Chapitre 4
L'arc bandé, Anyu prépare son prochain tir sous le regard attentif de ses sujets. Autour de lui, le silence règne, écrasant, pesant. Les dames de cour, les eunuques, et même les plus hauts conseillers n'osent émettre un son. Chacun sait que ce moment n'est pas simplement un exercice d'archerie, mais une démonstration silencieuse du contrôle absolu que l'empereur exerce sur eux, sur son royaume, sur lui-même. Son hanbok bleu cristallin, large et imposant, s'étend comme une vague figée, tandis que les manches de son sous-vêtement noir s'étirent à mesure que la corde se tend sous sa poigne.
Le vent souffle. Il le sent, le calcule, et ajuste la trajectoire dans sa tête avant de libérer la corde avec une mortelle de précision. La flèche ne fend pas l'air, elle semble glisser, comme guidé par une force invisible, pour se planter exactement au centre de la cible. Pas un souffle ne se fait entendre, excepté celui du vent qui siffle entre les pierres du palais.
Le garde, posté près de la cible, lève un drapeau cyan, mais son geste est presque invisible. Il sait que son rôle n'est que de signaler l'inévitable. Aucun applaudissement ne suit, juste le murmure des tissus et du bois qui craquent sous le froid. L'entraînement rigoureux de son enfance lui a conféré cette maîtrise. Anyu, cependant, ne s'en satisfait pas. Une autre flèche est déjà prête, mais dans ses gestes précis, une lassitude s'est infiltrée. L'ennui, omniprésent, l'accompagne dans chaque mouvement.
— Seung-Li.
Le nom du conseiller est prononcé avec une froideur tranchante, comme une lame traversant l'air gelé. La flèche, qu'Anyu s'apprêtait à tirer vers la cible, pivote brutalement, pointée directement sur Seung-Li. L'effet est immédiat. Une onde de panique traverse la cour. Les dames de cour, dans leurs robes de soie, s'écroulent sur le sol en étouffant des cris, leurs mains tremblantes protégeant leurs têtes. Même les conseillers détournent les yeux, priant silencieusement que ce ne soit pas leur tour.
Seung-Li, quant à lui, reste figé. Sa robe de jade ne semble plus le protéger contre le froid mordant qui s'infiltre sous sa peau. Ses genoux tremblent malgré ses efforts pour se maintenir debout, et son visage perd toute couleur. Il sait que chaque seconde qui passe pourrait être sa dernière.
— Oui, votre seigneurie, répond-il finalement, la voix brisée par une peur qu'il ne parvient pas à dissimuler. Sa gorge est si sèche qu'il a l'impression d'étouffer sous le poids du regard glacial de l'empereur.
Anyu le fixe, son regard de cristal planté dans celui de son conseiller, transperçant son âme avec une intensité qui le fait vaciller. Aucun mot ne sort de ses lèvres, mais la question muette est claire : as-tu respecté mes ordres ? Es-tu toujours loyal ou vas-tu, toi aussi, finir par me trahir ?
Seung-Li tente de soutenir ce regard, mais il entend son cœur battre si fort dans sa poitrine que cela résonne dans ses tempes. Il déglutit avec difficulté, sachant que chaque mouvement qu'il fait est observé, pesé, jugé.
Dans un mouvement sec, Anyu infuse sa flèche de magie, une énergie froide et ancienne qui semble suinter de ses doigts. Des filaments bleus dansent autour du bois. Il se tourne vers les cibles et relâche la corde. La flèche blanche file comme un éclair, traçant derrière elle une traînée d'énergie glaciale. Elle fracasse la flèche précédente en deux et se plante au centre de la cible avec une telle force que le bois se cristallise avant d'exploser en éclats.
Seung-Li s'effondre dans la neige, sa respiration saccadée, réalisant que cette flèche aurait pu lui être destinée.
L'empereur reste en position, immobile. Ses longs cheveux argentés, aussi brillants que la lune, sont à moitié relevés en une coiffure délicate et raffinée, tandis que le reste cascade en vagues sur ses épaules. De fins rubans azur serpentent entre les mèches d'argent, ajoutant une touche céleste à son apparence. Une épingle en argent, ornée d'une fleur stylisée, retient la partie haute de ses cheveux. La fleur, finement ciselée, semble capter la lumière, projetant de subtils éclats dans l'air, presque comme si elle était vivante, vibrant d'une magie ancienne et discrète.
De longues boucles d'oreilles dansent doucement avec la brise. Composées de chaînettes argentées et de pierres bleues translucides, elles descendent gracieusement jusqu'à sa clavicule. À leurs extrémités, des perles nacrées chuchotent en silence, contrastant avec la froideur de sa peau.
