Ransom Wilkins
— Tu es certaine que ça ne risque rien ?
— Bien sûr que oui, je ne t'aurais jamais embarqué là-dedans si ça ne l'était pas. Enfin...
J'écarquille les yeux en entendant sa réponse.
— Comment ça, enfin ? m'inquiété-je.
Ivy sourit et désigne une petite cabane de gardien.
— En fait, je n'avais pas prévu ça, s'excuse-t-elle. Ne t'inquiète pas, j'ai une idée.
Le gardien de l'immeuble apparaît à côté d'un arbre.
— Dis vite ton idée, je t'en supplie Ivy.
— Approche-toi de moi, déclare-t-elle.
J'obéis. Lorsque je suis assez près d'elle, Ivy me prend par la taille et me regarde dans les yeux.
— Qu'est-ce que tu...
— Ferme-la, m'intime-t-elle.
Elle m'embrasse. Ses lèvres douces rencontrent les miennes, à peine quelques minutes, mais assez pour que je puisse le sentir. Son parfum à la bergamote m'enveloppe, ses cheveux entourent mon visage. C'est merveilleux. Je la serre un peu plus, elle se rapproche. Elle a l'impression de jouer un rôle, mais moi, je n'en joue pas un. À côté de nous, le gardien soupire.
— Vraiment, les jeunes, à mon époque, ils n'auraient jamais fait de telles démonstrations, surtout devant des inconnus. Allons, déguerpissez avant que ce ne soit moi qui vous décolle.
Nous exécutons son ordre et le laissons partir, avant de réussir à se regarder dans les yeux. Nous avons rougis au même moment.
— Ransom, se décide-t-elle enfin, j'ai une question.
— Vas-y.
— Est-ce que... est-ce que tu m'aimes ?
— Non, menti-je.
— Menteur, s'exclame Ivy.
— Pourquoi ?
Elle se passe la langue sur les lèvres, avant de continuer.
— Parce que je veux que tu sois en train de mentir. Ou alors, je serais la seule à ressentir...
Je ne la laisse pas finir sa phrase et l'embrasse, vraiment. Je serre son visage entre mes mains, la regarde, puis continue. Lorsque je la repousse, c'est simplement par acquis de conscience, car ma seule envie est de continuer.
— Il faudrait peut-être que.. que l'on aille voir Alison. Tu sais notre enquête, repris-je.
— Oui, oui. Et oublie ce qu'il vient de se passer et ce que je viens de te dire. Toi et moi... on...
Ivy s'arrête.
— On est de bons amis. Je ne veux pas gâcher cette amitié pour une simple amourette, ok ?
Je tombe des nues.
— Je suis laid, c'est ça ? Ou trop stupide ? Oui, ça doit être ça. Les blonds sont pas intelligents, généralement. C'est ce que tu penses ? me courroucé-je.
Je n'aurais pas dû. Je vois son regard vaciller, je l'ai blessée.
— Je n'ai jamais dit ça. Mais toi et moi, c'est... pas possible. Bref, on a quelqu'un à interroger.
Je la retiens par le bras, assez fort pour qu'elle proteste.
— Ransom, tu me fais mal.
— Regarde-moi dans les yeux et jure moi que c'est impossible.
Elle soutient mon regard.
— Je te jure que c'est impossible.
— Pourquoi ? demandé-je, ma voix montant dans les aigus et en relâchant un peu son bras.
— Tu n'as pas à le savoir, grogne-t-elle. Lâche-moi, maintenant Ransom. Tu me fais mal.
Je ne dois pas être beau à voir. Je sens mes joues s'empourprer jusqu'à mes oreilles.
— Pardon, m'excusé-je.
— Ça ne fait rien, répond Ivy en massant son bras endolori. C'est de ma faute. Je n'aurais pas dû te laisser espérer... quelque chose entre nous. Il n'y aura jamais rien, c'est... impossible, tu comprends ?
Non, je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi tout m'est toujours impossible.
— Oui, je comprends.
Je ne peux rien lui dire d'autre. Je ne veux pas perdre l'une des seules personnes qu'il me reste. Je ne peux pas me le permettre.
