfugier à l'intérieur de la chapelle, espérant y trouver une quelconque source de chaleur.
Waban se dirigeait à grandes enjambées vers une porte à double battant, seul élément de bois du bâtiment, surmontée de voussures de glace. Ophélie avança péniblement entre les monticules de neige, ses jambes s'enfonçant jusqu'aux genoux dans la poudreuse vierge de toute trace.
Son ami la regarda avancer jusqu'à lui, avant de se décider à frapper le heurtoir en forme d'ours polaire. Le bruit percutant résonna autour d'eux alors que le silence de la neige les enveloppait. Quelques instants passèrent avant qu'une femme en longue capeline de fourrure ne les accueille. Sans un mot, elle les observa tous deux, attendant visiblement des explications de leur part.
— Bonjour, commença Waban. Nous... Nous passions par là et... Pourriez-vous nous héberger pour quelques heures, avec un repas chaud, le temps de nous remettre de notre voyage ?
La femme regarda avec insistance Ophélie avant d'esquisser un demi-sourire à l'allure moqueuse.
— Vous n'êtes pas d'ici, vous.
Ce n'était pas une question, aussi Ophélie s'abstint de toute réponse. Leur interlocutrice finit par décrocher ses prunelles de son visage frigorifié, pour ouvrir la porte en grand et les inviter à entrer.
Ophélie avança, ses bottes laissant une flaque d'eau au sol derrière chacun de ses pas. Elle prit le temps d'observer la chapelle de l'intérieur. Tout était de glace, ici aussi. Elle n'en crut pas ses lunettes, tant l'ambiance lui semblait aussi liturgique que féerique. Les voûtes sculptées sur les parois des bas-côtés, les rosaces de glace au-dessus du cœur de la chapelle, même les fenêtres étaient faites d'une fine couche de givre. Seul le bois des bancs et des cadres aux murs contrastait avec le blanc presque bleu de la pièce. On aurait pu croire que des vitraux ornementaient la rosace, au fond de la nef, tant la lumière cristalline qui s'en dégageait paraissait irréelle.
Mais ce qui lui semblait tout aussi impressionnant, était les miroirs. Des miroirs partout sur les murs, des miroirs eux aussi décorés de fioritures en leur contour, comme du lierre qui grimperait sur les parois de glace. La confrérie du Miroir ne portait pas son nom pour rien...
Ophélie fut prise d'une once de découragement. Lequel était le bon ? Sur lequel avait-elle accroché tant d'espoir ?
— Patientez ici, ordonna leur hôte avant de faire claquer et résonner ses talons en se dirigeant vers la nef, où les bancs se succédaient de chaque côté.
Waban se mit à marcher dans la pièce, les bras derrière le dos, observant les sculptures çà et là, comme un simple visiteur venu faire du tourisme. Ophélie, elle, s'approcha du premier miroir à sa portée. Elle vit son propre reflet et comprit la mine moqueuse de la femme qui les avait accueillis. Emmitouflée dans un tas informe de fourrure, on ne voyait plus qu'une partie de son visage, aux lunettes sales, aux joues aussi rouges que son bout de nez, les lèvres presque aussi bleues que la lumière qui se dégageait de l'intérieur de la chapelle. Elle se vit claquer des dents ; elle ne s'en rendait même plus compte. Oui, elle-même pouvait constater qu'elle ne ressemblait certainement pas à une habituée du coin.
— Tu sais que je ne suis jamais entré ici, entendit-elle Waban expliquer. C'est sacrément beau, dis donc ! Ils sont peut-être frappés, mais ce sont de sacrés artistes.
Ophélie ouvrit grand les yeux et lui fit signe de parler moins fort, tandis que la femme revenait avec un plateau sur lequel étaient déposés deux bols fumants. Elle ne put décrocher ses prunelles de cette source de chaleur, aussi petite fut-elle.
— Pour vous réchauffer.
Elle se précipita sur l'une des coupes. Le contact chaud sous ses gants s'intensifia doucement et elle appréciait déjà la sensation de brûlure qui se diffusait sur ses paumes glacées. Le bouillon était clair, quelques morceaux épars et non-identifiables flottant à la surface, mais peu importe. Chaleur. Est tout ce que cette soupe lui évoquait.
— Le repas sera servi dans une demi-heure. En attendant, je peux vous laisser vous reposer ici. Mais s'il vous plaît, ne touchez à rien. Vous vous doutez bien que tout est fragile.
Ophélie s'assura pour elle-même qu'elle respecterait cette condition. Il n'était pas question que sa maladresse légendaire fasse tout tomber à l'eau. Elle apporta le bol à sa bouche et laissa le liquide lui incendier la gorge. C'était douloureux, mais chaque degré supplémentaire dans son corps était le bienvenu.
