16. L'ARRIVEE

Le reste du voyage jusqu'à Plombor se fit sans extravagance particulière. Ou plutôt, pas plus que celles qu'apportaient les circassiens.

Ophélie reprit rapidement force et motivation, et vu l'enfer que lui faisait vivre sa patronne, il en fallait. L'amertume de la dresseuse se ressentait dans chaque ordre donné à sa stagiaire.

La bouffée d'air frais qu'elle trouvait en Waban lui permettait cependant de garder sa bonne humeur et ses espoirs. L'Alchimiste, en plus de lui avoir sauvé la vie, s'évertuait à la faire rire, à l'aider dans ses corvées parfois, à combler ses moments d'ennuis d'histoires et d'anecdotes vécues durant ses quelques années passées à la Caravane. Elle appréciait beaucoup la compagnie du circassien.

Ce qu'elle adorait également, c'était ces moments de pause qu'elle s'octroyait sur le pont du dirigeable. Mais depuis quelques jours, Ophélie ne pouvait plus aller se dégourdir sur la promenade et profiter de l'air frais pour limiter ses haut-le-coeur. Parce que justement, l'air était devenu très frais. Trop frais. Glacial. Invivable. A tel point que les baies vitrées de l'embarcation était couvertes d'une énorme plaque de givre qui obstruait totalement la vue vers l'extérieur. Ophélie s'inquiétait quant à la résistance de l'engin à des températures aussi extrêmes.

Alors qu'elle scrutait les vitres à travers ses lunettes bleuies, plissant les yeux à la recherche de la moindre faille, elle se retrouva nez-à-nez avec le torse de Waban.

- Je t'avais prévenue que le temps n'était pas vraiment clément par chez moi.

- J'espère juste que nous allons arriver en un seul morceau, répliqua Ophélie tandis que son souffle projetait une épaisse buée entre eux.

Même à l'intérieur, la température avait drastiquement chuté.

- Nous sommes arrivés, rassure-toi.

Ophélie sentit alors le dirigeable ralentir. Elle se concentra sur le ronronnement du moteur, le grincement des cordages qui paraissaient se dénouer de leur langueur après des journées d'ennuis et de monotonie à voguer dans des cieux trop calmes. L'allure se fît plus traînante. Jusqu'à ce que le ballon fasse du surplace.

Et qu'il descende, descende, descende. Et que tout s'assombrisse.

- Nous allons dans l'Antre, expliqua Waban. Un énorme volcan éteint qui sert de piste d'atterrissage aux dirigeables. Il fait beaucoup trop froid pour atterrir à l'extérieur.

Le plomborien précisa que le trou immense du volcan ressemblait à une gigantesque salle sans plafond que l'on avait creusée. Ses parois permettait de se protéger du blizzard continuel et du froid hostile.

Le dirigeable brinquebranla ses passagers dans tous les sens en s'arrêtant net. Chacun se rattrapa à ce qu'il pouvait pour ne pas tomber, des poignées de porte au col de chemise de son voisin. Ophélie s'accrocha au blouson de son ami, qui lui-même agrippa le bras d'un Arboriste, celui-ci étant bien agrippé au canapé immense de la salle commune.

Beaucoup de bruits, de minutes passées à patienter, et enfin ils allaient pouvoir sortir de là. Ophélie se demandait à quoi ressemblait cet endroit aux caractéristiques si particulières. Le froid qui empêchait presque toute vie à l'extérieur mêlé aux talents des Plomboriens, qu'est-ce que cela allait donner ?

Waban lui avait un peu parlé de son arche natale, de la vie confinée à l'intérieur de jour comme de nuit, été comme hiver, des murs tapissés d'or, des habitants un peu rustres parfois. Etait-ce une version du Pôle encore plus extrême ?

On ouvrit la porte de sortie du dirigeable. Ophélie observa les circassiens qui en passaient le seuil habillés de plusieurs couches de vêtements chauds et engoncés dans leurs énormes manteaux. Ils disparaissaient un à un dans ce qui ressemblait à un immense tunnel plongeant dans les ténèbres. Elle eut une pensée pour les portes de l'enfer, et espérait ne pas s'y trouver.

A son tour, elle empoigna la rampe de la passerelle, hésita un instant alors qu'une vague glaciale la gifla pour s'engouffrer ensuite sous son bonnet de laine. L'écharpe se resserra autour de son cou.

Sur les conseils de son ami plomborien, Ophélie avait revêtu pratiquement l'ensemble de sa garde robe, en plus de la pèlerine en fourrure qu'il lui avait prêté. Mais l'impression que le froid avait tout de même su s'immiscer jusqu'à ses os la fit se contracter du petit orteil au sommet du crâne.