— Un tir parfait, votre grandeur, intervient une voix dans son dos.
Lentement, Anyu abaisse son bras, son regard toujours fixé sur les restes de la cible cristallisée. Han-long, le censeur, s'approche de lui, suivi de près par le ministre des voyages. Anyu, d'un geste léger, dépose son arc sur le sol, un signal discret pour Seung-Li et les dames de cour de s'éclipser. Ils s'inclinent profondément avant de se retirer, soulagés de quitter la zone d'entraînement.
— Avez-vous des nouvelles ? s'adresse Anyu, sans détour, au ministre des voyages.
— Non, votre grandeur. Pas depuis son départ, répond-il en s'inclinant avec respect.
Un long soupir s'échappe des lèvres de l'empereur. Il lève les yeux vers le ciel grisonnant, annonçant la chute imminente de la neige. Ce royaume, tout comme son cœur, est perpétuellement plongé dans un hiver sans fin.
— Nous devons revoir la liste des gouverneurs et des sujets affectés par le manque de ressources suite au Handal, annonce Han-Long avec gravité. Les rapports indiquent des pertes alarmantes dans les provinces périphériques.
Le Handal, cette longue et cruelle saison de la lune froide, a frappé Nevaling avec une brutalité froide attendue. Des familles entières n'ont pas survécu. Des villages entiers sont maintenant des sépultures silencieuses sous la neige. Même les bêtes les plus robustes ont succombé à la faim et au froid. Pourtant, alors que Han-Long énumère les chiffres et les noms des disparus, l'expression d'Anyu reste impassible. Il écoute, mais ne montre ni compassion ni regret.
Moins de bouches à nourrir. Moins de suppliants, songe Anyu avec une froideur presque pragmatique. Moins de prétendantes à l'affection qui ne viendra jamais. Cette pensée, loin de l'affliger, ne fait qu'alimenter l'ennui qui semble s'infiltrer dans chaque fibre de son être. Il détourne les yeux des cieux glacés, où la neige commence à tomber à nouveau, comme un rappel constant de la stase de son royaume.
Cependant, qui voudrait s'unir à l'empereur le plus apathique de Nevaling ?
— Que les gouverneurs des régions les plus touchées envoient leurs rapports. Ceux qui auront failli à leurs devoirs seront... remplacés, conclut Anyu d'un ton sec.
Il ne daigne même pas regarder Han-Long, préférant tourner les talons, sa démarche imposante résonnant contre la cour glaciale. Chaque pas impose son aura glaciale à ceux qui croisent son chemin. Ce qui le satisfait, c'est de savoir que son piège fonctionne. Le parchemin que Yunlong a emporté devait lui causer bien des soucis. L'apparition d'une courtisane dans sa propre chambre lors de la dernière lune l'avait profondément déplu.
L'eunuque n'était qu'une simple diversion à sa véritable vengeance. Cependant, cela ne lui procure aucune satisfaction. Elle ne remplit pas ce vide.
Le silence règne dans les couloirs du palais. L'absence de Yunlong est un soulagement pour tous. Même les ministres qui suivent Anyu sentent cette trêve. Ils devinent que ce répit permet à l'empereur de méditer dans ses jardins, sans les manigances incessantes de son frère. Mais derrière cette tranquillité, chacun sait que l'ombre du guerrier plane encore sur Nevaling, et que son retour sera inévitable.
Trois lunes sombres plus tard, Anyu tire des flèches en solitaire dans la zone d'entraînement. La nuit fraîche, parsemée d'étoiles, l'aide à vider son esprit de la réunion du jour avec ses conseillers qui ne cesse de s'interposer à la moindre de ses suggestions. Une fatigue constante, que seul Seung-Li et Han-Long apaisent en défendant ses propos. Des figures d'autorité que les autres respectent d'un œil de jalousie, n'étant pas ceux que l'empereur considère à l'écoute. Une méfiance accrue, tout au plus qu'il se garde de préserver.
La brise soulève ses cheveux, tandis que le froid mordant brûle la peau de son bras dénudé hors de son Yūketsu. Ses muscles se bandent quand il tire sur la corde en visant avec précision. Or, un craquement dans la neige l'avertit d'une présence. Lentement, s'avançant fièrement devant les cibles, Yunlong apparaît. Vêtu d'un hanbok sombre, il croise ses bras sur son torse où les manches amples d'un rouge carmin se lissent dans le mouvement. Anyu garde en joue son frère qui s'est positionné entre la flèche et la cible.
— De retour Yunlong, murmure Anyu, sa voix aussi froide que la neige qui recouvre le sol.