— Je vois bien qu'il se passe quelque chose, Ransom. Qu'est-ce qu'il y a ?
Elle me pose une main sur l'épaule et me force à m'asseoir sur un muret, près du 50.
— C'est ma sœur. Elle... elle a une maladie des poumons que les médecins ne connaissent pas, mais qu'ils pensent tous incurable. Selon eux, il lui reste à peine un mois à vivre. Donc je... je suis un peu sur les nerfs. Excuse-moi encore pour tout à l'heure, dis-je, penaud. Mais, je n'arrive plus à supporter ça tout seul.
Il fallait que ça sorte. C'est fait, j'en ai enfin parlé à quelqu'un, après cinq ans. Même si ce quelqu'un m'a recalé il y a à peine dix minutes.
— On va aller voir Alison, déclaré-je en retirant sa main de mon épaule et en me relevant.
Ivy se poste devant moi. Si près que je peux détailler son visage, ses lèvres et ses yeux que je vois pour la première fois maquillés.
— Pourquoi t'es-tu maquillée ?
— Tu connais le terme usurpation d'identité ? me répond-elle en souriant.
— Oui.
— Alors, dit Ivy en détachant ses cheveux qu'elle a lissé pour l'occasion, je me présente : Avery Trevor !
— Ton idée est complètement idiote, asséné-je en croisant les bras.
— Et pourquoi donc ?
— Ça ne marchera jamais. Tu ne lui ressembles pas du tout. Tu vois, dans ces moments-là, je te trouve stupide.
— Je ne suis pas stupide dans ces moments-là comme tu les appelles. J'appréhende les choses d'une autre manière, c'est tout, rectifie-t-elle. Et puis, mon déguisement est génial, non ?
— Non.
— Tu me fais la tronche ?
— Mais pas du tout !
Je me lève et me dépêche de pénétrer dans le hall au sol brillant sentant la javel. Cette odeur m'écœure. Ivy y entre derrière moi et pousse un long sifflement.
— Eh bien ! C'est propre ici.
— Contrairement à chez...
Elle me pose une main sur la bouche.
— Tais-toi, me chuchote-t-elle.
Ivy retire sa main.
— Je n'allais pas dire contrairement à chez toi ! protesté-je.
— Je t'ai dit de te taire, s'énerve-t-elle toujours aussi bas. Il y a quelqu'un à côté de nous. Alors, ferme-la !
— Ok, murmuré-je. Ce n'était pas la peine de me parler mal.
Une silhouette passe près de nous. Nous retenons notre souffle. L'ombre est étrange, presque... difforme. Ce n'est que lorsqu'elle s'approche vraiment de nous que nous remarquons que...
— Ce n'était qu'un enfant, soupire Ivy en voyant le petit garçon approcher, un ballon rouge et bleu à la main.
Le gamin nous regarde, tout étonné.
— Z'êtes le nouveau couple qui vient de s'installer au cinquième ? demande-t-il en haussant un sourcil.
— Peter, je t'ai déjà dit de ne pas parler avec des inconnus ! Que dirait ta mère si elle savait que ta tante te laissait discuter avec des gens que tu ne connais pas ?
— Excuse-moi, tatie Alison.
Nos yeux s'écarquillent en même temps lorsqu'une jeune femme apparaît. Elle a les cheveux noirs et ses yeux sont étrangement pâles.
— Elle est aveugle, glissé-je.
— Mais pas sourde ! grogne-t-elle excédée. Qui êtes-vous ?
— Avery Trevor, se lance Ivy. Rédactrice en chef au London Times. Et le jeune homme qui m'accompagne s'appelle Guillaume Lebaril. C'est un élève français, il compte devenir journaliste ici, à Londres.
— C'est un plaisir, déclaré-je de mon plus bel accent français.
— Vous ne venez absolument pas de France, raille Alison. Si je ne m'abuse, vous êtes originaire d'Écosse, à entendre votre intonation. Probablement une famille écossaise ayant déménagé à Londres, je me trompe ?
Je rougis. Heureusement qu'elle ne peut pas voir ma tête à cet instant.
— Non, vous avez raison sur toute la ligne, balbutié-je en anglais.