Elle eu une pensée pour cette mer qui avait failli l'emporter. Cette mer gorgée d'aerargyrum. Elle soupira, un peu découragée. Ce n'était pas sur cette terre recouverte de glace qu'elle retrouverait l'occasion d'explorer cette piste. Elle allait certainement devoir patienter que la Caravane débarque sur une autre arche. Mais laquelle ? Ses épaules se serrèrent un peu plus au fond de la pèlerine de fourrure. Cette quête promettait d'être éprouvante. Mais elle avait au moins la certitude que Thorn l'attendrait.

Alors qu'elle quittait la dernière marche de l'escalier d'embarquement, elle leva les yeux vers le plafond de la gigantesque pièce conique. De la neige tombait par le cratère du volcan où l'on pouvait distinguer le ciel gris et lourd qui pesait au dessus de leurs têtes. Malgré cette sensation de pesanteur, cela faisait du bien d'apercevoir l'extérieur après des jours enfermés dans le dirigeable recouvert de givre. Elle se délecta de cette vue. Elle savait qu'une fois entrée dans les souterrains de Plombor, elle ne verrait plus la lumière naturelle avant de repartir d'ici.

L'ombre d'un dirigeable obstrua le cratère du volcan, et l'engin amorça à son tour sa descente, son ombre grossissant au fur et à mesure qu'il approchait du sol. C'était le troisième morceau de la troupe, celui qui contenait la plupart des roulottes.

Un grand homme au style baroque fit son apparition devant les circassiens. Il brillait plus qu'il ne vivait. Tous ses vêtements dont les boutons de rubis, de diamants et d'agates scintillaient dans la pénombre semblaient brodés d'or. Même sa cagoule paraissait tissée d'ornements luxueux. Ophélie pensa qu'il était difficile de l'écouter et de le prendre au sérieux dans cet accoutrement. L'allure de cet homme était aux antipodes de celle de Waban. Elle ne s'attendait pas à un style aussi pompeux.

- Bienvenue chère Caravane ! Comme à chaque fois que nous vous accueillons, c'est avec un immense plaisir. Je me présente pour les quelques nouvelles têtes que j'aperçois. Asgeir, adjoint bourgmestre de notre cité, pour vous servir ! La plupart d'entre vous connaissent déjà le fonctionnement de Plombor. Mais je rappelle tout de même les quelques règles de l'Antre et ses environs. Il est strictement interdit de tenter de sortir de nos murs sans guide. Tout simplement parce que passer une minute dans ce désert de glace équivaut à une mort certaine. Vous ne pouvez pas non plus aller...

Ophélie n'écoutait plus le bourgmestre, accrochant ses yeux à tout ce qui l'entourait. Dans l'obscurité, elle put se rendre compte que les parois du volcan étaient recouvertes d'une matière réfléchissante. Couleur or, couleur argent, couleur bronze, elle n'arrivait pas à le discerner, comme si tous ces métaux se mélangeaient sur les murs.

Ils empruntèrent un dédale de boyaux sombres à la suite de leur guide, où les parois de métaux précieux réverbéraient la lumière vacillante de minuscules ampoules accrochées ça et là. Ils marchèrent un long moment, et Ophélie aurait voulu profiter davantage de cette promenade pour se dégourdir les jambes. Le dirigeable avait beau être grand, marcher sur une autre surface que le plancher grinçant qui le recouvrait faisait du bien. Les cailloux roulaient sous ses chaussures, les aspérités du sol s'enfonçant dans ses semelles. Mais le froid la paralysait et tout mouvement devenait une torture. Elle pria pour que le reste de la cité soit chauffé.

- Nous sommes bientôt arrivés ! Je vous conduis à la place du marché, ajouta l'adjoint avec un regard lancé au-dessus de son épaule.

- C'est là où nous nous installons à chaque fois, chuchota Efia tout près d'Ophélie. On n'y est pas trop mal.

Ces mots à peine prononcés, un tumulte se fit entendre au loin, devenant à chaque pas supplémentaire un peu plus assourdissant. Une immense herse d'or, dont les grilles étaient parées de vitraux et de pierres chatoyantes, s'érigea devant eux. Quelques secondes d'attente, puis elle se souleva dans un grincement de poulies et d'acier pour les laisser franchir les derniers mètres d'obscurité avant d'être aveuglés par une lumière trop chaude pour être naturelle.

Le temps que les yeux d'Ophélie s'accoutument au changement, elle s'accrocha aux bruits de la foule, aux voix indistinctes s'entremêlant par-dessus le piaillement d'animaux.

Ce qu'elle vit alors la laissa sans voix.

*****

Voici une première image de Plombor... C'est comme ça que vous vous l'imagineriez ?

Bon été à tou.t.e.s ^^

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