JOUR 3 : AU BALCON (ou : Roméo a déjà une copine)

CHEZ VIOLETTE, tout n'était pas propre et aseptisé, sentant bon l'eau de Javel. Sa maison avait des allures de cocon douillet, avec un parquet de bois clair, des murs peints de beige et un mur de photos.

"C'est pas très grand, mais c'est chez moi, se justifia Violette.

- Tu dis ça à une parisienne. C'est grand luxe, ici !"

Violette et Raphaëlle éclatèrent de rire pendant que je regardais la maison. J'avais l'impression de n'avoir connu que les appartements parisiens et les chambres d'hôtel. Les réunions familiales se tenaient toujours chez moi, mes amies vivaient aussi en appartement.

"C'est super sympa !

- Oh, crois moi, il y a mieux.

- Il y a toujours mieux."

Violette roula des yeux et me prit par le poignet pour me guider à l'étage, me menant à la salle de bain. Des produits de maquillage s'étalaient un peu partout, une boîte à bijoux croulant de colliers aux chaînes emmêlées, de bagues à pierreries, de bracelets de cuirs trônait sur une étagère, à côté du dentifrice.

La jeune fille tira un tiroir pour trouver sa précieuse palette, à côté d'un amont d'épingles et d'élastiques à cheveux et d'un tube de laque pailletée.

"Oh quelle connasse tu m'as dit que t'en avait plus ! s'exclama Raphaëlle.

- J'en avais presque plus ! protesta Violette. Assied toi, Jade."

Je rabattis les toilettes afin de m'asseoir dessus, croisant les jambes. Raphaëlle en profita pour allumer la musique à fond.

"Les mecs s'occupent des courses, c'est Simsim qui me l'a dit.

- T'es sûre qu'ils sont capables d'assumer les courses pour une soirée ? s'inquiéta Raphaëlle. Et ils ont pas dix huit ans.

- Siméon a prit la carte de son frère. Et c'est le seul qui est capable de se démerder face à des empotés comme Victor et Antonin, c'est clair.

- Parle pas de mon copain comme ça !

- Comme si tu l'aimais vraiment, soupira Violette."

Elle se pencha vers moi et plongea ses yeux dans les miens avec insistance.

"Du rose, prononça-t-elle d'un air savant.

- Et pourquoi pas un truc soft ?

- Tu fêtes tes dix huit ans ou le mariage de ta cousine éloignée ?"

Elle claqua la langue et commença à maquiller mes paupières. Raphaëlle vint ajouter la touche liner avant de me sourire.

"Trop mignonne !

- C'est pas la réaction que j'attendais, soupira Violette. Elle est pas censée être mignonne.

- Jade est mignonne.

- Euh...merci ?"

Violette capitula avant de me tendre un gloss brillant.

"J'aurais peut-être du tenter un truc plus voyant.

- Teu-teu-teu, protesta Raphaëlle. Elle est très bien comme ça !"

Les deux continuèrent de se chamailler en s'occupant de leur propre maquillage. Violette, fidèle à son prénom, avait recouvert ses paupières d'un joli lilas pendant que Raphaëlle y dessinait une virgule irréprochable au liner noir.

Lorsque nous eûmes fini de nous préparer, les garçons venaient d'arriver. Siméon fronça les sourcils en regardant Violette.

"C'est une soirée d'anniversaire ou un bal de promo ?

- Grave ! Fallait le dire si on devait sortir le costard ! ajouta Antonin, les bras chargés.

- Comme si t'avais un costard.

- Je pourrais te surprendre."

Antonin semblai étonnamment de bonne humeur. Il entreprit de poser les bouteilles sur la table de la cuisine, que Victor aligna méticuleusement en sortant quelques gobelets de plastique.

"Où est la reine de la soirée ? demanda Siméon."

Je m'avançais un peu du recoin où j'étais restée confortablement dans l'ombre.

"Regarde ce qu'on a pris, spécialement pour toi ! s'exclama le garçon."

Il sortit ce qu'il avait de son dos, à savoir une bouteille de vodka.

"Ah, euh, merci, bredouillais-je."

Je n'étais pas sûre de vouloir en prendre : j'avais peur de boire. Je ne voulais pas perdre mes moyens, je souhaitais rester maîtresse de moi-même. En plus, je commençais à me sentir un peu malade.

"Trop cool Simsim. Maintenant va poser ça dans la cuisine, hop hop hop."

Ils agissaient comme un couple marié, c'en était presque hilarant. Violette le houspillait d'un coup de main, le pressant à avancer.

La jolie brune m'attira à l'écart avant de me chuchoter :

"Je veux pas dire, mais Siméon est un excellent parti, pour un 2001. Généralement ils sont pas très gâtés par la nature. Mais ils sont drôles !