Un sourire s'étale sur son visage de cuivre. J'ai presque l'impression de voir ses yeux pâles briller, même si je sais que ça lui est physiquement impossible. Son visage redevient sérieux.
— Mais alors, qui êtes-vous ? reprend-t-elle.
Nous échangeons un regard, avant de convenir de ce que nous allons faire.
— Et bien, je suis Ivy Johnson. Je suis, enfin, j'étais la sœur de Janet.
Ivy joue bien la comédie. Sa lèvre inférieure tremble légèrement lorsqu'elle parle de sa voix émue.
— Je suis désolée pour elle, mais je dois vous avouer que je ne l'ai jamais vue, termine Alison en riant.
— Mademoiselle Agman, cette histoire ne me fait pas rire du tout. Ma sœur a été assassinée hier, et...
— Pourquoi être venus me réveiller en pleine nuit ?
— Vous l'étiez déjà, réveillée à ce que je sache, marmonné-je.
— Tant pis, s'excuse Ivy. Pourriez-vous m'indiquer le domicile de Cecil Cesar ?
— Qui ?
— Celui qui était avec vous sur les lieux du crime, hier ! nous exclamons-nous en chœur.
— Mais de quoi me parlez-vous ? Quels lieux du crime ?
— Puis-je vous poser une question, mademoiselle Agman ? demandé-je soudain.
— N'est-ce pas ce que vous faites depuis vingt minutes ? soupire Alison.
— Étiez-vous chez vous, hier soir ?
— Évidemment ! Comme d'habitude !
Je regarde Ivy. Elle est figée.
— Vous n'êtes pas sortie de la soirée ?
— Non ! s'exclame Alison. Bien sûr que non ! Je suis sensée garder Peter, mon neveu. Je n'aurais jamais pu sortir. Et puis, si vous ne me croyez pas, demander à mon mari.
— Ça ira, décrété-je en voyant ce dernier, un homme grand et large d'épaule arriver.
L'homme pose une main sur l'épaule de sa femme.
— Allons, Alison. Rentrons. Et vous, termine-t-il avec un sourire dévoilant ses dents aussi blanches que s'il était prêt à faire une publicité de dentifrice, partez d'ici. Nous n'avons aucune envie de se faire démarcher par je ne sais quelle agence.
*
— Ton plan n'était-il pas censé être parfait ?
Ivy me lance un regard noir. Elle est vexée, extrêmement vexée, mais surtout humiliée. Elle vient de me prouver que son intelligence a ses failles.
— Ce n'est pas la peine de me le rabâcher. Mais tu sais quoi ? Répète-le moi au moins six ou sept fois, il n'y a que comme cela que ça rentrera.
— Ivy, tu sais bien que j'ai jamais voulu...
— Stop ! me coupe-t-elle . J'ai très bien compris ce que tu essayais de dire.
Elle essuie d'un revers de manche les larmes qui perlent aux coins de ses yeux.
— Tout va bien ? lui demandé-je en radoucissant ma voix.
— Non. Mais, merci de poser la question. Je suis juste... désappointée, disons. J'ai fait n'importe quoi, et en plus je t'ai fait venir ici, on aurait pu avoir un problème et...
— On se serait débrouillé, comme d'habitude.
Je fais glisser l'une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Ivy arrête ma main d'un geste rapide de la sienne.
— N'en profite pas...
Je retire ma main, honteux de ce que je viens de faire. Je suis vraiment un opportuniste.
— Excuse-moi. Je ne pouvais pas m'en empêcher, tes cheveux allaient partir devant tes yeux, menti-je.
— Mais bien sûr.
Elle rattache ses cheveux en une queue-de-cheval.
— Ils ne me tomberont plus devant les yeux, maintenant, déclare-t-elle.
— Tu veux que je vienne, demain ?
— Certainement pas, Aiden vient me rendre visite. Il va rester à St James pour la deuxième semaine des vacances, me répond-elle.
— Qui est Aiden ? l'interrogé-je.
— Mon... petit ami, lâche Ivy.
J'avais le sentiment de voler il y a à peine une heure. Maintenant, j'ai juste la désagréable impression de m'écraser au sol.
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