JOUR 4 : DISCUSSION SABLEUSE (ou : un calepin pour faire pansement)
LE LENDEMAIN, pas une personne n'émergea avant onze heures sur la plage. Pas que la soirée avait terminé tard, mais aussi parce que c'était une bande de feignants. J'en profitais pour rester dans mon lit, à répondre aux quelques voeux d'anniversaires.
Mes parents étaient partis en excursion je ne savais trop où. Ils me reprochaient de ne pas passer du temps avec eux, de ne pas donner de nouvelles, de ne pas en demander et ma mère avait clairement vu que je n'étais pas rentrée tôt hier soir. Heureusement pour moi, les quelques bières que j'avais bu m'avait permis de retrouver mon chemin, même dans le noir. Les garçons avaient insisté pour m'accompagner, puisque Raphaëlle resterait chez Violette.
Raphaëlle avait fini en piteux état. La tête lui tournait et elle ne marchait plus droit, en fait elle tenait à peine debout. Victor s'était inquiété.
Mine de rien, si elle ne tenait pas à lui, elle ne pouvait lui reprocher de ne pas être attentionné.
Parce que Victor était ce genre de mec à qui la poisse collait. Il n'était pas tellement attirant physiquement, il avait une petite amie au dessus de ce qu'il pouvait espérer et se donnait les moyens pour se donner l'impression de la mériter, mais ce n'était jamais assez. Parce que Victor était un loser. Il n'y pouvait rien, il y avait des gens comme ça.
Un peu à la ramasse.
J'étais considérée comme loseuse aussi. Pendant que mes amies sortaient, grandissaient, évoluaient, je regardais pour la troisième fois Friends sans chercher à évoluer. Personne ne voulait réellement être ami avec moi. On m'appelait coincée et je ne pouvais pas vraiment protester. Parce que je n'étais pas vraiment comme eux.
Et me cacher derrière ma mère protectrice était bien confortable quand on me proposait des sorties et que je n'avais aucune envie d'y aller. Parfois, ma mère ne disait pas non. Elle disait juste que je ne pourrais pas boire. Mais j'affirmais haut et fort que ma mère ne me laissait pas y aller. Et mes amies me prenaient en pitié, me disant que je n'avais pas de chance d'avoir une mère si terrible que la mienne.
Je préférais les livres et les soirées films aux soirées avec les autres, où tous sniffaient des rails de coke jusqu'à pouvoir faire un Paris-Marseille en train de poudre blanche.
Avec la petite bande c'était différent. Je savais qu'ils ne me considéraient pas comme la petite coincée de service; ils voyaient en moi une fille plus grande qui pouvait leur faire office de grande soeur. Mais je ne me voyais pas rester debout avec eux jusqu'au petit matin.
J'enfonçais le nez dans mes lignes. L'histoire était fascinante, plongeante, si bien que je sursautais quand quelqu'un me tira dans ma bulle.
"Hey."
Siméon me faisait face avec un sourire faible, ses lunettes de soleil sur le nez.
"Alors, bien dormi ?
- Grave. C'était sympa hier."
Il s'assit à côté de moi et se pencha sur mon livre.
"Encore sur ce vieux bouquin ?
- C'est super intéressant, tu devrais essayer.
- J'suis pas branché bouquins moi.
- Ah ouais ? Et qu'est-ce qui te branches alors ? demandais-je avec un sourire.
- La psychologie. J'ai regardé des documentaires et tout et c'est fascinant d'analyser le comportement des gens."
Il avait l'air très sérieux dans ce qu'il disait. Je me relevais et coinçais mon marque-page dans mon livre afin de mieux l'écouter.
"Genre le subconscient. Ca, c'est le truc le plus fascinant dont j'ai entendu parler, c'est fou tout ce que ton cerveau fait pendant le sommeil.
- Ah, ouais, j'aime bien aussi."
Il prit du sable et le fit couler entre ses doigts.
"Et sinon, hm, t'as rompu avec Maëlys ?
- J'pense que je vais pas rompre. Elle rentre bientôt, de toute manière, on en discutera en face à face.
- Ah..."
Je ne pus m'empêcher de me sentir déçue. Comme si ce que je lui avait dit ne servait à rien.
Violette arriva, faisant s'envoler la gêne. Elle me plaqua un baiser sonore sur la joue, une bourrade à l'épaule de Siméon et sortit de sa poche un paquet de palets bretons.
"Quoi de neuf ?
