Le Régulateur

Nous n'étions désormais plus très loin du laboratoire 6, tout au plus nous faudrait-il une dizaine de minutes pour y parvenir. Prêtant attention aux sons autour de nous, et évitant précautionneusement de toucher les cristaux, nous progressions lentement dans les couloirs lugubres. Trysion se mit soudainement à se débattre, et se libéra de l'étreinte de ceux qui le portaient. Grundak lui assena une nouvelle charge électrique, mais cette dernière n'eut cette fois aucun effet. Il arracha son masque, et nous comprîmes alors qu'il ne pouvait plus être sauvé. Ses yeux bestiaux nous jaugeaient tandis que sa bouche d'où coulait le mucus jaune était garnie d'une nouvelle dentition composée de cristaux acérés. La chair au bout de ses doigts nécrosés tombait quelque peu sous la pression de cristaux qui poussaient à même les os, créant des griffes grossières mais particulièrement dangereuses. Il se jeta alors sur Holoq, qui avait levé son arme et lui mordit violemment l'épaule. Le soldat hurla tandis que Trysion était repoussé par une salve de lasers. Nous n'étions plus très loin du laboratoire 6, et si Trysion était une cause perdue, Holoq pourrait peut-être trouver du secours.

Alors que Trysion se préparait à sauter sur l'escouade, un long grognement semblant faire vibrer nos os et s'infiltrer dans nos cervraux fut poussé. Ce son était nouveau, et Trysion sembla soudainement particulièrement méfiant. Holoq, quant à lui, lâcha dans un souffle :

« Les régulateurs...»

Je me tournais vers lui sans comprendre, tandis que le grognement reprenait, toujours plus fort. Une intense vibration secouait le couloir, grandissant à chaque seconde. Les cristaux se mirent alors à crier, puis hurler, tandis qu'une douleur perçante semblait me fendre le crâne. Grundak, plus sensible encore à ce son, se mit à trembler, plaquant ses mains sur ses oreilles et se retenant de hurler. Ma vision se mit à s'obscurcir sur les bords, tandis que la sensation de présence m'envahissait toujours plus. Quelque chose était là. Le grognement gagna encore en puissance et je remarquai alors en cherchant sa provenance que du mouvement se faisait voir dans la direction d'où l'on venions. Le grognement se changea en rugissement guttural mêlé de gargouillements, donnant la sensation d'entendre le cris d'agonie de dizaines de personnes. Malgré la douleur provoquée par le constant hurlement des cristaux, je parvins à ordonner :

« Contact ! Retraite vers le laboratoire ! »

Nous nous mîmes alors à courir dans la direction opposée du mouvement, tandis que Holoq semblait paralysé par la peur et que Trysion hurlait et que son esprit réduit en pièces tentait de décider entre fuir et nous attaquer. De terrifiants cliquetis et craquements se distingaient désormais en plus du rugissement de ce qui était lancé à notre poursuite. Je remarquais que Kalixi devait assister Grundak, qui ne parvenait plus à courir, et dont le cris de douleur sortait à travers les dents serrées. Holoq, quant à lui, n'avait pas bougé. Toujours immobile au milieu du corridor, à quelques pas de Trysion, lui aussi tétanisé, il gardait les yeux rivés sur la chose qui arrivait. Cette chose qu'il avait qualifié de "régulateur". Cette chose qui terrifiait Trysion avant même sa transformation et avant même d'en avoir entendu parler. Face à cette chose, la sensation de présence qui me harcelait depuis des heures grandissait encore. Elle ne semblait plus simplement m'entourer et m'observer, mais s'infiltrait lentement dans mes pensées, mille yeux globuleux et injectés de sang rivé sur moi, sur mes gestes et mes pensées.

Cependant, il était désormais impossible de faire demi-tour et de revenir sur nos pas afin de ramener Holoq parmi nous. La chose avait déjà trop avancé, et nous étions trop loin. Le cris des cristaux nous déchiraient les tympans, toujours plus fort, tant est si bien que je commençais moi-même à les entendre et plus seulement à sentir un violent mal de tête. Une sorte de crissement suraigu provoquant un sentiment d'horreur immédiat se dégageait des cristaux, et donnait la même sensation d'impuissance et de terreur que lorsque l'on entend une personne hurler à la mort sans pouvoir rien y faire. Un voile rouge couvrait lentement ma vision, et je continuai d'avancer tant bien que mal.

J'entendis soudainement le hurlement rapidement étouffé de Holoq et ne résistai pas à l'envie de me retourner. Je levais ma lampe dans la direction du cris, mais fermait alors immédiatement les yeux avant de reprendre ma course. Une demi-seconde avait suffit pour graver dans ma mémoire cet ensemble de formes grotesques et impossibles se détachant encore davantage par l'éclat de ma lampe et les ombres nettes qu'elle projetait. Je tentais d'enfouir dans ma mémoire cette vision d'horreur, sans succès, tandis que Trysion hurlait à son tour. L'image de cette chose chimérique me revenait sans cesse devant les yeux, tandis que mon esprit tentait la de comprendre, impuissant devant l'insensé.

Lentement, tandis que nous continuions de courir, le hurlement des cristaux faiblissait doucement, et nous parvenions à retrouver le cour de nos pensées à travers la douleur. Ce que j'avais vu, cependant, ne s'en alla pas. Je me contentai de suivre l'escouade en direction du laboratoire, profondément perturbé. Mettre des mots sur l'ineffable était par définition impossible, mais pour autant mon esprit tentait désespérément de le faire, ne parvenant qu'à rendre une bouillie pitoyable et incohérente. Même le mot indescriptible semblait infiniment trop faible pour qualifier cette chose.

Finalement, nous arrivâmes devant le sas du laboratoire 6, qui était verrouillé. Kalixi prit les devant, voyant que j'étais à quelques pas derrière :

« Laboratoire 6, est-ce que vous êtes là ? »

Seul le silence lui répondit durant de longues secondes, avant qu'une voix rauque et étouffée ne demande :

« Est-ce qu'un d'entre vous a été mordu ou est entré en contact avec le mucus ? »

Nous observant les uns les autres, nous finîmes par répondre par la négative. La porte s'ouvrit alors et nous entrâmes dans le sas. Une fois tous à l'intérieur, elle se ferma derrière nous et se verrouilla. Des douches au fixées au plafond se déclenchèrent, nous projetant violemment une sorte de fumée grasse dessus, qui colla à nos vêtements et nos cheveux. Peu après, la seconde porte s'ouvrit sur une lumière éblouissante.

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