- N'importe quoi.

- Si, j'ai fait des stats."

Je ne voyais pas où elle voulait en venir. Des beaux et des moches il y en avait dans chaque génération. Violette avait la chance de faire partie des plutôt beaux.

"Ah, merde, Mathilda est une 2001. Ca détruit tout mon raisonnement.

- Pourquoi, elle est belle ?

- Ne le dis pas à Raph mais c'est une des plus belles filles de cette ville. Sérieux, j'suis hétéro mais elle me fait tout ce qu'elle veut.

- C'est pas très hétéro, ça, Violette."

Elle me sourit d'un air complice.

Je compris alors que Violette était une de ces grandes romantiques un peu fleur bleue, qui s'émoustillaient pour un regard volé. Loin d'être méchante, c'était le genre de personne à croire au grand amour, à la théorie des âmes soeurs et à vouloir faire naître des couples à chaque coin de rue. Un Cupidon des temps modernes, en somme.

Raphaëlle, elle, semblait avoir les pieds sur terre. Plus rationnelle, elle avait expliqué qu'elle ne croyait pas vraiment en l'amour, parce qu'il semblait soit si passionné qu'il en était destructeur, soit il était trop doux et ça ne ressemblait pas à de l'amour.

Elle n'aimait pas vraiment Victor. Et ça tout le monde l'avait compris.

Même le garçon lui-même semblait le savoir, au fond. Il s'efforçait de faire comme si de rien n'était, comme si c'était juste le début. Mais le début était un des meilleurs aspects de la mise en couple. On ne voyait rien aux défauts, on flottait sur sa petite bulle, on commençait à tomber amoureux en expérimentant de nouvelles choses.

Mais Raphaëlle ne tombait pas amoureuse, et elle ne tomberait pas amoureuse.

Violette la soupçonnait d'aimer encore son ex, Alexandre. Ils traînaient ensembles à longueur de journée et Raphaëlle en était dingue. Leur rupture avait fait un mal fou à la brune et la plaie était encore à vif, malgré tout ce qu'elle voulait faire croire. A chaque fois qu'elle prononçait le nom Alexandre, Raphaëlle se raclait la gorge, ne répondait pas ou changeait carrément de sujet.

Violette aussi était encore très attachée à son ex, parce que c'était son premier vrai copain. Ils pouvaient se faire des petites sorties de couples à quatre et c'était une situation confortable. Puis ils avaient rompu. C'était ça, l'adolescence.

"Il a jamais vraiment expliqué pourquoi. Je crois que c'est parce qu'il en aimait une autre, avait raconté Violette, penaude."

Je la connaissais depuis trois jours à peine, mais j'avais l'impression de tout connaître d'elle. Sûrement parce qu'elle savait qu'on ne se reverrait plus jamais. Elle prenait plaisir à vider son sac, sachant que j'allais l'emporter loin, dans un endroit où partager ses secrets n'intéresserait personne puisque le nom de Violette serait inconnu partout.

Et là, elle riait, comme si c'était elle la reine de la soirée. Sa robe noire voletait de partout et elle ne chancelait même pas sur ses talons. Elle servait des gobelets à tout le monde, accrochait des jolies guirlandes dorées et augmentait le volume de la musique comme si elle avait fait ça toute la vie.

J'admirais Violette. Elle semblait si à l'aise dans ce milieu qu'elle ne connaissait pourtant pas. Elle ressemblait à une sardine jetée dans une rivière, évoluant dans un milieu qui ressemblait au sien et pourtant si différent.

Victor buvait lentement du jus d'orange pendant qu'Antonin se risquait à verser quelques gouttes de vodka dans un verre, ensevelies par le soda.

Raphaëlle but directement à la bouteille et la tendit à Siméon en s'essuyant la bouche, puis m'entraîna dans le salon pour danser avec quelqu'un.

"A la bouteille, carrément ?

- J'aime la vodka pure.

- Aucun soucis, c'est juste que..."

Raphaëlle me plaqua la main contre la bouche. La musique s'arrêta comme par magie et on fit place à chant plutôt uniforme.

"Joyeux anniversaiiiire..."

Je les regardais avancer avec un gâteau supplanté de bougies et j'eus envie de m'enfoncer sous terre.

J'étais touchée par la tournure des choses. Ils se comportaient comme si nous étions amis depuis toujours, alors qu'avec mes amies de Paris nous aurions fêté ça dans un café. J'aurais pris ma boisson préférée, un muffin au chocolat et une de mes amies aurait planté une bougie dedans pour l'allumer avec son briquet. Et ça m'aurait été tout aussi bien.