- Je vais pas rompre avec Maé.
- T'es super con SimSim, romps avec elle idiot.
- Mais non ! protesta-t-il. On en parlera en vrai.
- Et tu sais comment ça va se passer. Elle va te dire "ouin SimSim tu m'a tellement manqué je t'ai rapporté ça de New-York si on couchait ensembles pour fêter nos retrouvailles" et tu vas te retrouver piégé.
- A t'entendre on croirait que Maëlys est une sorcière."
Violette fit la moue en mordant à pleines dents dans son palet breton.
"Vous faites pas un bon match, c'est tout, s'excusa-t-elle, des miettes plein le menton.
- On peut pas être pire que Victor et Raph."
Mon amie éclata d'un rire franc.
"Non, clairement, eux c'est comme des brocolis à la crème anglaise.
- Ou de la guimauve aux champignons.
- Moi je les trouvais plutôt mignons ensembles hier, protestais-je.
- Oeuf et coulis de fraise, renchérit Violette en faisant semblant de ne pas m'avoir entendu."
Ils continuèrent jusqu'à ne plus avoir d'idées. Pourtant, moi, je les trouvais plutôt mignons, sur le papier. Si Raphaëlle lui portait autant d'affection que lui en avait pour elle, ils auraient fait un joli couple.
Mais ce n'était pas le cas. La brune émergea d'ailleurs avec la tête de quelqu'un qui n'avait pas dormi depuis trois semaines. Elle s'assit à côté de Violette, posant la tête sur son épaule, sans rien dire.
"Petite nature.
- Ta gueule, Simsim, murmura Raphaëlle comme si elle était au bord de l'agonie. T'as pas une clope ?"
Il lui en tendit une et Raphaëlle l'alluma sans écouter les protestations de Violette qui détestait l'odeur de la fumée. Siméon s'en grilla une.
"Tu veux goûter ? me proposa-t-il avec un sourire en coin.
- Non merci."
Il ne répondit rien : ni rire moqueur ni moue déçue. En revanche, Antonin qui s'assit à côté de Siméon lui piqua sa cigarette pour la glisser entre ses lèvres fines.
"C''est dégueulasse, constata Antonin en crachant.
- Comme si tu le savais pas déjà, protesta Violette. Ca pue leur merde, d'ailleurs Raph fume ailleurs parce que je me suis lavé les cheveux ce matin et c'est hors de question qu'ils puent la clope.
- Mmh, protesta Raphaëlle comme un râle de zombie. On dirait Alex quand tu dis ça.
- Alex comme le Alex ? articula Antonin, stupéfait.
- Alex comme l'Alexandre, ton premier amour avec qui ton frère t'a surpris au lit ?
- Arh, stop, arrêtez, laissez moi tranquille ! geignit Raphaëlle en se cachant le visage avec ses mains."
Les autres n'osaient même pas rire. Comme si Alexandre était un sujet tabou.
"Genre tu fumais dans les cheveux d'Alex ? objecta Violette.
- Pas moi, son pote, Tanguy. Il fumait et soufflait dans la direction d'Alex, alors il aimait pas trop.
- C'est passionnant, ça, Raphaëlle, intervint Antonin d'un ton désintéressé. Sinon, quelqu'un a vu Victor ?"
Personne ne l'avait vu et il était presque midi. Raphaëlle fumait sa cigarette, les yeux plantés dans la mer, le pouce fourré dans la bouche pour qu'elle puisse mordiller la phalange supérieure.
"Devinez quoi ! s'exclama Violette, rompant le silence. Demain on pourrait aller à la fête foraine !
- Pour une fois que t'as pas une idée de merde, Vi, souligna Siméon."
Elle leva les yeux au ciel et se leva.
"Je vais nous chercher un truc à manger, tu viens, Jade ?"
J'approuvais sans trop savoir pourquoi. Sûrement qu'elle voulait que je fournisse les bières, puisque je pouvais en acheter légalement. Raphaëlle écrasa sa cigarette sous son talon avant de ramasser le mégot et de le jeter, déclarant :
"T'inquiète, Violette, j'y vais avec elle. Reste là pour planifier la sortie fête foraine."
La jeune fille n'osa pas protester et se rassit, un peu confuse. Raphaëlle me fit signe de la suivre et je me mis à marcher. Sur la route, elle fourra ses mains dans ses poches, le nez planté dans le ciel.
"Ca va, ta tête ?