Il n'a pas besoin de lever les yeux pour reconnaître la présence de son frère. La tension dans l'air est suffisante pour l'avertir de l'arrivée de cet être qu'il connaît trop bien.
Yunlong se tient fièrement devant lui, ses yeux gris plissés dans une expression à la fois provocatrice et calculée. Le silence entre eux est lourd de non-dits, de trahisons passées, de haines latentes. Yunlong esquisse un mauvais sourire, un rictus qui dévoile ses dents.
— Surpris, cher frère ? réplique-t-il, son ton venimeux, teinté d'une ironie palpable. Je pensais que tu aurais anticipé mon retour... après tes manigances.
L'empereur imprègne la flèche d'une énergie glaciale. La magie crépite autour du bois, une danse de lumière froide et cruelle. Yunlong aperçoit cette magie ancienne, reconnaissant immédiatement la signature de son frère. La provocation est claire, mais il ne bronche pas. Il sait d'où provient l'échec de son voyage. Obtenir les réponses auprès de l'office des voyageurs n'avait pas été un franc succès, la seule personne pouvant lui apporter la confirmation de ce coup bas ne peut être que l'homme en face de lui.
— Anyu.
D'un mouvement rapide et précis, Yunlong dégaine son sabre. Des filaments écarlates parcourent la lame, serpentant comme des éclairs de rage contenue. Il fixe son regard sur la flèche qui fuse droit vers lui. Tout se passe en une fraction de seconde. La lame s'élève dans l'air, tranchant la flèche avec
Le guerrier et l'empereur se toisent. L'un le bras le long du corps en tenant son arc, le visage impassible. L'autre le sabre en l'air, un sourire narquois et les yeux plissés. La tension règne, comme une haine depuis longtemps partagée entre les deux frères. La température autour d'eux chute encore, et le vent siffle dans les arbres, comme pour intensifier l'atmosphère glaciale qui les sépare. Les cheveux d'argent d'Anyu flottent légèrement dans la brise, tandis que Yunlong, vêtu de son hanbok sombre, reste figé dans cette posture d'attente, un prédateur prêt à bondir.
— Tu arrives à temps pour les festivités du Gwiseul, répond finalement Anyu, brisant le silence d'un ton aussi froid que les montagnes de Nevaling.
Puis, sans un mot de plus, il dépose lentement son arc sur le sol, tournant le dos à son frère comme si cette confrontation n'avait jamais eu lieu.
Yunlong reste un instant figé, observant Anyu s'éloigner. Une frustration sourde monte en lui. Son frère, toujours aussi détaché, toujours aussi insaisissable. Il serre les poings, mais se retient de dire plus. Les festivités du Gwiseul sont proches, et toute confrontation directe, ici et maintenant, ne ferait que servir les desseins d'Anyu. Mais Yunlong sait que cette rivalité n'est pas terminée, elle ne le sera jamais. Il rengaine son sabre avec un mouvement fluide, les yeux toujours rivés sur le dos de son frère, disparaissant lentement dans la brume glaciale du palais.
— Joues-tu toujours à ce jeu, frère ? murmure-t-il pour lui-même, ses lèvres s'étirant dans un sourire amer. Un léger vent soulève la neige autour de lui, mais il ne bouge pas, absorbant dans ses pensées. Cela fait presque un wol qu'il est parti, et pourtant, la cour n'a pas changé. Il n'avait pas prévu de s'absenter aussi longtemps, tout comme le défaut du parchemin de voyage qui l'avait amené à ce sous-sol poussiéreux où il a dû attendre patiemment de pouvoir s'en échapper. D'un pas rapide, il se dirige vers son palais, passant par des chemins peu fréquentés. L'annonce de son retour se répandra au lever de l'astre, lui laissant le temps de se mettre au fait des dernières actions de l'empereur.
Au Heukpung Gung, le palais du vent noir, l'eunuque An-Min s'affaire à déposer des rouleaux sur le bureau de son maître, routine qu'il a pris l'habitude d'effectuer depuis le départ de Yunlong. Il ne veut en aucun cas finir torturé par ce guerrier au cœur assoiffé de sang. Or, un vent glacial lui effleure le cou. Son corps se crispe à ce contact avant de se mettre à genoux, se prosternant humblement en se cognant la tête sur le parquet, le corps tremblant.
— Bienvenue mon seigneur.
Yunlong marche silencieusement, ne répondant pas à l'accueil de son eunuque. Il passe à ses côtés en soufflant avant de s'installer sur le coussin derrière son bureau. Il pose son coude dessus, puis sa tête sur son poing en fixant un point invisible.
