Chapitre 5

Estrid avance en titubant, les bras serrés autour de son corps pour se réchauffer, mais le froid mordant l'attaque sans relâche. Son réveil a été brutal, arrachée à l'inconscience par la morsure glaciale de l'air sur sa peau. Elle ne comprend pas comment elle a pu arriver ici, alors qu'elle était encore, il y a quelques heures, dans le sous-sol d'un magasin de chaussures perdu au milieu de la campagne, en plein été.

Quand est-ce que cette créature m'a emmenée ? songe-t-elle, son esprit se bousculant de questions confuses et inquiétantes.

Alaska ? Sibérie ?

Elle tremble si violemment qu'elle sent ses dents claquer.

Avec cette température, je ne serais pas surprise d'être au pôle Nord. Et cette foutue forêt qui n'en fini pas, je vais finir par claquer d'hypothermie.

Elle serre plus fort ses bras autour d'elle, mais sa tenue, si inadaptée, ne fait rien pour la protéger. Elle sent ses talons usés écorcher sa peau rougie par l'air glacial et trébuche dans la neige, s'étalant lourdement au sol. Une grimace de douleur déforme ses traits tandis qu'elle pose une main tremblante sur sa cheville blessée. La douleur qui s'enflamme dans sa jambe lui rappelle cruellement sa vulnérabilité dans cette forêt qui n'en finit pas.

J'aurais su que j'allais atterrir dans les Alpes, j'aurais mis une autre tenue que mon tailleur. Mais quelle drogue a-t-il utilisée pour m'emmener ici ?

Elle lève les yeux, tentant de percer les nuages épais qui couvrent le ciel. La lumière de la lune perce à peine l'obscurité, laissant la forêt plongée dans une ombre inquiétante.

Autant se faire bouffer par un ours polaire à ce train-là, mais il n'y en a pas dans les Alpes, songe-t-elle, presque en riant nerveusement de sa propre absurdité. Je n'ai jamais été très bonne copine avec la géographie.

Mais l'humour se dissipe rapidement face à la réalité glaciale. En s'aidant du tronc d'un arbre, elle se redresse, reprenant sa marche lente et douloureuse. Chaque craquement sous ses pas lui arrache un sursaut, la glace pénétrant jusqu'à ses os. L'ambiance malaisante contracte son estomac de crainte.

Après avoir avancé tant bien que mal, elle s'effondre à nouveau contre un tronc, à bout de forces, les poumons en feu. La neige froide pénètre son tailleur, chaque souffle lui brûle la gorge, et ses paupières, lourdes de fatigue, se ferment presque d'elles-mêmes. Elle n'a plus la force de bouger. Assise dans la neige, elle incline la tête contre l'écorce, le souffle rauque et coupé. Sa vision se brouille alors qu'elle lutte pour rester éveillée.

Soudain, la lumière de la lune perce à travers les nuages, révélant un paysage qui la coupe un instant de son désespoir. Juste à la lisière de la forêt, un arbre majestueux, recouvert de givre scintillant, étend ses branches au-dessus d'une source qui s'écoule paisiblement. Le drap de neige qui recouvre le sol brille sous la lumière, et, là, sous cet arbre, une silhouette se dessine. Un homme se tient droit, une main tendue vers une branche, vêtu d'une tenue étrangement élégant et imposant. Dans son état de fatigue et de confusion, Estrid voit une aide, quelqu'un qui pourrait la sortir de cet enfer.

Mobilisant ses dernières forces, elle se redresse, chaque pas lui arrachant un cri intérieur de douleur. Ses jambes vacillent sous elle, mais elle continue, un pas après l'autre, avançant vers la silhouette. Elle s'effondre finalement à quelques mètres de l'homme, tombant à genoux, trop faible pour se redresser. Elle fixe ses doigts rougis, cherchant son souffle.

C'est à cet instant qu'Anyu, l'empereur de Nevaling, se retourne. Il profitait de la sérénité de la forêt, mais la vision de cette femme, cette créature fragile, et visiblement étrangère à son monde, pique sa curiosité. Malgré l'agacement d'être ainsi interrompu dans ses pensées, il plisse les yeux, l'observant avec une méfiance glaciale. D'un ton impérieux, il ordonne :

— Shéi itneunya ? (Qui va là ?)

Estrid lève à peine les yeux, ses sens brouillés par le froid. Le ton de cet homme ne lui inspire rien de rassurant, bien au contraire, mais elle n'en comprend pas les mots. Face à son silence, Anyu pose lentement sa main sur la garde de son sabre, le regard perçant et méprisant.

— Huídá, chokin saekki ! (Répond misérable créature !) tonne-t-il, une menace à peine voilée dans la voix.

Le ton impérieux, presque inhumain, la paralyse davantage. Les membres d'Estrid, déjà tremblants de froid, ne répondent plus. Son instinct lui crie de fuir, mais son corps refuse de bouger. Le vent siffle autour d'eux, soulevant les cheveux d'argent d'Anyu qui observe cette créature misérable, prostrée à ses pieds. Sa poigne se resserre sur le manche de son sabre. Inquiet de ce qu'elle pourrait représenter, il garde son pouvoir en réserve, préférant appeler des renforts.

— Su-bi-ja ! (Garde !)

Les gardes du palais, alerté par l'appel de l'empereur, accourent, entourant Estrid en dégainant leurs épées. Les lames pointées sur elle, elle comprend sans comprendre les mots que sa situation vient de basculer dans un cauchemar encore plus grand. Elle voudrait se défendre, user de son sarcasme habituel pour se rassurer, mais les mots lui échappent, le froid et la terreur l'étouffent.