"On a essayé de contacter tes amies pour qu'elles viennent mais la seule qui est en France est coincée à Limoges, s'excusa Violette. J'espère qu'on te suffira."

La brune me tomba dans les bras pour m'étreindre.

Et l'espace d'un instant, je crus que l'amitié que nous avions bâti ces jours-ci allait durer. J'avais l'impression de la connaître depuis longtemps, j'avais l'impression d'avoir tissé des liens plus fort avec Violette qu'avec n'importe qui. Ca s'était fait d'instinct.

Je soufflais mes bougies et tout le monde m'acclama. Victor et Antonin portaient de ridicules petits chapeaux triangulaires en carton multicolores et je sentis quelqu'un passer derrière moi pour me poser quelque chose sur ma propre tête.

Le flash de Violette m'agressa aussitôt la rétine. Elle éclata d'un rire franc en me montrant ma tête grimaçante couronnée d'un ridicule chapeau en forme de gâteau d'anniversaire, que Siméon prenait plaisir à enfoncer sur mon crâne. Il me servit à boire avant de prendre un gobelet sur la table et de siroter le sien à petites gorgées.

Raphaëlle monta le son et je réalisais bien vite que son niveau de danse était très loin de mes petites gesticulations où je me contentais de sauter et remuer un peu les bras. Elle ondulait, laissant flotter sa veste kimono derrière elle dans des volutes de soie noires, le geste impeccable, le poignet gracieux qui ne se cassait pas au moindre mouvement. Il accompagnait dans sa danse, la guidait dans ses pas, le genou ployé. Sa cheville semblait prête à encaisser tout et n'importe quoi même avec ses sandales, elle ne glissait pas et ressemblait à une danseuse dans les films.

Elle évoluait, aérienne, avec les stroboscopes qui zébraient de néon son visage illuminé, emportant dans sa danse nos respirations; parfaitement en rythme avec la musique, elle semblait comme un poisson dans l'eau. Une danseuse plongée dans sa musique, c'était un poisson dans l'eau. Ca savait comment faire, ça ne doutait jamais, ça se laissait emporter par le courant et ça se laissait guider.

Raphaëlle, prit la main de Victor pour le forcer à danser avec elle. Pendant qu'elle virevoltait il la suivait maladroitement, s'efforçant à tenir le rythme.

La partie la plus surprenante ne fut même pas le moment où Victor se lâcha pour de bon, la faisant tourner sur elle-même comme s'il avait fait ça toute sa vie. Ce fut la fin de la chanson, sous le cri des guitares, où Raphaëlle se pencha vers son copain et lui écrasa un baiser sur les lèvres.

"Oh woh, souffla Antonin."

Victor était rouge de confusion, peu habitué d'être au centre de l'attention surtout dans une fête où il n'était invité que par défaut. Et puis sûrement un peu en nage par cette danse qu'il n'avait pas l'habitude de faire.

Le blond glissa ses doigts dans la bouche et commença à siffler.

"Quel con, maugréa Victor."

Il s'isola pour finir son jus de fruit.

La fête poursuivit son cours. Je dansais avec Violette, qui se débrouillait plutôt bien malgré ce qu'elle disait. Je me servis une troisième bière avant d'aller dehors pour profiter de l'air frais.

Je réalisais que Siméon était déjà assis là, au téléphone.

"Ouais c'est ça. Bisous."

Il raccrocha avant de pousser un profond soupir.

"Ca va ?

- Ouais ouais.

- Je veux pas être lourde mais t'es sûr que tu veux pas en parler ? Tu veux que j'aille chercher Violette ?

- Non t'inquiète."

Il sortit une cigarette et l'alluma, penchant la tête pour regarder le ciel encore un peu bleu, où quelques étoiles commençaient à briller.

"C'est ma copine, Maëlys. C'est compliqué.

- Développe. Je suis une experte en relations humaines.

- On est en pause, là. Et pour moi ça sert à rien les pauses, du coup je préfère rompre, surtout qu'elle est à l'autre bout de la Terre là. Mais elle veut pas, elle insiste. Et ça me fait chier.

- Pourquoi vous êtes en pause ? demandais-je en m'asseyant en face de lui."

Il eut un faux sourire en tirant sur sa cigarette.

"Elle a inventé un truc genre 'c'est parce que je pars'. Mais je pense juste que c'est parce qu'elle m'a trompée et qu'elle espère d'un côté que je fasse la même chose avec elle, comme ça on sera quittes.

- Et alors ? demandais-je, nichant mon menton contre mes genoux. Tu vas faire quoi ?

- J'ai envie de finir notre relation, parce que je suis pas un objet qu'elle peut récupérer quand elle veut. Mais en même temps..."