An-Min garde sa position, n'osant croiser le regard de son maître. Ses épaules se crispent quand Yunlong cogne ses ongles sur le bois tout en soupirant. Et prononcer un mot est encore plus délicat, tant il ressent la pression de la colère de celui-ci.
— An-Min ? appelle Yunlong, brisant le silence de la pièce.
Celui-ci se redresse tout en gardant le dos courbé et la tête inclinée.
— Oui mon seigneur.
— Je vois que tu as entretenu le palais durant mon absence, et apporté les rapports.
Yunlong glisse son regard sur la pile de rouleaux tout en remarquant les efforts de l'eunuque.
— Fais chauffer de l'eau et remplis mon bain, j'ai besoin de me détendre, je prendrais compte des rapports plus tard, souffle-t-il.
An-Min s'incline davantage avant de s'éclipser et d'appliquer l'ordre. Yunlong passe des doigts sur ses yeux. Rentrer de ce voyage trafiqué et utiliser sa magie contre son frère après avoir grandement utilisé son énergie l'a épuisé. De plus, revoir le regard froid de l'empereur, ne dévoilant aucunement sa responsabilité dans son implication au défaut du parchemin, l'agace fortement.
Il se lève, puis se dirige vers la pièce des bains, où les dames s'affairent à verser l'eau bouillante dans la baignoire de bois. Chaque serviteur s'affaire en silence, frôlant les murs en baissant la tête au passage de Yunlong, puis tous quittent la pièce, laissant les vapeurs et les arômes imprégner le lieu. Yunlong défait son hanbok et son sous-vêtement en gardant seulement sa culotte, puis se glisse dans l'eau, savourant la chaleur mordant sa chair. Il cale son dos contre le rebord, étend ses bras de chaque côté.
Un bref instant de calme, de solitude, mais dans son monde. Un temps de se ressourcer, avant de reprendre ses activités préférer. Chasser, tuer, trahir. Or un sentiment perturbe le fil de ses pensées. Un oubli. Il cale sa tête en arrière et fixe le plafond en réfléchissant à voix haute :
— Délaisser ce monde pitoyable, affronter l'office des voyages sans succès, confronter mon frère, revenir au palais...
Il ferme les yeux en relistant ses actions depuis son retour dans sa tête, mais un élément l'échappe. La sueur perle sur son torse. La partie de sa chevelure immergée, flotte autour de lui. La brise de la nuit glaciale s'infiltre de l'espace entrouvert de la palissade en feutrine. Yunlong fouille sa mémoire, quand d'un coup, ses yeux s'ouvrent en grand. Il sort en trombe de la baignoire, se sèche rapidement avant de remettre ses vêtements en catastrophe, attraper son sabre, puis de partir sous le regard perplexe d'An-Min.
Effectivement, le guerrier a oublié une chose depuis son retour, mais il a vite fait abstraction tant que résoudre le défaut du parchemin l'a obnubilé. De plus, voir son frère n'a pas arrangé la situation. La Terrienne, rencontrée dans le sous-sol poussiéreux, doit faire face à la rude nuit de Nevaling.
Il serait dommage qu'elle ne survive pas alors que je compte bien m'amuser avec, pense Yunlong en entrant dans le bois.
Il l'avait laissé contre un arbre dès son retour. Assez loin des yeux des soldats, mais assez près de son palais pour la retrouver. Yunlong marche rapidement entre les arbres, la neige craquant sous ses pas. Sa main se pose sur l'écorce d'un arbre, la buée s'échappe de ses lèvres. La forêt est sombre. Bien que ce soit son terrain de chasse de prédilection, sa fatigue ne permet pas à sa vision nocturne de s'établir.
— Tant pis, je la retrouverai à l'aube, morte ou vive, dit-il le souffle court.
Il retourne sur ses pas, mais repère du mouvement sur sa gauche. Sa main se porte sur le manche de son sabre, tandis qu'un sourire narquois étire ses lèvres.
— Ne te cache pas petite chose, tu ne peux m'échapper.
Lentement, il se dirige vers le mouvement qui semble flotter derrière le tronc d'un arbre. Il prête l'oreille, écoutant le moindre son. Son pouce pousse sur la garde de son arme qu'il retire délicatement de fourreau. Yunlong tempère son souffle en arrivant à sa hauteur, puis se brandit son sabre vers sa victime. Seule la cape qu'il avait laissée pour la maintenir au chaud flotte dans le vide, accroché à une branche. La jeune femme n'est plus là. Or, il sait qu'elle est en vie à en juger les traces de pas désordonnés, laissé dans la neige.
— La chasse est ouverte.
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