Puis, les deux amis observèrent le reste de la pièce, en prenant bien soin de ne toucher à rien. Ophélie se refléta dans plusieurs miroirs, tenta d'en toucher un. Mais elle savait qu'on était trop loin de tout pour pouvoir voyager à travers. Impossible de se retrouver dans les tréfonds de Plombor, en évitant le périple dans le froid polaire...
Elle aurait voulu lire les quelques objets de bois qui se trouvaient dans la chapelle, afin de pouvoir avancer dans leurs recherches. Mais, comme à chaque fois qu'elle avançait la main dans cette intention, elle la retirait comme si elle s'était brûlée. Ce pouvoir-là, elle en avait fait cadeau à l'Envers...
Ils furent ensuite invités à rejoindre la salle de repas. Une grande pièce très sombre, de longues tablées, où des dizaines de personnes en pèlerine marron étaient déjà installées. Tous se tournèrent vers les deux étrangers, alors que leur hôte les présenta comme des visiteurs venus se reposer quelques heures avant de reprendre la route.
Ils mangèrent en silence, tandis qu'on chuchotait autour d'eux en les observant à la dérobée. On entendait le crissement des cuillères qui s'enfonçaient dans les bols de soupe, puis le grincement des fourchettes piquant les pommes de terres dans les assiettes de porcelaine, enfin le raclement des petite cuillère qui ramassait le fromage blanc dans les coupelles de céramique. L'ambiance était religieusement étrange.
À la fin du repas, un gong sonna assez fort pour heurter les tympans d'Ophélie, qui sursauta. Les membres de l'église se levèrent alors comme un seul homme, s'extrayant des bancs de façon presque automatique. Ils s'emparèrent de leurs couverts, et se mirent à marcher à reculons dans un ballet parfaitement mené, vers un passe-plat où ils déposèrent l'un après l'autre leurs vaisselles.
Ophélie et Waban ne savaient que faire. Ils se levèrent, se regardèrent, se rassirent pour se relever de nouveau. Et autour d'eux, les moines continuaient leur rituel, en partant à reculons vers la sortie dans des mouvements parfaitement synchronisés.
La femme qui les avait accueillis se dirigea vers les deux étrangers avec un sourire rassurant.
— C'est le rituel du Miroir. Après le gong, nous tentons de revivre à l'envers ce que nous avons vécu la dernière heure avant le repas. C'est un hommage à la symétrie du Miroir.
Ophélie se racla la gorge. Elle en avait vu, des bizarreries, mais celle-ci atteignait tout de même un certain degré.
— Je suis la gardienne du jour, ajouta leur interlocutrice. Je suis là pour contrôler que tout se passe bien, et gérer les petits... écarts comme vous. Pendant qu'ils poursuivent le rituel, je vais vous faire visiter les lieux.
Au grand dam d'Ophélie, elle les emmena dehors, où ils firent le tour de la chapelle.
De face, on ne pouvait se rendre compte que toute une partie du bâtiment à l'arrière était en bois. Cette partie charpentée était pourtant plus vaste que celle de glace. Ils entrèrent dans la bâtisse, passant des dortoirs aux latrines.
— Et cette pièce, au bout ? demanda Ophélie en pointant du doigt une porte par laquelle les femmes et hommes s'introduisaient, toujours en marche arrière.
— C'est la salle la plus importante. La salle du Miroir. Mais seuls les membres de la confrérie ont le droit d'y entrer.
D'une main autoritaire, elle poussa l'épaule d'Ophélie dans la direction opposée.
Je vais vous conduire dans une chambre pour vous y reposer quelques heures. Je viendrai vous chercher pour votre départ. Ne sortez pas de la chambre avant cela, sous aucun prétexte.
On les installa dans une cellule sans fenêtre, avec deux lits jumeaux, une lampe de chevet posée sur une petite table en bois, et... un pot de chambre. Quand la femme disait qu'on ne pouvait pas sortir, elle ne plaisantait pas.
Ophélie rougit à l'idée de devoir se soulager devant son ami. Elle allait devoir se retenir un bon moment.
Ils entendirent de l'animation derrière la porte de bois épais. Elle pensa que les prêtres et prêtresses rejoignaient leur chambre à leur tour. Lorsque le silence se fit, Waban se leva comme un ressort.
— Allez ! Il est temps d'aller visiter cette salle au Miroir !
Ophélie n'eut pas besoin que l'Alchimiste ne lui répète deux fois. Ils étaient là pour cette raison et c'était maintenant ou jamais.
Doucement, elle attrapa la poignée de la porte, la fit pivoter... Mais celle-ci était fermée à clé.
*****
Hola,
Vous allez bien ?
Ophélie et Waban entrent dans un endroit quelque peu étrange 😆. Elle vous inspire quoi, cette chapelle ? Une idée de la suite ?
Prenez soin de vous,
A très vite pour la suite ^^
Cheers
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