- Ouais, j'ai connu meilleure journée. Après c'est pas comme si j'avais bu la bouteille entière non plus."
Elle jouait avec l'ourlet de son chemisier.
"Alors, t'as parlé avec Simsim ?
- Tu nous as vu ?
- Franchement, j'étais pas complètement bourrée hier. Je restais lucide. Stop avec ça."
Elle fourra les mains dans ses poches, l'air un peu agacée par ce que j'avançais. Nous arrivâmes au supermarché, discutant contre mon gré de Siméon. La brunette affirmait que je lui plaisais, je lui répondis que pas moyen, il sortait encore avec Maëlys et qu'on devait changer de sujet.
Elle n'osa rien répondre et s'empara d'un petit calepin.
"J'vais essayer de tenir un journal intime. Ou une connerie du style. Alex c'est ce qu'il faisait quand ça allait pas, il écrivait des poèmes.
- Et tu penses que ça apaise ?
- Bien sûr que oui. Une fois qu'on évacue nos sentiments, on se sent bien mieux. Alex disait que l'art, c'est le pansement de l'âme."
Elle sourit, sûrement en proie à des souvenirs. Son sourire flottait, doux, comme s'il avait le pouvoir de l'apaiser.
"Tiens, tu veux que je t'en offre un ? Pour ton cadeau d'anniversaire. Au pire, tu pourras toujours t'en servir pour écrire ta liste de course..."
Je ne me sentais pas le courage de refuser. Raphaëlle se dirigea vers le rayon des chips et s'empara d'un paquet de petits saucissons et un autre de chips au vinaigre. Une autre adolescente hésitait entre deux paquets comme si c'était le choix crucial de sa vie.
"Hey, Joséphine, ça va ? demanda Raphaëlle en arborant un sourire éclatant."
L'adolescente leva les yeux vers mon amie. Elle avait des jolis cheveux qui hésitaient entre le châtain et le roux, des yeux en amandes verts et une petite bouche figée dans une moue impertinente. Pas spécialement jolie au premier abord, elle dégageait quelque chose de spécial qui la rendait assez belle.
"Salut Raph, répondit la-dite Joséphine d'une voix ennuyée.
- Tu continues la danse cette année ?
- Je sais pas, je vais voir. Steph me fait vraiment chier et je crois qu'elle me déteste. Surtout que je traîne avec sa fille donc ça me gêne un peu, tu vois.
- Steph a une fille ? demanda la brune en fronçant les sourcils.
- Bin, oui, elle s'appelle Gloria. T'en as forcément entendu parler, c'est tout ce que les vieux détestent. Lesbienne jusqu'au cou et qui s'habille n'importe comment mais tout lui va parce qu'elle est super bien foutue. Tu vois ou pas ?
- Ouais, ça me dit quelque chose..."
Joséphine étrangla un ricanement.
"Ouais, tu vois pas du tout quoi. On était dans la même classe en seconde et elle était super cool. On devrait traîner ensembles, tu verras.
- Ouais, ça a l'air cool, affirma Raphaëlle avec un faux sourire.
- Bon, je te laisse, Glo m'attend justement. Je nous organise ça. Bisous bisous !"
Joséphine reposa un des sachets et s'éclipsa, envoyant des baisers au vent. Raphaëlle poussa un énorme soupir.
"Tu l'aimes pas ?
- Si, elle est cool. Juste un peu trop bavarde pour moi."
Le reste de l'après-midi se déroula dans la bonne humeur. Victor dormait encore puisqu'il se sentait fiévreux. Pendant que tous se baignaient, même Violette, Siméon restait assis dans le sable avec moi pour me tenir compagnie.
"A une condition, tu sors pas ton vieux bouquin.
- Ne critique pas les Liaisons dangereuses, intimais-je en lui assénant un petit coup de livre sur l'épaule.
- Alors, c'était sympa, ta petite discussion avec Raph ?
- On a juste été chercher des chips. Mais oui, très sympa, merci de demander."
Nous restâmes ainsi, à parler de tout et de rien. Je me sentais très à l'aise avec lui, pour la première fois depuis longtemps avec un garçon. Je n'étais jamais sûre de leurs attentions, je ne savais pas quand je devais rire avec eux, je me sentais aussi à l'aise qu'un paresseux dans le désert. Mais avec Siméon, la conversation était fluide, et ça me faisait un bien fou.
Finalement, peut-être que je passais les meilleures vacances de ma vie.
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