L'eunuque Seung-Li, fidèle conseiller, se précipite pour se tenir aux côtés de son empereur. Il jette un coup d'œil sur la jeune femme, ses yeux reflétant autant de méfiance que d'étonnement.

— Oh votre Hwang-Nim*, qui est cette Bu-de-nyeo* ? demande-t-il en inclinant légèrement la tête, le souffle coupé par l'inquiétude.

Le regard d'Anyu se pose brièvement sur lui, froid et indéchiffrable. Il ne sait qui elle est ni pourquoi elle est là, mais il ne tolérera aucune intrusion dans son domaine. Seung-Li déglutit, sentant la tension grandissante chez son souverain, et se tourne vers les gardes pour donner un ordre d'une voix chevrotante :

— Jueo je bu-de-nyeo, ap-ib gam-cheo ! (Emmenez cette intruse en prison !)

Deux soldats rangent leurs sabres et se saisissent des bras d'Estrid. Elle tente de se débattre, mais ses forces l'abandonnent. Elle est traînée, impuissante, confuse de la situation loin du regard d'Anyu, et tandis qu'elle disparaît de sa vue, elle sent son cœur se serrer dans sa poitrine.

Seung-Li se tourne alors vers l'empereur, attendant ses instructions. Le silence s'étire. Anyu, impassible, observe les traces laissées dans la neige. Cette créature, fragile et terrifiée, suscite en lui une étrange curiosité mêlée de mépris. Jamais il n'a rencontré une chose aussi frêle, pourtant résiliente, face à son autorité glaciale.

— Votre Hwang-Nim, quels sont vos ordres ?

Anyu laisse échapper un long soupir, songeur. Ses pensées se tournent vers l'intruse, mais un mouvement dans l'ombre attire son attention. Tapis dans la forêt, un regard perçant l'observe, une présence qu'il connaît bien. Il reconnaît l'aura oppressante sans même la voir clairement.

— Apporte un bouillon à l'étrangère et surveille-la cette nuit. Si elle survit, je m'en occuperai demain. Sinon...

Il laisse la phrase en suspens, une menace implicite.

Seung-Li s'incline, puis s'éloigne en direction de la prison, laissant l'empereur face à la silhouette émergente de son frère.

Yunlong, adossé à un arbre, les bras croisés, arbore un sourire narquois. Il fixe Anyu avec une expression provocatrice, son regard s'amusant des événements.

— Je ne pensais pas qu'elle irait aussi loin dans la forêt, lâche-t-il avec une fausse désinvolture, ignorant la froideur du regard d'Anyu.

— Je savais que tu étais derrière tout ça, réplique Anyu d'un ton glacial.

Yunlong éclate de rire, un son sarcastique qui fend l'air gelé. Il avance vers son frère, son sourire effaçant peu à peu toute légèreté de son visage. La tension s'installe entre eux comme une menace latente.

Arrivée à hauteur d'Anyu, Yunlong se penche, osant murmurer à son oreille, défiant la proximité mortelle.

— Au moins celle-là je ne l'ai pas laissé dans ton palais, cher frère.

Le souvenir de la dame de cour dans son lit dresse les poils de l'empereur.

— D'où la ramènes-tu celle-ci ? De nos ennemis ? interroge Anyu en réfléchissant à la possibilité d'une nouvelle attaque.

Yunlong s'avance vers son frère, son sourire effaçant peu à peu toute légèreté de son visage. La tension s'installe entre eux comme une menace latente.

Arrivée à hauteur d'Anyu, il se penche, osant murmurer à son oreille, défiant la proximité mortelle.

— Un parchemin défectueux équivaut un tel présent. Tu ne pourras pas la tuer, glisse-t-il, chaque mot imprégné d'une provocation retenue.

Il se recule, gardant son sérieux sur les réactions de son frère.

Le regard d'Anyu reste impassible, mais ses poings se serrent sous son Yūketsu. Les mots de Yunlong glissent dans son esprit comme un poison, mais il ne flanche pas. Il l'observe, ses yeux perçant les siens.

— Me crois-tu si impuissant ?

Yunlong hausse les épaules, un sourire en coin. Qu'elle survive ou qu'elle meure, peu lui importe, mais il sait que sa présence apportera du chaos au palais, ce qu'il trouve plutôt divertissant. Il se retourne, s'enfonçant dans la forêt tout en levant la main.

— On verra bien si elle passe la nuit, souffle-t-il avant de disparaître, laissant derrière lui un rire qui résonne comme une ombre de défi.

Anyu fixe son départ, les jointures de ses mains blanchissant sous la pression. Puis son regard se tourne vers le Gwiseul, l'arbre sacré, et il remarque un détail inattendu : un bourgeon éclot, ses pétales turquoise vibrant sous la lumière de la lune. Les nervures blanches de la fleur semblent frémir, signe étrange et rare.

Sans réfléchir, il avance, tendant la main vers la branche pour cueillir la fleur. Il la contemple un instant, pure, délicate, fragile. Une pensée de mépris traverse son esprit, et il referme brusquement ses doigts autour de la fleur, l'écrasant jusqu'à la réduire en poussière.

Qu'elle ne survive pas, songe-t-il avec froideur. Telle est la sentence qu'il destine au « présent » de son frère.



* Hwang-nim : Empereur

* Bu-de-nyeo : Femme sans vertu.

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