10: Son souvenir le hantait (Charlie).

Charlie Weasley regardait le paysage, rêveur. Il était revenu dans sa contrée, là où il se sentait le mieux, sur son territoire. Il respira un grand coup l'air frais et pur si caractéristique de cette Roumanie qu'il adorait. Il se sentait en paix avec lui-même, pour la première fois depuis la fin de la guerre.

Il était heureux d'en avoir terminé avec cette guerre. Charlie détestait la violence, le combat et le sang plus que tout au monde. Mais il s'agissait de protéger sa famille, son école, ses amis. Il n'avait pas non plus pu renoncer à aider à reconstruire, même s'il fallait pour cela laisser encore plus longtemps ses chers dragons.

Voir Fred mourir, puis se confronter à la tristesse de ses parents et du reste de sa fratrie l'avait profondément ébranlé. Il savait que plus rien ne serait plus jamais pareil à présent.

À ce moment précis, Charlie se rappela des quatre galions qu'il devait à Fred. C'était bête d'y penser maintenant, mais cette réflexion le rassura. Il avait parié deux galions qu'Harry et Ginny ne sortiraient jamais ensemble, et deux galions qu'Hermione et Ron ne s'avoueraient jamais leur amour.

Plusieurs fois, en voyant ses petits si amoureux, Molly s'était inquiétée pour son aîné. Mais la solitude faisait du bien à Charlie. Il ne se voyait pas avec quelqu'un. Il s'aimait et s'épanouissait comme il était, c'est-à-dire seul.

Et il n'était pas seul, en réalité. Le vent, la nuit, les arbres, le ciel, la lune et bien sûr ses dragons, tant de personnages à qui exposer et livrer ses craintes, ses rêves, tant d'oreilles en qui il avait confiance. Il était sûr qu'aucun de ces "alliés" ne le jugerait, ou ne le décevrait. Il était sûr de les aimer pour toujours, ces partenaires, bien plus sûr que tous ceux qui se le promettaient en s'échangeant de simples bagues.

Quelques fois, il lui arrivait de ramener chez lui une jolie femme, rencontrée ici ou là. Mais dans ces moments, c'était le corps de Charlie qui parlait, et pas son cœur.
Il n'aimait pas les femmes, mais il les désirait.















Un jour pourtant, une jeune femme fit une apparition, de courte durée, dans sa vie. Il ne savait même pas son prénom, mais ce fut la première fois qu'il portait attention à de si petits détails.

Sa voix douce et suave, Charlie la rêvait encore chaque nuit.
Son odeur enivrante, Charlie pouvait encore la respirer.
La douceur de ses doigts fins sur son torse, Charlie pouvait encore la sentir.
Son sourire contre sa bouche, Charlie pouvait encore le déguster.
Ses cheveux noirs mélangés aux cheveux roux le temps d'une nuit, Charlie pouvait encore les voir.

L'image de cette femme merveilleuse s'imposait souvent à son esprit, et il se rappelait avec délice de ses yeux gris brillants de malice et d'intelligence.

C'était la seule femme qu'il désirait et qu'il aurait aimé revoir un jour.

Mais il ne la revit pas.









Charlie fronçait les sourcils en voyant le petit James Sirius, deux ans, qui courait déjà partout. Il tombait, se cognait la tête, pleurait un bon coup puis repartait, criant et riant.
Décidément, il ne comprendrait jamais les enfants.

Ginny riait de la tête étrange que faisait son grand frère, qui était vu par la famille comme l'éternel célibataire. Charlie, lui, se demandait comment ses frères et sa sœur pouvaient avoir tellement envie de ces petites énergumènes en couche-culottes, qui braillaient et pleuraient tout le temps.

Ron, qui venait d'être père, avait les traits tirés et ne dormait presque plus de la nuit, mais il avait tout de même le sourire. Il en était de même pour Hermione, qui n'arrêtait pas de vérifier que sa fille allait bien, comme si une seconde d'inattention pouvait la tuer.

Bill, lui, était un cas encore plus grave. Avec trois enfants à son actif, il semblait encore plus heureux et encore plus détendu, comme si ses enfants ne lui coûtaient rien du tout et étaient gentils. Pourtant, ses têtes blondes n'étaient en aucun cas des anges.

Et puis Percy, le sage et doux Percy, l'intellectuel, avait lui aussi cédé à cette folie. Était-ce une mode ?

Charlie, indigné, regarda Angelina, l'une de ses nombreuses belles-sœurs. Son ventre était tellement énorme qu'il se surprit à espérer qu'elle n'explose pas.

Molly, qui avait vu à quel point son fils observait attentivement les enfants, demanda avec un sourire :

-Ça ne te donne pas envie, tous ces bambins ? Tu serais un père formidable, Charlie.

-Moi ? Des enfants ?

-Oui, toi, répondit Molly, amusée.

-Pour quoi faire ?

Cette question prit la mère de court, qui comprit qu'avoir des enfants humains n'était pas dans les plans de son fils. Des bébés dragons, avec plaisir. Mais des bébés humains, beurk !