Je bus une gorgée de ma bière en le fixant avec de grands yeux.

"Je tiens beaucoup à elle."

Je lui souris tristement. Il replongea les yeux dans le ciel en tirant sur sa cigarette.

"C'est voué à l'échec de toute façon, rumina-t-il. On était censés arrêter de fumer tout les deux et j'ai recommencé. Et je suis sûr qu'elle aussi. Ca sert à rien, une pause.

- Tu veux mon avis ?

- Je t'écoute, Jade, experte de relations humaines."

Je bus quelques gorgées de ma bière avant d'expliquer :

"Je pense que tu devrais rompre. Parce que là, tu l'attends, et t'es pas maître de toi-même. Elle veut te récupérer ? Elle se donnera les moyens pour le faire. Et tu choisiras. Parce que là, tu te fais du mal à l'attendre pour qu'au final elle pense même pas à toi. Et elle va te récupérer comme si t'étais son gigolo qui l'avait attendu bien sagement. Tu mérites mieux que ça."

Il laissa échapper un petit rire en crachant sa fumée avant de tendre la main vers moi. Confuse, je lui tendis ma bière en retour.

"C'est pas ce que je voulais mais je dis pas non, s'amusa-t-il en buvant quelques gorgées."

Il me rendit ma bière, se leva et m'ébouriffa les cheveux.

"T'es pas si mauvaise que ça en relations humaines, Jade, finalement."

Il prit place à côté de moi.

"Et toi, qu'est-ce qu'il se passe dans ta vie ?

- Oh, pas grand chose, vraiment. On va voir ce que ça donnera quand je serais sur Toulouse.

- Toulouse c'est beau comme ville. Tu vas bien t'amuser.

- J'espère."

Siméon écrasa sa cigarette dans un pot de fleurs fanées, qui pendaient tristement, d'une couleur rouille.

"Tu me fais penser à moi, tu sais.

- On a pas l'air d'avoir grand chose en commun, pourtant.

- Plus jeune, j'étais très renfermé sur moi-même. Je parlais à personne, je n'osais pas aller vers les gens, mais quand les gens m'approchaient j'étais assez accueillant. Puis, j'ai réalisé quelque chose."

Je le laissais poursuivre, réfléchissant à ce qu'il m'avait dit. Sans penser au fait qu'il était plus jeune que moi et me faisait des leçons de morale.

"Peut importe où j'irais, il y aurait des gens pour m'apprécier pour qui je suis. Il y en aurait aussi toujours pour me détester quoi que je fasse, mais je ne serais jamais seul. Il y aurait toujours quelqu'un avec le même caractère, les mêmes goûts, les mêmes idées que moi. Dans ton cas, c'est moi."

Siméon laissa planer le silence en buvant dans ma bière pendant que je laissais ses paroles flotter dans mon esprit.

Puis il se leva et me pris par les épaules.

"Allez viens, on va danser."

Lorsque je rentrais, je réalisais qu'ils nous regardaient tous avec un drôle d'air. Antonin laissa échapper un "je croyais que t'avais tes règles, Jade!" et Violette avait ce drôle de sourire en coin.

La fête reprit, Raphaëlle dansait moins bien puisqu'elle avait contribué à la descente de la bouteille de vodka. Victor la couvait du regard et lui servait des verres d'eau en certifiant que oui, c'était bien de la vodka. Après tout, ça avait le même couleur.

Violette m'entraîna dans la cuisine, certifiant qu'elle avait un cocktail spécial à me faire goûter, emportant avec elle la bouteille de vodka au plus grand regret de notre chère et tendre Raphaëlle.

La brune posa la bouteille sur une nappe cirée et s'assit sur un plan de travail, bras croisés.

"Alors, SimSim ? Ca drague fort ?

- Pas du tout.

- Oh, arrête."

Je sentis mes joues rougir.

"Faut que tu trouves un moyen de le pécho.

- Sérieux, Violette, ça va.

- Oh, toi, t'as jamais embrassé personne, c'est ça ?"

Je levais les yeux au ciel.

"Ma meilleure amie, désespérée que je soit toujours pucelle des lèvres.

- Jade, parfois je me demande si tu sortais de ton appart."

Je savais qu'elle ne voulait pas dire ça méchamment mais je me sentais légèrement attaquée. Même si, au fond, elle avait raison.

"Je tiens pas à avoir mon premier vrai baiser avec un mec bien plus jeune que moi."

Violette posa une main rassurante sur mon épaule.

"Parfois, c'est de ceux qui nous attirent le moins qu'on tombe le plus amoureux."

Et la jeune fille me laissa libre de filer.

:-)) (oui tjrs en retard excusez moi j'ose pas publier dans le train lol)

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