Le soir, quand Charlie rentra chez lui, le silence l'enveloppa à nouveau et il fut submergé de bonheur. Il aimait sa vie comme elle était, et il n'aurait voulu qu'elle change pour rien au monde.

Il n'avait qu'un seul regret, c'était cette fille, qu'il n'avait jamais revue. Mais c'était il y a longtemps, et elle l'avait sûrement oublié. Mais Charlie ne pouvait se résoudre à la ranger avec les autres, ses conquêtes, toutes ces femmes à lui le temps d'une nuit, mais qu'il avait vite oubliées et qui l'avaient vite oublié.











Un matin, lorsque Charlie se réveilla, il trouva une chouette portant une lettre qui l'attendait sur le perron. Le cachet était celui de Poudlard. Il déroula le parchemin et le lut attentivement. C'était le Professeur Mc Gonagall qui vantait les mérites d'un élève du nom de Jarod Smith, en dernière année.

Jarod était passionné par Les soins aux Créatures Magiques et il était fasciné par les dragons. C'était un né-moldu dont le talent rappelait au professeur les capacités à prendre soin des dragons de l'aîné Weasley. Elle lui demandait de l'accepter en stage et de le prendre sous son aile. Si Charlie acceptait, Jarod serait prêt dès la rentrée prochaine.

Charlie s'avoua qu'un assistant l'aiderait beaucoup. Il commençait à vieillir, lentement mais sûrement, tel une fleur qui fane. Petit à petit, il lui devenait de plus en plus difficile d'effectuer certaines tâches qui nécessitaient de la force, et un  homme jeune et doué de ses mains lui apporterait de la fraîcheur et du renouveau.

Il se hâta de répondre au professeur, en lui disant qu'il acceptait et se ferait une joie d'accueillir Jarod.

Mais ce qu'il ne savait pas, c'était que cette rencontre déterminante changerait sa vie.















-Tu connais cet endroit ? s'étonna Charlie.

-Ma mère habitait ici, autrefois, répondit Jarod.

-En Roumanie ?

-Oui. Elle a déménagé en Écosse, un peu après ma naissance.

-Et ton père ? demanda curieusement Charlie.

-Je n'en ai pas. Ma mère m'en parle, des fois. Elle dit qu'il était très gentil. Très beau, doux et attentionné. Mais...

Charlie l'encouragea à continuer d'un regard. Jarod et lui étaient devenus très proches, et il se sentait comme un grand frère pour lui.

-Mais elle dit qu'il a toujours multiplié les conquêtes, qu'il ne voulait pas d'une femme et encore moins d'enfants. Elle dit qu'il préférait sa liberté et que nous aurions été un poids pour lui. Elle dit cela clairement, avec nostalgie, mais sans tristesse. En réalité, je ne crois pas qu'ils aient été officiellement ensemble, ou même amoureux.
Mais ma mère, elle a toujours dit qu'elle préférait le voir loin mais heureux et libre plutôt qu'avec nous, triste et mal dans sa peau.
Il ne sait pas qu'il est père, et il ne le saura probablement jamais.

-Oh, fit Charlie, sincèrement désolé.

-Mon père est un sorcier aussi. À Gryffondor.

-Comment tu sais ?

-Quand le Choixpeau a décidé dans quelle maison je serai, il m'a dit - et cela restera à jamais gravé en moi - que j'irai à Gryffondor, comme le reste de ma famille depuis de longues années. Sauf que ma mère est une moldue.

-Huuum... Et avant de recevoir la lettre, tu savais que tu étais un sorcier ?

-Oui. J'ai développé mes premiers signes de magie très tôt. Déjà à la crèche, c'est l'endroit où les moldus laissent leurs bébés la journée, il arrivait malheur aux enfants qui étaient méchants avec moi. Ça a continué à l'école, tout le monde voulait être mon ami, car ils avaient compris que de mauvaises choses arrivaient à mes ennemis.

Charlie sourit, se remémorant ses propres souvenirs. Jarod le questionna du regard. Il adorait quand son professeur lui racontait les anecdotes de sa jeunesse.

-Mes parents ont longtemps cru que j'étais un cracmol. Je n'ai montré aucun signe de magie jusqu'à mes neuf ans. Mon petit frère Percy avait déjà fait ses preuves, et je me sentais honteux de ne pas réussir, alors que lui y arrivait.

-Comment ils ont su que tu étais un sorcier alors ? voulut savoir le jeune étudiant, fasciné par son maître.

-Je... C'est compliqué. Mon oncle a toujours su que j'étais un sorcier, malgré les dires des autres adultes. Un jour, il en a eu marre. J'étais en train de jouer près d'un grand arbre. D'un coup de baguette, il l'a déraciné. L'arbre allait tomber sur moi. Mais il est resté suspendu en l'air. Depuis ce jour, personne n'a plus jamais douté de mes capacités.

-Waouh. Déjà à l'époque tu te différenciais des autres. Tu sais, j'aimerais être comme toi plus tard. Avoir un métier passionnant, être heureux, être épanoui, ne pas avoir de remords.

Charlie eut un sourire nostalgique en pensant à cette femme qui hantait toujours ses pensées.

-Jarod, je ne l'ai jamais dit à personne mais... J'ai un regret.

-Et c'est quoi ? Je parie que ce n'est pas si important, se moqua gentiment le jeune homme.

-Si, justement. Et c'est une femme. Une femme que j'aurais dû retenir, une femme que j'aurais dû voir vieillir. Je ne connais même pas son nom mais... Je crois que j'étais amoureux d'elle. On a passé une nuit ensemble. Et une soirée. Une soirée à rire, à parler, à débattre, à danser, à chanter, à rêver. Et j'en voulais encore. Mais je n'en avais pas le courage, avoua Charlie. Tous mes repères auraient été chamboulés.

-Je... Je ne sais pas quoi dire.

-Ne dis rien. C'est beau, le silence, n'est-ce-pas ?

Charlie sourit au garçon qui partageait ses connaissances depuis bientôt deux ans. Avec le temps, ils étaient devenus bien plus qu'amis.

Jarod considérait son aîné comme un frère, voire un père. Cela lui faisait du bien, après toutes ces années.















La mère de Jarod habitait une petite maison en banlieue, près de la capitale.

Eleanor Smith avait invité son fils et Charlie, le maître adorable dont elle n'entendait que du bien.

Lorsqu'ils toquèrent à la porte, elle se pressa d'aller leur ouvrir. Elle sourit à son fils, dont les cheveux noirs de jais faisaient ressortir les yeux océan et les nombreuses tâches de rousseur. Jarod s'avança à l'intérieur de la maison de son enfance, tandis que Charlie et Eleanor se dévisageaient.

Charlie se souvenait de tout chez elle. Le creux de ses hanches, le rouge de ses joues, le noir intense de sa longue chevelure, le doux accent oriental de sa voix suave, la finesse de ses jambes, la beauté de ses mains.

Elle, elle se souvenait de ses yeux bleus plein d'envie et d'amour qui la fixaient, contredisant tout ce qu'il lui avait dit au dîner.
Elle se souvenait de sa douceur, de sa crainte de lui faire mal.
Elle se souvenait de son départ à elle, alors qu'il dormait encore.
Elle se souvenait du test de grossesse qu'elle avait acheté à la pharmacie du coin.
Elle se souvenait du bébé qu'elle avait mis au monde, leur bébé.
Elle se souvenait des premiers pas de Jarod, de son premier mot.
De la première fois qu'elle s'était aperçue qu'il était bizarre, différent des autres.
Elle se souvenait de ses difficultés à joindre les deux bouts, de tous les soirs où elle n'avait rien mangé, pour que Jarod mange à sa faim.
Elle se souvenait de cette lettre, qu'elle n'avait pas tout de suite comprise.
Elle se souvenait du quidditch, ce sport que son fils avait comme "dans le sang", et qu'il avait essayé de lui expliquer tant de fois.
Elle se souvenait de son envie d'aller en Roumanie, pour observer les dragons.
Enfin, elle se souvenait de son fils, lui parlant de son maître avec des étoiles dans les yeux.
Et elle comprit tout.
Pour la première fois, elle regrettait son choix. Elle regrettait d'avoir déménagé, elle regrettait que son fils n'ait pas de père. Une douleur puissante lui transperça la poitrine, comme si son cœur se brisait. Il se déchirait et était piétiné en mille morceaux.

Ils restèrent pétrifiés, l'un devant l'autre.

Jarod les regardait, comprenant petit à petit le lien qui les unissait.
Il vit sa mère, si forte, si dure, mais si fragile en fin de compte, fondre en sanglots dans les bras de Charlie.

Il regarda son maître, qui était finalement bien plus qu'un maître, et il vit dans ses yeux, comme à chaque fois, une tristesse infinie, sans nom. Cette tristesse, il pouvait maintenant la nommer. Elle s'appelait Eleanor.

-Je ne te quitterai plus, je te le jure, promit Charlie à la femme qui le dévorait de ses yeux plein de larmes.

Les deux se tournèrent vers Jarod, et Charlie tendit les bras vers lui.

-Viens, Jarod.

Charlie avait un fils. Il n'en avait jamais voulu, jamais ressenti le besoin. Mais Jarod était là, de chair et de sang, à le regarder de ses yeux bleus. Ils avaient les mêmes. Charlie ressentit une énorme bouffée de fierté, qui l'assaillit de tous les côtés. Il repensa à ce que lui avait dit sa mère, "tu ferais un très bon père". Il n'était plus sûr de rien à présent, si ce n'est d'une ou deux choses. Il allait continuer à transmettre sa passion à Jarod, son fils. Ils allaient continuer cette aventure ensemble, père et fils.
Et il allait s'occuper d'eux.

Eux, Eleanor et Jarod, les amours de sa vie. Si fragiles, si beaux, si forts. Il allait les aimer, corps et âme. Et ils allaient essayer de rattraper le temps perdu. De rattraper le temps que lui avaient enlevé la vie et les circonstances. Et ils y arriveraient, il en était sûr.

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